L’Enfer – Chant IV

Burg_Amoneburg

Burg Amöneburg — auteur photo: Elop — CC – BY-SA 3.0

Premier Cercle • Les Limbes •  Les âmes vertueuses non baptisées • Le Christ en Enfer • Quatre poètes antiques • Le noble château • Les grands esprits. 

Mon profond sommeil fut rompu

par un tonnerre retentissant, si bien que je sursautai1 

comme quelqu’un réveillé de force;2•3 

l’œil reposé j’observai alentour, 

et redressé, regardai intensément 

pour découvrir le lieu où j’étais.3•6 

En vérité je me trouvai sur le bord4 

de la vallée abyssale emplie de douleurs, 

où les cris perpétuels faisaient un tonnerre.5•9 

Obscure, profonde et embrumée 

elle l’était tant que, mon regard fixé sur le fond, 

je ne discernai aucune chose.•12 

« Maintenant descendons dans le monde aveugle»,6 

commença le poète tout pâle, 

« je serai le premier, et toi le second.»7•15 

Et moi, m’étant aperçu de son teint, 

je dis: « Comment viendrai-je, si tu as peur 

toi qui, seul, face à mes craintes me réconforte?».•18 

Et lui à moi: « La détresse des gens 

qui sont en bas, peint sur mon visage 

cette pitié que tu prends pour de la peur.•21 

Allons, la longue route nous presse.» 

Ainsi il alla et ainsi me fit entrer 

dans le premier cercle qui ceint l’abîme.8•24 

Là, à ce que je pouvais entendre, 

il n’y avait pas de pleurs mais que des soupirs 

qui faisaient trembler l’air éternel;•27 

ceci venaient des douleurs sans torture,9 

que ressentaient ces foules, nombreuses et immenses, 

d’enfants, de femmes et d’hommes.10•30 

Le bon maître à moi: « Tu ne demandes pas 

qui sont ces esprits que tu vois?11 

Or je veux que tu saches, avant d’aller plus loin,•33 

qu’ils ne péchèrent pas; et s’ils ont des mérites, 

cela ne suffit pas, car ils ne furent pas baptisés, 

ce qui est la porte de la foi à laquelle tu crois;•36 

ayant vécu avant le christianisme, 

ils n’adorèrent pas Dieu comme il lui est dû:12

et moi-même je suis de ceux-là.•39 

Pour un tel manque, non pour une autre faute, 

nous sommes perdus, et notre seule peine 

est de vivre dans le désir sans espoir.13•42 

Une grande douleur m’étreignit le cœur quand je l’entendis, 

car je compris que des gens de grande valeur 

étaient en suspens dans ces limbes.14•45 

« Dis-moi, mon maître, dis-moi, seigneur », 

commençai-je voulant être assuré 

de cette foi qui vainc toute erreur:15•48 

« jamais personne est-il sorti d’ici, soit par son mérite 

soit par autrui, pour être bienheureux ensuite ?» 

Et lui, qui comprit mon parler couvert,•51 

répondit: « J’étais nouveau en cet état 

lorsque je vis venir un puissant,16 

couronné du signe de la victoire.17•54 

Il tira l’ombre du premier ancêtre,18 

de son fils Abel et celle de Noé,19 

de Moïse législateur et obéissant;20•57 

Abraham patriarche et David roi,21 

Israël avec son père et ses enfants22 

et Rachel, pour qui il fit tant,23•60 

et beaucoup d’autres, et il les fit bienheureux. 

