Le Paradis – Chant XXX
Illustration du Chant XXX, par Sandro Boticelli (1490)
Dixième ciel • Empyrée • Disparition du point et des neufs cercles angéliques • Ineffable beauté de Béatrice • Fleuve de lumière, fleurs et étincelles • La Rose céleste • Le siège préparé pour Henri VII.
Peut-être éloignée de six mille milles
l’heure de sexte s’embrase, et déjà l’ombre
de notre monde s’abaisse quasi sur l’horizon,1•3
quand la moitié la plus profonde du ciel,2
commence à se faire telle, que sur ce fond
quelque étoile perd son éclat;•6
au fur et à mesure qu’avance
la lumineuse servante du soleil, le ciel s’éteint
étoile après étoile jusqu’à la plus belle.3•9
Pareillement le triomphe qui toujours
s’amuse tournoyant autour du point qui me vainquit,
semblant contenu dans ce qu’il contient,•12
peu à peu à mon regard s’éteignit;4
alors ne plus rien voir et amour me contraignirent
à tourner de nouveau les yeux vers Béatrice.5•15
Si tout ce qui s’est dit ici sur elle
était enfermé en une seule louange,
ce serait peu pour réussir cette tâche.•18
La beauté que je vis dépasse
non seulement nos sens, mais je crois pour certain
que seul son créateur puisse en jouir toute.•21
Par cette difficulté je m’avoue vaincu
plus que jamais ne le fut, par un point de son œuvre,
un auteur de comédie ou de tragédie:•24
car, comme le soleil agit sur une vue faible,
ainsi dans mon esprit le souvenir du doux sourire
s’est de la même manière affaibli.•27
Du premier jour où je vis son visage
dans cette vie, jusqu’à cette vision,
mon chant ne fut jamais interrompu:•30
mais à présent il me faut renoncer
à poursuivre sa beauté de mes rimes
comme tout artiste à son extrême.6•33
Celle que je laisse à plus grande voix
que celle de ma poésie, qui s’efforce de
mener à son terme la difficile matière,•36
avec le geste et la voix d’un guide empressé7
commença : « Nous sommes hors
du plus grand corps, dans le ciel de lumière pure:•39
lumière intellectuelle, emplie d’amour;8
amour du vrai bien, empli de béatitude ;
béatitude qui transcende toute douceur.•42
Ici tu verras l’une et l’autre milice
du paradis, et l’une dans cet aspect
que tu verras au dernier jugement».9•45
Comme un éclair soudain perturbe
la faculté de voir, et empêche
l’œil de percevoir de plus forts objets,•48
une vive lumière éclata tout autour de moi,
qui me laissa enveloppé du voile
de sa flamme, et plus rien ne m’apparut.10•51
« L’amour qui rend serein ce ciel
accueille toujours avec semblable salut,
pour apprêter l’âme à sa flamme».•54
À peine me furent parvenues
ces brèves paroles, que je compris
que je surpassais mes propres facultés;•57
et d’une nouvelle vue je me rallumai
telle qu’il n’est nulle lumière, si brillante soit elle,
dont mes yeux pussent se défendre;11•60
et je vis lumière en forme de fleuve
resplendissant d’éclats de lumière, entre deux rives
peintes d’un merveilleux printemps.12•63
De ce fleuve jaillissaient de vives étincelles,13
qui de toutes parts se posaient au milieu des fleurs,14
quasi rubis qu’or enchâsse;•66
puis, comme enivrées par les parfums,
elles se replongeaient dans le merveilleux tourbillon,
et si une entrait, une autre en jaillissait.•69
« Le haut désir qui t’enflamme et te presse,
d’avoir claire connaissance de ce que tu vois,
plus il enfle, plus il me plaît;•72
mais de cette eau il faut que tu boives
avant que ta si grande soif soit étanchée»:15
ainsi me parla le soleil de mes yeux.16• 75
Puis elle ajouta : « Le fleuve et les topazes
qui plongent et jaillissent et les rires de l’herbe
ne sont qu’ombreuse préfiguration de leur vrai.•78
Non que ces choses ne soient pas mûres ;
mais le défaut tient en ta part,
car ta vue n’est pas encore assez pénétrante».17•81
Il n’est pas de poupon qui se rue
aussi vite, son visage vers le lait, s’il s’éveille
bien plus tard qu’à son habitude,18•84
que je le fis, pour faire encore meilleur
miroir de mes yeux, m’inclinant vers l’onde
qui coule ainsi car nous y devenons meilleur;19•87
et comme l’ourlet de mes paupières
buvait de cette eau, elle me parut20
de longueur devenir cercle.21•90
Puis, comme gens masqués,
