Le Paradis – Chant XV

Dante et Cacciaguida, par Giovanni di Paola (vers 1450) — Manuscrit — British Museum — Domaine public
Cinquième ciel • Ciel de Mars • Silence des bienheureux • L’accueil joyeux de Cacciaguida à Dante • Dialogue entre le trisaïeul et son arrière petit-enfant • Éloge de l’antique Florence • Vie, mort et salut de Cacciaguida.

Cette volonté bénigne en laquelle se fond 

toujours l’amour dont le souffle est juste,1

—comme la cupidité le fait dans l’iniquité—•3

imposa le silence à cette douce lyre,

et fit taire les saintes cordes 

que la main du ciel détend et tire.2•6 

Comment seraient sourdes aux justes prières 

ces âmes qui, pour me donner désir  

de les prier, en accord se turent?3•9

Il est juste que sans fin souffre 

celui qui, par amour de choses qui ne durent pas, 

éternellement de cet amour-là se dépouille.4•12

Comme dans les cieux sereins et purs 

file de temps en temps une flamme soudaine,

attirant les yeux qui se tenaient bien tranquilles,•15 

elle semble une étoile qui se déplace,

si ce n’est que du côté où elle s’enflamme 

rien ne s’est perdu, et elle dure peu:5 •18 

ainsi partant du bras6 qui s’étend à droite

jusqu’au pied de cette croix couru un astre

de la constellation qui resplendissait ici;•21

la gemme sur son ruban

glissa le long du cœur de la croix,

semblable à une flamme derrière l’albâtre.7•24

Aussi tendre s’offrit l’ombre d’Anchise,

si notre plus grande muse mérite foi,

quand dans l’Élysée il aperçut son fils.8•27

« O sanguis meus, o superinfusa

gratïa Deï, sicut tibi cui 

bis unquam celi ianüa reclusa?»9•30

Ainsi parla cette lumière : aussi je lui fus attentif ; 

puis je tournai mon regard vers ma dame,

et d’un côté comme de l’autre je fus étonné;•33

car dans ses yeux brûlait un rire

tel, que je pensai avec les miens toucher le fond

de ma grâce et de mon paradis.•36

Alors, réjouissant à écouter et à voir,

l’esprit ajouta à sa première phrase des choses, 

que je ne compris pas tant étaient profondes ses paroles;•39

Il fut obscur non par choix,

mais par nécessité, car sa pensée

outre-passait les limites d’un mortel.10•42

Et quand l’arc de son ardente affection

se fut détendu, et que ses paroles se mirent

à la portée de notre intelligence,•45

la première chose que je compris,

fut « Béni sois-tu trine et un,11

qui envers ma lignée est si bienveillant!».•48

Et il poursuivit : « Ce doux et long désir,

que j’ai mûri en lisant le grand livre

où ne change jamais blanc ni brun,12 •51

tu l’as satisfait, fils, —de cette lumière

d’où je te parle— grâce à celle

qui te prodigua des ailes pour ce haut vol.13•54

Tu crois que ta pensée me parvient

par celui qui est premier, comme du un

rayonnent, si cela se sait, le cinq et le six;14•57

et donc ne me demande pas qui je suis

et pourquoi je t’apparais plus joyeux,

qu’aucun autre dans cette joyeuse foule.15•60

Tu crois le vrai ; tous, petits comme grands

de cette vie regardent dans le miroir

où, avant même de penser, pensée s’y reflète;16•63

mais pour que l’amour sacré dans lequel je veille

en une contemplation perpétuelle, et qui m’excite

de doux désir, soit mieux accompli,•66

que ta voix sans crainte, hardie et joyeuse

sonne ta volonté, sonne ton désir,

ma réponse est déjà prête.»•69

Je me tournai vers Béatrice, elle entendit

avant que je parle, et me sourit d’un signe

qui fit grandir les ailes de mon désir.•72

Puis je commençai ainsi : « Le sentiment et la raison,

dès que la première égalité vous apparut,

fut d’un même poids en chacun de vous,•75

car le soleil, qui vous éclaire et vous brûle

de chaleur et de lumière, est si égal,

que toute comparaison serait incongrue.17•78

Mais désir et argumentation chez les mortels,

pour la raison qui vous est connue,

ont des ailes diversement couvertes de plumes;18•81

aussi moi, qui suis mortel, je me sens dans cette

disparité, et pour cela je ne peux remercier

qu’avec le cœur la joie paternelle.•84

Je te supplie, vif topaze

serti dans ce précieux joyau,

de me rassasier de ton nom.»•87

« Ô mon feuillage, en lequel me plaisait

même l’attente, je fus ta racine » :

ainsi commença sa réponse.•90

Puis il me dit : « Celui dont vient

ton nom et qui depuis plus de cent ans

tourne sur la première corniche du mont,19•93

mon fils fut et ton bisaïeul fut :