Et je veux que tu saches, avant celles-ci, 

les âmes humaines n’étaient pas sauvées.»24•63

Nous continuions notre marche pendant qu’il parlait 

tandis que nous passions la forêt, 

l’épaisse forêt, dis-je, des esprits.•66 

Nous avions peu avancé sur notre route 

depuis mon sommeil, quand je vis un feu 

qui de l’hémisphère chassait les ténèbres.25•69 

Nous en étions encore un peu éloignés, 

non sans qu’on ne distingue partiellement 

que des gens d’honneur occupaient ce lieu.•72 

« Ô toi qui honore la science et l’art, 

qui sont ceux qui ont tel honneur, 

que leur sort se distingue de celui des autres?».26•75 

Et lui à moi: « Leur honorable renommée 

qui résonne encore dans ta vie, 

par cette grâce acquise les élève dans le ciel.»27•78 

Pendant ce temps j’entendis une voix: 

« Faites honneur au sublime poète; 

son ombre, qui était partie, est revenue».28•81 

Puis la voix s’éteignit et se tut, 

et je vis quatre ombres majestueuses venir à nous: 

elles ne semblaient ni tristes ni joyeuses.•84 

Le bon maître commença à parler: 

« Regarde celui avec cette épée en main, 

qui marche devant les trois comme un seigneur:•87 

celui-là est Homère, poète souverain;29 

l’autre qui vient est le satiriste Horace;30

Ovide est le troisième, et le dernier Lucain.31•90 

Voilà pourquoi chacun d’eux partage avec moi 

le titre qu’a prononcé la seule voix,32

me faisant honneur, et en cela ils font bien.»33•93 

Ainsi je vis s’assembler la belle école 

de ce seigneur du très haut chant,  

qui, comme l’aigle, survole les autres.•96 

Après s’être brièvement entretenus ensemble, 

ils se tournèrent vers moi me saluant d’un geste, 

et mon maître sourit de tout ceci;•99 

et plus d’honneur encore ils me firent, 

m’accueillant dans leur compagnie, 

si bien que je fus le sixième d’entre ces sages.34•102 

Ainsi, nous allâmes jusqu’à la lumière, 

parlant de choses qu’il est beau de taire, 

comme il était bien là d’en parler.•105 

Nous vînmes au pied d’un noble château,35  

sept fois ceint de hautes murailles,36 

défendu tout autour par une belle rivière.•108 

Nous la passâmes comme terre dure; 

par sept portes et j’entrai avec ces sages: 

nous arrivâmes dans une prairie d’herbe fraîche.37•111 

Des gens au regard lent et grave se trouvaient là, 

paraissant d’une grande dignité: 

ils parlaient peu, d’une voix douce.•114 

Nous nous retirâmes sur l’un des côtés, 

en un lieu ouvert, lumineux et en hauteur, 

de sorte que nous pouvions tous les voir.•117 

Là droit devant moi, sur le vert émail, 

me furent montrés les grands esprits,38 

et de les avoir vu encore je m’exalte.•120 

Je vis Électre avec de nombreux compagnons,39 

parmi lesquels je reconnus Hector et Énée,40 

César armé, les yeux perçants.41•123 

Je vis Camille et la Penthésilée;42 

de l’autre côté je vis le roi Latinus43 

assis avec sa fille Lavina.44•126 

Je vis ce Brutus qui chassa Tarquin,45

Lucrèce, Julia, Marzia et Cornelia;46 

et seul, à l’écart, je vis Saladin.47•129 

Puis ayant levé un peu plus les yeux, 

je vis le maître de ceux qui savent48 

assis au milieu de la famille des philosophes.•132 

Tous le regardent, tous lui rendent honneur; 

là je vis Socrate et Platon,49 

qui se tiennent plus près de lui que les autres;•135 

Démocrite qui soumet le monde au hasard,50 

Diogène,  Anaxagore et Thalès, 51 

Empédocle, Héraclite et Zénon;52•138 

et je vis le bon observateur des qualités des plantes, 

Dioscoride; et je vis Orphée,53 

Tullius et Lino et Sénèque le moraliste;54•141 

Euclide le géomètre et Ptolémée,55 

Hippocrate, Avicenne et Galien,56 

Averroès qui fit le grand commentaire.57•144 

Je ne peux les décrire tous pleinement, 

tant me presse le long sujet, 

que maintes fois au fait manque le dire.•147 

La compagnie de six se réduisit à deux: 

le sage guide me conduisit par une autre route, 

hors de la quiétude, dans l’air qui tremble.

