Le Paradis – Chant VII

Illustration: Dieu crée Ève, par Andrea Pisano (1334-1343), Museo dell’Opera del Duomo – Florence – Photo Marc Mentré

Deuxième Ciel • Ciel de Mercure • Nouveaux doutes de Dante et explications de Béatrice • Juste mort du Christ et juste vengeance de cette mort • L’homme ne peut se racheter lui-même • La corruption des éléments et la résurrection des corps. 

« Osanna, sanctus Deus sabaoth,1

superillustrans claritate tua 

felice ignes horum malacoth!»2•3

Ainsi, tournant à son rythme,

je vis chanter cet élu,3 

sur lequel se marient deux lumières;4•6

elles épousèrent sa danse,

et jaillissantes étincelles, elles 

furent voilées d’un soudaine distance.•9

Je doutais et me disais “Dis-lui, dis-lui !” ;

“dis-lui”, me disais-je “à ma dame

qui me désaltère de ses douces paroles”.•12

Mais la révérence qui s’emparait

tout entier de moi, pour un Be et pour un ice,5 

me courbait comme homme qui s’endort.•15

Béatrice souffrit peu de temps de me voir tel 

et s’illuminant d’un sourire6tel, qu’il rendrait

heureux un homme dans le feu7, commença:•18

« selon mon avis infaillible, 

comment juste vengeance fut justement 

punie,8 t’as rendu pensif;•21 

mais je te libérerai bientôt l’esprit ;

et toi écoute, car mes paroles

te feront présent d’une grande sentence.9•24

Pour n’avoir supporté aucun frein salutaire

à sa volonté, cet homme qui n’est pas né,10

en se damnant, damna tous ses descendants;•27

pour cela l’humanité malade demeura

plusieurs siècles en une grande erreur,

jusqu’à ce que le Verbe de Dieu11 choisisse de descendre•30

pour s’unir en une personne,

avec sa nature éloignée de son facteur,12 

et cela par le seul acte de son éternel amour.13•33 

À présent sois attentif à mon raisonnement : 

cette nature unie à son facteur, 

lors de sa création, fut pure et bonne;14 •36

mais —en tant que telle— elle fut bannie 

du paradis, parce qu’elle se détourna 

de la voie de vérité et de sa vie.15 •39

Donc, si la peine infligée par la croix

se mesure à la nature qu’il avait assumée, 

jamais aucune ne mordit si justement;16•42

mais aucune ne fut à ce point injuste, 

si l’on considère la personne qui souffrit, 

en qui cette nature était unie.17•45

Ainsi d’un acte sortit plusieurs choses : 

à Dieu et aux Juifs plut la même mort ; 

par lui la terre trembla et le ciel s’ouvrit.18•48

Cela ne doit plus te paraître dur à comprendre, 

quand on dit que juste vengeance 

peut être vengée par juste cour.19•51

Mais je vois maintenant ton esprit resserré 

de pensée en pensée en un seul nœud, 

dont il attend avec grand désir qu’il soit défait.•54

Tu dis : “Je conçois bien ce que j’entends ; 

mais pourquoi Dieu voulut-il que notre rédemption

se fasse de cette manière, cela m’est obscur”.20•57

Ce décret, frère, est tenu caché21

aux yeux de tous ceux dont l’esprit

n’a pas mûri dans la flamme d’amour.•60

Toutefois22, puisqu’à ce point23,

beaucoup se regarde et peu se comprend,

je te dirai pourquoi cette manière fut la plus digne.24•63

La divine bonté,25 qui rejette de soi

toute envie, brûlante de son propre amour, jetait tant

d’étincelles que surgissaient les éternelles beautés.•66

Ce qui coule d’elle26 sans entremise 

n’a pas de fin, parce que son empreinte

ne bouge pas quand elle a été scellée.27•69

Ce qui pleut d’elle sans entremise

est tout entier libre, parce qu’il n’est pas soumis

à l’influence des choses nouvelles.28•72

Plus il lui est semblable, plus il lui plaît ;

car la sainte ardeur qui rayonne sur chaque chose,

chez la plus ressemblante est la plus vive.•75

De tous ces apanages29 tire avantage

l’humaine créature, et si un seul manque,

il lui faut déchoir de sa noblesse.•78

Seul le péché l’asservit 

et la rend dissemblable du bien suprême,

car alors de sa lumière elle s’éclaire peu;•81

et elle ne retourne jamais à sa dignité,

à moins de remplir, là où la faute a créé un vide,

avec de justes peines contre le mauvais plaisir.•84

Votre nature, quand à travers son ancêtre30

elle pécha toute entière, de ces dignités,

comme du paradis, fut écartée;•87

elles ne pouvaient être recouvrées, si tu regardes

avec attention, par aucun moyen,

sans passer par un de ces chemins:•90

ou que Dieu par sa seule courtoisie

ait pardonné, ou que l’homme par lui-même

ait expié sa folie.31•93

Plonge maintenant ton esprit dans l’abîme

de l’éternel dessein, et autant que tu le peux

attache-toi étroitement à mes paroles.•96

Jamais l’homme ne put réparer

en raison de ses limites: il ne peut s’abaisser

à s’humilier dans l’obéissance,•99

alors que désobéissant, il veut s’élever ;