il convient que sa longue peine

tu raccourcisses avec tes bonnes œuvres.20•96

Florence22 dans l’antique enceinte,23  

où sonne encore tierce et none,

se tenait en paix, sobre et pudique.24•99

Il n’y avait alors ni chaînette ni couronne

ni robe brodée ni ceinture

qui soient à voir plus que la personne.25•102

La fille, en naissant, ne faisait pas

encore peur à son père, car ni l’âge ni la dot

n’échappaient à toute mesure.26•105

Il n’y avait pas de maison vide de famille;27

il n’était pas encore arrivé Sardanapale pour montrer

ce qui se peut seulement dans une chambre.28•108

Montemalo n’était pas encore vaincu

par votre Uccellatioi, car, vaincu lors de l’essor,

il le sera pareillement lors du déclin.29•111

Je vis Bellincion Berti aller ceint

de cuir et d’os, et sa dame

quitter le miroir sans avoir le visage peint;30•114

et je vis des Nerli et des Vecchio

se contenter de peau non doublée,

et leurs dames au fuseau et à la quenouille.31•117

Oh fortunées ! chacune était sûre

de sa sépulture,32 et aucune n’était encore, 

pour la France, dans un lit déserté.33•120

L’une veillait sur le berceau avec soin,

et, pour consoler, parlait ce langage enfantin

qui amuse d’abord les pères et les mères;•123

l’autre, tirant l’écheveau de son rochet,

racontait avec sa famille les fables

des Troyens, de Fiesole et de Rome.34•126

Une Cianghella,35 un Lapo Salterello36 

auraient alors paru aussi surprenant

que maintenant Cincinnatus et Cornelia.37•129

En une telle tranquillité, en un tel bien-vivre

citoyen, en une telle communauté

fidèle, en un telle douce demeure,•132

Marie me donna le jour, appelée à grands cris;38

et dans votre antique Baptistère39

en même temps je fus chrétien et Cacciaguida.40•135

Moronto fut mon frère et Eliseo;41

ma dame vint à moi de la vallée du Pô,

et c’est ainsi que se fit le nom que tu portes.42•138

Puis je suivis l’empereur Conrad;43

il me fit chevalier dans son armée,

et de mon bon ouvrage fut reconnaissant.44•141

Derrière lui j’allais contre l’iniquité

de cette loi par laquelle le peuple usurpe,

par la faute de pasteurs, votre justice.45•144

C’est là que je fus par ces gens impurs46

libéré du monde trompeur,

dont l’amour souille de nombreuses âmes ;

et je vins du martyr à cette paix.»47•148

Cielo quinto • Cielo di Marte • Silenzio dei beati • Accoglienza festosa di Cacciaguida a Dante • Dialogo fra trisavolo e il suo pronipote • Lodi delle Fiorenza antica • Vita, morte e salvazione di Cacciaguida. 
Benigna volontade in che si liqua

sempre l’amor che drittamente spira,

come cupidità fa ne la iniqua,•3

silenzio puose a quella dolce lira,

e fece quïetar le sante corde

che la destra del cielo allenta e tira.•6

Come saranno a’ giusti preghi sorde

quelle sustanze che, per darmi voglia

ch’io le pregassi, a tacer fur concorde?•9

Bene è che sanza termine si doglia

chi, per amor di cosa che non duri

etternalmente, quello amor si spoglia.•12

Quale per li seren tranquilli e puri

discorre ad ora ad or sùbito foco,

movendo li occhi che stavan sicuri,•15

e pare stella che tramuti loco,

se non che da la parte ond’ e’ s’accende

nulla sen perde, ed esso dura poco:•18

tale dal corno che ’n destro si stende

a piè di quella croce corse un astro

de la costellazion che lì resplende;•21

né si partì la gemma dal suo nastro,

ma per la lista radïal trascorse,

che parve foco dietro ad alabastro.•24

Sì pïa l’ombra d’Anchise si porse,

se fede merta nostra maggior musa,

quando in Eliso del figlio s’accorse.•27

« O sanguis meus, o superinfusa

gratïa Deï, sicut tibi cui

bis unquam celi ianüa reclusa?».•30

Così quel lume : ond’ io m’attesi a lui ;