Et je vins en un lieu où rien ne luit.•151 

 

 

Cerchio primo • Il Limbo • Anime buone private della vera fede • Spiriti liberati per opera di Cristo • Grande poeti antichi • Il nobile castello • I spiriti magni.

Ruppemi l’alto sonno ne la testa 

un greve truono, sì ch’io mi riscossi

come persona ch’è per forza desta;•3 

e l’occhio riposato intorno mossi, 

dritto levato, e fiso riguardai 

per conoscer lo loco dov’ io fossi.•6 

Vero è che ‘n su la proda mi trovai 

de la valle d’abisso dolorosa 

che ‘ntrono accoglie d’infiniti guai.•9 

Oscura e profonda era e nebulosa 

tanto che, per ficcar lo viso a fondo, 

io non vi discernea alcuna cosa.•12 

« Or discendiam qua giù nel cieco mondo », 

cominciò il poeta tutto smorto. 

« Io sarò primo, e tu sarai secondo».•15 

E io, che del color mi fui accorto, 

dissi : « Come verrò, se tu paventi 

che suoli al mio dubbiare esser conforto ? »•18 

Ed elli a me : « L’angoscia de le genti 

che son qua giù, nel viso mi dipigne 

quella pietà che tu per tema senti.•21 

Andiam, ché la via lunga ne sospigne ». 

Così si mise e così mi fé intrare 

nel primo cerchio che l’abisso cigne.•24 

Quivi, secondo che per ascoltare, 

non avea pianto mai che di sospiri 

che l’aura etterna facevan tremare;•27 

ciò avvenia di duol sanza martìri, 

ch’avean le turbe, ch’eran molte e grandi, 

d’infanti e di femmine e di viri.•30 

Lo buon maestro a me : « Tu non dimandi 

che spiriti son questi che tu vedi ? 

Or vo’ che sappi, innanzi che più andi,•33 

ch’ei non peccaro; e s’elli hanno mercedi, 

non basta, perché non ebber battesmo, 

ch’è porta de la fede che tu credi;•36 

e s’e’ furon dinanzi al cristianesmo, 

non adorar debitamente a Dio : 

e di questi cotai son io medesmo.•39 

Per tai difetti, non per altro rio, 

semo perduti, e sol di tanto offesi 

che sanza speme vivemo in disio».•42 

Gran duol mi prese al cor quando lo ‘ntesi, 

però che gente di molto valore 

conobbi che ‘n quel limbo eran sospesi.•45 

« Dimmi, maestro mio, dimmi, segnore », 

comincia’ io per volere esser certo 

di quella fede che vince ogne errore:•48 

« uscicci mai alcuno, o per suo merto 

o per altrui, che poi fosse beato ? ». 

E quei che ‘ntese il mio parlar coverto,•51 

rispuose : « Io era nuovo in questo stato, 

quando ci vidi venire un possente, 

con segno di vittoria coronato.•54 

Trasseci l’ombra del primo parente, 

d’Abèl suo figlio e quella di Noè, 

di Moïsè legista e ubidente;•57 

Abraàm patrïarca e Davìd re, 

Israèl con lo padre e co’ suoi nati 

e con Rachele, per cui tanto fé,•60 

e altri molti, e feceli beati. 