pour cette raison l’homme fut

privé du pouvoir d’expier par lui-même.•102

Il fallait donc que Dieu par ses propres voies

rétablisse l’homme dans sa vie plénière,

je dis par l’une, ou par les deux.32•105

Mais parce que l’œuvre est d’autant plus agréable

à l’ouvrier, qu’elle incarne

la bonté du cœur dont elle est sortie,•108

la divine bonté qui marque le monde,

de procéder par toutes ses voies,

pour vous relever, fut heureuse.•111

Entre l’ultime nuit et le premier jour33

un processus si élevé et si magnifique, 

par l’une ou par l’autre voie, ne fut ou ne sera:•114

car Dieu fut plus généreux en se donnant lui-même34

et donc rendre ainsi l’homme capable de se relever,

que s’il avait seul, de lui-même, pardonné;35•117

et tous les autres modes étaient insuffisants

pour la justice, si le Fils de Dieu

ne s’était humilié à s’incarner.•120

Mais pour satisfaire tous tes désirs,

je reviens éclaircir un point,

pour que tu le vois comme moi.•123

Tu dis : “Je vois l’eau, je vois le feu,

l’air et la terre36 et tous leurs mélanges

en venir à se corrompre, et durer peu;•126

et pourtant ces choses furent des créatures ;

donc, si ce qui a été dit est vrai

elles devraient être à l’abri de la corruption”.•129

Les anges, frère, et le ciel pur37

où tu te trouves, peuvent se dire créés,

tels qu’ils sont là, dans leur être entier;•132

mais les éléments que tu as nommés

et ces choses qui se font à partir d’eux

sont formés à partir d’une force créée.•135

Créée fut la matière qu’ils ont ;

créée fut la force38 qui les forma

dans ces étoiles qui tournent autour d’eux.•138

Les rayons et la course des saintes lumières39

tirent l’âme de tout animal et plante,

à partir de sa complexion40 à la puissance potentielle;•141

mais votre vie41 reçoit directement le souffle

de la suprême bonté, qui l’emplit de son amour

afin que vous la désiriez toujours.42•144

Et ainsi tu peux en déduire

la résurrection des corps, si tu repenses

comment la chair des hommes fut faite

lorsque les premiers parents furent faits.»43•148

Cielo secondo • Cielo du Mercurio • Nuovi dubbi di Dante e spiegazioni di Beatrice • Giusta morta di Cristo et giusta vendetta di tal morte • L’uomo non può redimersi • La corruttibilità degli elementi e la resurrezione dei corpi.

« Osanna, sanctus Deus sabaòth,

superillustrans claritate tua

felices ignes horum malacòth!»•3

Così, volgendosi a la nota sua,

fu viso a me cantare essa sustanza,

sopra la qual doppio lume s’addua;•6

ed essa e l’altre mossero a sua danza,

e quasi velocissime faville

mi si velar di sùbita distanza.•9

Io dubitava e dicea “Dille, dille !”

fra me, “dille” dicea, “a la mia donna

che mi diseta con le dolci stille”.•12

Ma quella reverenza che s’indonna

di tutto me, pur per Be e per ice,

mi richinava come l’uom ch’assonna.•15

Poco sofferse me cotal Beatrice

e cominciò, raggiandomi d’un riso

tal, che nel foco faria l’uom felice:•18

« Secondo mio infallibile avviso,

come giusta vendetta giustamente

punita fosse, t’ha in pensier miso;•21

ma io ti solverò tosto la mente ;

e tu ascolta, ché le mie parole

di gran sentenza ti faran presente.•24

Per non soffrire a la virtù che vole

freno a suo prode, quell’ uom che non nacque,

dannando sé, dannò tutta sua prole;•27

onde l’umana specie inferma giacque

giù per secoli molti in grande errore,

fin ch’al Verbo di Dio discender piacque•30

u’ la natura, che dal suo fattore

s’era allungata, unì a sé in persona

con l’atto sol del suo etterno amore.•33

Or drizza il viso a quel ch’or si ragiona :

questa natura al suo fattore unita,

qual fu creata, fu sincera e buona;•36

ma per sé stessa pur fu ella sbandita

di paradiso, però che si torse

da via di verità e da sua vita.•39

La pena dunque che la croce porse

s’a la natura assunta si misura,

nulla già mai sì giustamente morse;•42

e così nulla fu di tanta ingiura,

guardando a la persona che sofferse,

in che era contratta tal natura.•45

Però d’un atto uscir cose diverse :