poscia rivolsi a la mia donna il viso,

e quinci e quindi stupefatto fui;•33

ché dentro a li occhi suoi ardeva un riso

tal, ch’io pensai co’ miei toccar lo fondo

de la mia gloria e del mio paradiso.•36

Indi, a udire e a veder giocondo,

giunse lo spirto al suo principio cose,

ch’io non lo ’ntesi, sì parlò profondo;•39

né per elezïon mi si nascose,

ma per necessità, ché ’l suo concetto

al segno d’i mortal si soprapuose.•42

E quando l’arco de l’ardente affetto

fu sì sfogato, che ’l parlar discese

inver’ lo segno del nostro intelletto,•45

la prima cosa che per me s’intese,

« Benedetto sia tu », fu, « trino e uno,

che nel mio seme se’ tanto cortese!».•48

E seguì : « Grato e lontano digiuno,

tratto leggendo del magno volume

du’ non si muta mai bianco né bruno,•51

solvuto hai, figlio, dentro a questo lume

in ch’io ti parlo, mercé di colei

ch’a l’alto volo ti vestì le piume.•54

Tu credi che a me tuo pensier mei

da quel ch’è primo, così come raia

da l’un, se si conosce, il cinque e ’l sei;•57

e però ch’io mi sia e perch’ io paia

più gaudïoso a te, non mi domandi,

che alcun altro in questa turba gaia.•60

Tu credi ’l vero ; ché i minori e ’ grandi

di questa vita miran ne lo speglio

in che, prima che pensi, il pensier pandi;•63

ma perché ’l sacro amore in che io veglio

con perpetüa vista e che m’asseta

di dolce disïar, s’adempia meglio,•66

la voce tua sicura, balda e lieta

suoni la volontà, suoni ’l disio,

a che la mia risposta è già decreta!».•69

Io mi volsi a Beatrice, e quella udio

pria ch’io parlassi, e arrisemi un cenno

che fece crescer l’ali al voler mio.•72

Poi cominciai così : « L’affetto e ’l senno,

come la prima equalità v’apparse,

d’un peso per ciascun di voi si fenno,•75

però che ’l sol che v’allumò e arse,

col caldo e con la luce è sì iguali,

che tutte simiglianze sono scarse.•78

Ma voglia e argomento ne’ mortali,

per la cagion ch’a voi è manifesta,

diversamente son pennuti in ali;•81

ond’ io, che son mortal, mi sento in questa

disagguaglianza, e però non ringrazio

se non col core a la paterna festa.•84

Ben supplico io a te, vivo topazio

che questa gioia prezïosa ingemmi,

perché mi facci del tuo nome sazio».•87

« O fronda mia in che io compiacemmi

pur aspettando, io fui la tua radice » :

cotal principio, rispondendo, femmi.•90

Poscia mi disse : « Quel da cui si dice

tua cognazione e che cent’ anni e piùe

girato ha ’l monte in la prima cornice,•93

mio figlio fu e tuo bisavol fue :

ben si convien che la lunga fatica

tu li raccorci con l’opere tue.•96

Fiorenza dentro da la cerchia antica,

ond’ ella toglie ancora e terza e nona,

si stava in pace, sobria e pudica.•99

Non avea catenella, non corona,

non gonne contigiate, non cintura

che fosse a veder più che la persona.•102

Non faceva, nascendo, ancor paura

la figlia al padre, ché ’l tempo e la dote

non fuggien quinci e quindi la misura.•105

Non avea case di famiglia vòte ;

non v’era giunto ancor Sardanapalo

a mostrar ciò che ’n camera si puote.•108

Non era vinto ancora Montemalo

dal vostro Uccellatoio, che, com’ è vinto

nel montar sù, così sarà nel calo.•111

Bellincion Berti vid’ io andar cinto

di cuoio e d’osso, e venir da lo specchio

la donna sua sanza ’l viso dipinto;•114

e vidi quel d’i Nerli e quel del Vecchio

esser contenti a la pelle scoperta,

e le sue donne al fuso e al pennecchio.•117

Oh fortunate ! ciascuna era certa

de la sua sepultura, e ancor nulla

era per Francia nel letto diserta.•120

L’una vegghiava a studio de la culla,

e, consolando, usava l’idïoma

che prima i padri e le madri trastulla;•123

l’altra, traendo a la rocca la chioma,

favoleggiava con la sua famiglia

d’i Troiani, di Fiesole e di Roma.•126

Saria tenuta allor tal maraviglia

una Cianghella, un Lapo Salterello,

qual or saria Cincinnato e Corniglia.•129

A così riposato, a così bello

viver di cittadini, a così fida

cittadinanza, a così dolce ostello,•132

Maria mi diè, chiamata in alte grida ;

e ne l’antico vostro Batisteo

insieme fui cristiano e Cacciaguida.•135

Moronto fu mio frate ed Eliseo ;

mia donna venne a me di val di Pado,

e quindi il sopranome tuo si feo.•138

Poi seguitai lo ’mperador Currado ;

ed el mi cinse de la sua milizia,

tanto per bene ovrar li venni in grado.•141

Dietro li andai incontro a la nequizia

di quella legge il cui popolo usurpa,

per colpa d’i pastor, vostra giustizia.•144

Quivi fu’ io da quella gente turpa

disviluppato dal mondo fallace,

lo cui amor molt’ anime deturpa ;

e venni dal martiro a questa pace».•148