E vo’ che sappi che, dinanzi ad essi, 

spiriti umani non eran salvati».•63 

Non lasciavam l’andar perch’ ei dicessi, 

ma passavam la selva tuttavia, 

la selva, dico, di spiriti spessi.•66 

Non era lunga ancor la nostra via 

di qua dal sonno, quand’ io vidi un foco 

ch’emisperio di tenebre vincia.•69 

Di lungi n’eravamo ancora un poco, 

ma non sì ch’io non discernessi in parte 

ch’orrevol gente possedea quel loco.•72 

« O tu ch’onori scïenzïa e arte, 

questi chi son c’hanno cotanta onranza, 

che dal modo de li altri li diparte?».•75 

E quelli a me : « L’onrata nominanza 

che di lor suona sù ne la tua vita, 

grazïa acquista in ciel che sì li avanza».•78 

Intanto voce fu per me udita : 

« Onorate l’altissimo poeta ; 

l’ombra sua torna, ch’era dipartita».•81 

Poi che la voce fu restata e queta, 

vidi quattro grand’ ombre a noi venire : 

sembianz’ avevan né trista né lieta.•84 

Lo buon maestro cominciò a dire : 

« Mira colui con quella spada in mano, 

che vien dinanzi ai tre sì come sire:•87 

quelli è Omero poeta sovrano; 

l’altro è Orazio satiro che vene; 

Ovidio è ‘l terzo, e l’ultimo Lucano.•90 

Però che ciascun meco si convene 

nel nome che sonò la voce sola, 

fannomi onore, e di ciò fanno bene ».•93 

Così vid’ i’ adunar la bella scola 

di quel segnor de l’altissimo canto 

che sovra li altri com’ aquila vola.•96 

Da ch’ebber ragionato insieme alquanto, 

volsersi a me con salutevol cenno, 

e ‘l mio maestro sorrise di tanto;•99 

e più d’onore ancora assai mi fenno, 

ch’e’ sì mi fecer de la loro schiera, 

sì ch’io fui sesto tra cotanto senno.•102 

Così andammo infino a la lumera, 

parlando cose che ‘l tacere è bello, 

sì com’ era ’l parlar colà dov’ era.•105 

Venimmo al piè d’un nobile castello, 

sette volte cerchiato d’alte mura, 

difeso intorno d’un bel fiumicello.•108 

Questo passammo come terra dura ; 

per sette porte intrai con questi savi : 

giugnemmo in prato di fresca verdura.•111 

Genti v’eran con occhi tardi e gravi, 

di grande autorità ne’ lor sembianti : 

parlavan rado, con voci soavi.•114 

Traemmoci così da l’un de’ canti, 

in loco aperto, luminoso e alto, 

sì che veder si potien tutti quanti.•117 

Colà diritto, sovra ‘l verde smalto, 

mi fuor mostrati li spiriti magni, 

che del vedere in me stesso m’essalto.•120 

I’ vidi Eletra con molti compagni, 

tra ‘ quai conobbi Ettòr ed Enea, 

Cesare armato con li occhi grifagni.•123 

Vidi Cammilla e la Pantasilea ; 

da l’altra parte vidi ‘l re Latino 

che con Lavina sua figlia sedea.•126 

Vidi quel Bruto che cacciò Tarquino, 

Lucrezia, Iulia, Marzïa e Corniglia ; 

e solo, in parte, vidi ‘l Saladino.•129 

Poi ch’innalzai un poco più le ciglia, 

vidi ‘l maestro di color che sanno 

seder tra filosofica famiglia.•132 

Tutti lo miran, tutti onor li fanno : 

quivi vid’ ïo Socrate e Platone, 

che ‘nnanzi a li altri più presso li stanno;•135 

Democrito che ‘l mondo a caso pone, 

Dïogenès, Anassagora e Tale, 

Empedoclès, Eraclito e Zenone;•138 

e vidi il buono accoglitor del quale, 

Dïascoride dico ; e vidi Orfeo, 

Tulïo e Lino e Seneca morale;•141 

Euclide geomètra e Tolomeo, 

Ipocràte, Avicenna e Galïeno, 

Averoìs, che ‘l gran comento feo.•144 

Io non posso ritrar di tutti a pieno, 

però che sì mi caccia il lungo tema, 

che molte volte al fatto il dir vien meno.•147 

La sesta compagnia in due si scema : 

per altra via mi mena il savio duca, 

fuor de la queta, ne l’aura che trema.

E vegno in parte ove non è che luca.•151