paraissent différents s’ils quittent
l’apparence derrière laquelle ils sont cachés,•93
les fleurs et les étincelles firent
plus grande fête, et ainsi je vis
se révéler les deux cours du ciel.22•96
Ô splendeur de Dieu, par qui je vis
le haut triomphe du règne véritable,
donne-moi la force de dire comme je le vis!23 •99
Une lumière là-haut rend visible
le créateur à cette créature
qui ne trouve la paix qu’en le regardant.•102
Et elle s’étend en une figure circulaire,
si vaste que sa circonférence
serait au soleil trop large ceinture.•105
Toute son apparence est faite d’un rayon24
qui se réfléchit au sommet du premier mobile,
qui prend ainsi vie et force.25•108
Et comme une colline se mire26
dans l’eau à ses pieds, pour le plaisir de voir
comme elle est riche d’herbages et de fleurs,•111
ainsi, surplombant cet amphithéâtre de lumière
je vis se refléter en plus de mille degrés
tant d’âmes qui y avaient fait leur retour.27•114
Et si le le plus bas degré recueille
tant de lumières, quelle peut-être la largeur
de cette rose en ses extrêmes pétales!28•117
Ma vue dans son amplitude et sa hauteur
ne se perdait pas, mais absorbait tout,
en quantité comme en qualité, de cette allégresse.•120
Là, être proche ou éloigné n’ajoute ni ne retire rien:
car où Dieu sans intercession gouverne,
la loi naturelle ne compte pas.29•123
Au cœur d’or de la rose perpétuelle,30
qui s’élève d’étage en étage et répand
le parfum des louanges au soleil de l’éternel printemps,•126
comme celui qui veut parler et se tait,
m’attire Béatrice et me dit : «Admire,
comme est grand le couvent des blancs habits!31•129
Vois comme le cercle de notre cité est large;32
vois nos sièges si remplis, et
comme peu de gens y sont encore désirés.33•132
Et sur ce grand siège sur lequel tu tiens tes yeux
par la couronne qui déjà y est posée,
avant que tu dînes à ces noces,•135
siégera l’âme, qui sur terre sera auguste,34
du haut Henri, et qui pour diriger l’Italie
viendra avant que celle-ci y soit disposée.35 •138
L’aveugle cupidité qui vous ensorcelle
vous a fait semblable à l’enfant
qui meurt de faim mais chasse la nourrice.•141
Et alors sera préfet du forum divin
tel, qui ouvertement et à couvert,
ne suivra pas le même chemin.36•144
Mais peu de temps il sera souffert par Dieu
dans le saint office: il sera précipité
là où SImon le mage est pour son mérite,
et poussera celui d’Anagni plus profond».37•148
Cielo decimo • Empireo • Scomparsa del punto e dei nove cerchi angelici • Ineffabile bellezza di Beatrice • Fiume di luce, fiori e scintilli • La Rosa candida • Il “gran seggio” preparato per Arrigo VII.
Forse semilia miglia di lontano
ci ferve l’ora sesta, e questo mondo
china già l’ombra quasi al letto piano,•3
quando ’l mezzo del cielo, a noi profondo,
comincia a farsi tal, ch’alcuna stella
perde il parere infino a questo fondo;•6
e come vien la chiarissima ancella
del sol più oltre, così ’l ciel si chiude
di vista in vista infino a la più bella.•9
Non altrimenti il trïunfo che lude
sempre dintorno al punto che mi vinse,
parendo inchiuso da quel ch’elli ’nchiude,•12
a poco a poco al mio veder si stinse :
per che tornar con li occhi a Bëatrice
nulla vedere e amor mi costrinse.•15
Se quanto infino a qui di lei si dice
fosse conchiuso tutto in una loda,
poca sarebbe a fornir questa vice.•18
La bellezza ch’io vidi si trasmoda
non pur di là da noi, ma certo io credo
che solo il suo fattor tutta la goda.•21 `
Da questo passo vinto mi concedo
più che già mai da punto di suo tema
soprato fosse comico o tragedo:•24
ché, come sole in viso che più trema,
così lo rimembrar del dolce riso
la mente mia da me medesmo scema.•27
Dal primo giorno ch’i’ vidi il suo viso
in questa vita, infino a questa vista,
non m’è il seguire al mio cantar preciso;•30
ma or convien che mio seguir desista
più dietro a sua bellezza, poetando,
come a l’ultimo suo ciascuno artista.•33
Cotal qual io la lascio a maggior bando
che quel de la mia tuba, che deduce
l’ardüa sua matera terminando,•36
con atto e voce di spedito duce
ricominciò : « Noi siamo usciti fore
del maggior corpo al ciel ch’è pura luce:•39