ch’a Dio e a’ Giudei piacque una morte ;

per lei tremò la terra e ’l ciel s’aperse.•48

Non ti dee oramai parer più forte,

quando si dice che giusta vendetta

poscia vengiata fu da giusta corte.•51

Ma io veggi’ or la tua mente ristretta

di pensiero in pensier dentro ad un nodo,

del qual con gran disio solver s’aspetta.•54

Tu dici : “Ben discerno ciò ch’i’ odo ;

ma perché Dio volesse, m’è occulto,

a nostra redenzion pur questo modo”.•57

Questo decreto, frate, sta sepulto

a li occhi di ciascuno il cui ingegno

ne la fiamma d’amor non è adulto.•60

Veramente, però ch’a questo segno

molto si mira e poco si discerne,

dirò perché tal modo fu più degno.•63

La divina bontà, che da sé sperne

ogne livore, ardendo in sé, sfavilla

sì che dispiega le bellezze etterne.•66

Ciò che da lei sanza mezzo distilla

non ha poi fine, perché non si move

la sua imprenta quand’ ella sigilla.•69

Ciò che da essa sanza mezzo piove

libero è tutto, perché non soggiace

a la virtute de le cose nove.•72

Più l’è conforme, e però più le piace ;

ché l’ardor santo ch’ogne cosa raggia,

ne la più somigliante è più vivace.•75

Di tutte queste dote s’avvantaggia

l’umana creatura, e s’una manca,

di sua nobilità convien che caggia.•78

Solo il peccato è quel che la disfranca

e falla dissimìle al sommo bene,

per che del lume suo poco s’imbianca;•81

e in sua dignità mai non rivene,

se non rïempie, dove colpa vòta,

contra mal dilettar con giuste pene.•84

Vostra natura, quando peccò tota

nel seme suo, da queste dignitadi,

come di paradiso, fu remota;•87

né ricovrar potiensi, se tu badi

ben sottilmente, per alcuna via,

sanza passar per un di questi guadi:•90

o che Dio solo per sua cortesia

dimesso avesse, o che l’uom per sé isso

avesse sodisfatto a sua follia.•93

Ficca mo l’occhio per entro l’abisso

de l’etterno consiglio, quanto puoi

al mio parlar distrettamente fisso.•96

Non potea l’uomo ne’ termini suoi

mai sodisfar, per non potere ir giuso

con umiltate obedïendo poi,•99

quanto disobediendo intese ir suso ;

e questa è la cagion per che l’uom fue

da poter sodisfar per sé dischiuso.•102

Dunque a Dio convenia con le vie sue

riparar l’omo a sua intera vita,

dico con l’una, o ver con amendue.•105

Ma perché l’ovra tanto è più gradita

da l’operante, quanto più appresenta

de la bontà del core ond’ ell’ è uscita,•108

la divina bontà che ’l mondo imprenta,

di proceder per tutte le sue vie,

a rilevarvi suso, fu contenta.•111

Né tra l’ultima notte e ’l primo die

sì alto o sì magnifico processo,

o per l’una o per l’altra, fu o fie:•114

ché più largo fu Dio a dar sé stesso

per far l’uom sufficiente a rilevarsi,

che s’elli avesse sol da sé dimesso;•117

e tutti li altri modi erano scarsi

a la giustizia, se ’l Figliuol di Dio

non fosse umilïato ad incarnarsi.•120

Or per empierti bene ogne disio,

ritorno a dichiararti in alcun loco,

perché tu veggi lì così com’ io.•123

Tu dici : “Io veggio l’acqua, io veggio il foco,

l’aere e la terra e tutte lor misture

venire a corruzione, e durar poco;•126

e queste cose pur furon creature ;

per che, se ciò ch’è detto è stato vero,

esser dovrien da corruzion sicure”.•129

Li angeli, frate, e ’l paese sincero

nel qual tu se’, dir si posson creati,

sì come sono, in loro essere intero;•132

ma li alimenti che tu hai nomati

e quelle cose che di lor si fanno

da creata virtù sono informati.•135

Creata fu la materia ch’elli hanno ;

creata fu la virtù informante

in queste stelle che ’ntorno a lor vanno.•138

L’anima d’ogne bruto e de le piante

di complession potenzïata tira

lo raggio e ’l moto de le luci sante;•141

ma vostra vita sanza mezzo spira

la somma beninanza, e la innamora

di sé sì che poi sempre la disira.•144

E quinci puoi argomentare ancora

vostra resurrezion, se tu ripensi

come l’umana carne fessi allora

che li primi parenti intrambo fensi».•148