luce intellettüal, piena d’amore ;
amor di vero ben, pien di letizia ;
letizia che trascende ogne dolzore.•42
Qui vederai l’una e l’altra milizia
di paradiso, e l’una in quelli aspetti
che tu vedrai a l’ultima giustizia».•45
Come sùbito lampo che discetti
li spiriti visivi, sì che priva
da l’atto l’occhio di più forti obietti,•48
così mi circunfulse luce viva,
e lasciommi fasciato di tal velo
del suo fulgor, che nulla m’appariva.•51
« Sempre ’amor che queta questo cielo
accoglie in sé con sì fatta salute,
per far disposto a sua fiamma il candelo».•54
Non fur più tosto dentro a me venute
queste parole brievi, ch’io compresi
me sormontar di sopr’ a mia virtute;•57
e di novella vista mi raccesi
tale, che nulla luce è tanto mera,
che li occhi miei non si fosser difesi;•60
e vidi lume in forma di rivera
fulvido di fulgore, intra due rive
dipinte di mirabil primavera.•63
Di tal fiumana uscian faville vive,
e d’ogne parte si mettien ne’ fiori,
quasi rubin che oro circunscrive;•66
poi, come inebrïate da li odori,
riprofondavan sé nel miro gurge,
e s’una intrava, un’altra n’uscia fori.•69
« L’alto disio che mo t’infiamma e urge,
d’aver notizia di ciò che tu vei,
tanto mi piace più quanto più turge;•72
ma di quest’ acqua convien che tu bei
prima che tanta sete in te si sazi » :
così mi disse il sol de li occhi miei.•75
Anche soggiunse : « Il fiume e li topazi
ch’entrano ed escono e ’l rider de l’erbe
son di lor vero umbriferi prefazi.•78
Non che da sé sian queste cose acerbe ;
ma è difetto da la parte tua,
che non hai viste ancor tanto superbe».•81
Non è fantin che sì sùbito rua
col volto verso il latte, se si svegli
molto tardato da l’usanza sua,•84
come fec’ io, per far migliori spegli
ancor de li occhi, chinandomi a l’onda
che si deriva perché vi s’immegli;•87
e sì come di lei bevve la gronda
de le palpebre mie, così mi parve
di sua lunghezza divenuta tonda.•90
Poi, come gente stata sotto larve,
che pare altro che prima, se si sveste
la sembianza non süa in che disparve,•93
così mi si cambiaro in maggior feste
li fiori e le faville, sì ch’io vidi
ambo le corti del ciel manifeste.•96
O isplendor di Dio, per cu’ io vidi
l’alto trïunfo del regno verace,
dammi virtù a dir com’ ïo il vidi!•99
Lume è là sù che visibile face
lo creatore a quella creatura
che solo in lui vedere ha la sua pace.•102
E’ si distende in circular figura,
in tanto che la sua circunferenza
sarebbe al sol troppo larga cintura.•105
Fassi di raggio tutta sua parvenza
reflesso al sommo del mobile primo,
che prende quindi vivere e potenza.•108
E come clivo in acqua di suo imo
si specchia, quasi per vedersi addorno,
quando è nel verde e ne’ fioretti opimo,•111
sì, soprastando al lume intorno intorno,
vidi specchiarsi in più di mille soglie
quanto di noi là sù fatto ha ritorno.•114
E se l’infimo grado in sé raccoglie
sì grande lume, quanta è la larghezza
di questa rosa ne l’estreme foglie!•117
La vista mia ne l’ampio e ne l’altezza
non si smarriva, ma tutto prendeva
il quanto e ’l quale di quella allegrezza.•120
Presso e lontano, lì, né pon né leva :
ché dove Dio sanza mezzo governa,
la legge natural nulla rileva.•123
Nel giallo de la rosa sempiterna,
che si digrada e dilata e redole
odor di lode al sol che sempre verna,•126
qual è colui che tace e dicer vole,
mi trasse Bëatrice, e disse : « Mira
quanto è ’l convento de le bianche stole!•129
Vedi nostra città quant’ ella gira ;
vedi li nostri scanni sì ripieni,
che poca gente più ci si disira.•132
E ’n quel gran seggio a che tu li occhi tieni
per la corona che già v’è sù posta,
prima che tu a queste nozze ceni,•135
sederà l’alma, che fia giù agosta,
de l’alto Arrigo, ch’a drizzare Italia
verrà in prima ch’ella sia disposta.•138
La cieca cupidigia che v’ammalia
simili fatti v’ha al fantolino
che muor per fame e caccia via la balia.•141
E fia prefetto nel foro divino
allora tal, che palese e coverto
non anderà con lui per un cammino.•144
Ma poco poi sarà da Dio sofferto
nel santo officio ; ch’el sarà detruso
là dove Simon mago è per suo merto,
e farà quel d’Alagna intrar più giuso».•148