Le Paradis – Chant XXXII

Candida_Rosa_Canto_32_Paradiso_G._di_Paolo
Miniature de Giovani di Paolo représentant Dante et Béatrice devant la Vierge Marie entourée d’enfants et de plusieurs saints. (vers 1450).

Dixième Ciel • Empyrée • Disposition des bienheureux dans la Rose céleste • Les enfants innocents • Glorification de Marie par l’archange Gabriel • Les « grands patrices” de l’Empire céleste • Nécessité d’invoquer Marie.  

Absorbé en son plaisir, ce contemplatif1 

prit librement la charge de docteur,

et commença ces saintes paroles:2 •3 

« La plaie que Marie ferma et soigna,3 

celle qui est si belle à ses pieds 

fut celle qui l’ouvrit et l’empira.4•6 

Dans le rang que forment les troisièmes sièges 

est assise Rachel en dessous d’elle 

à côté de Béatrice, comme tu peux le voir.5•9 

Sarah et Rébecca, Judith qui fut6

la bisaïeule du chanteur qui par douleur 

de sa faute dit “Miserere mei”,7•12 

tu peux les voir ainsi de seuil en seuil 

en descendant, comme je les nomme 

allant par la rose de pétale en pétale.•15 

En dessous de ce septième degré, comme il en était 

jusqu’à lui, s’étagent des Juives, 

séparant en deux la corolle de la fleur;•18 

car, par leur regard sur la 

foi en Christ, elles forment le mur 

qui divise les escaliers sacrés.8•21 

Dans cette part où la fleur est mûre 

en tous ses pétales, sont assis 

ceux qui crurent dans le Christ à venir;9 •24 

Dans l’autre part aux demi cercles 

entrecoupés de vide, se tiennent 

ceux qui tinrent sur le Christ avenu leur regard.10•27 

Et comme de ce côté le glorieux siège 

de la dame du ciel et les autres sièges 

sous lui forment une forte division,•30 

de même en face celle du grand Jean11

qui souffrit, toujours saint, le désert et le martyr12 

puis pendant deux années l’enfer;13•33 

et sous lui, pour continuer dans cette division, 

François, Benoît et Augustin 

et d’autres jusqu’en bas, de cercle en cercle.14•36 

Or considère la haute providence divine : 

car l’un et l’autre aspect de la foi 

emplira également ce jardin.15•39 

Et sache qu’en dessous du gradin qui coupe 

à mi-hauteur les deux divisions, 

on n’y siège non par mérite propre,•42 

mais par ceux d’autres, à certaines conditions : 

car tous ceux-ci sont esprits libérés 

avant de pouvoir faire libre choix.16•45 

Tu peux le remarquer aux visages 

et aussi aux voix puériles, 

si tu les regardes et écoutes bien.•48 

À présent tu doutes et doutant fait silence ;

mais je détacherai les forts liens 

qui serrent tes pensées subtiles.17•51 

Dans toute l’étendue de ce royaume 

le hasard ne peut avoir de place, 

non plus que tristesse ou soif ou faim:•54 

car tout ce que tu vois est établi 

selon la loi éternelle, si bien que cela se répond 

parfaitement comme l’anneau passé au doigt;.•57 

et donc ces gens pressés de venir 

à la vraie vie ce n’est pas sans raison 

qu’ils sont placés plus ou moins excellemment.18•60 

Le roi par lequel ce royaume repose 

en tel amour et en telle joie, 

que nulle volonté n’en désire de plus grand,•63 

en créant toutes les âmes à sa joyeuse 

apparence, il les dote différemment de grâce, 

selon son plaisir ; de cela prend note.•66 

Et cela est exprimé clairement 

dans les Saintes Écritures avec ces jumeaux 

qui, dans leur mère, se heurtaient de colère:19•69 

donc, il est juste que selon la couleur 

des cheveux, la haute lumière 

couronne comme il convient les bienheureux.•72 

C’est pourquoi, sans mérite dû à leurs œuvres, 

ils sont placés dans différents gradins, 

ne différant que par leur premier regard.20•75 

Il suffisait pour obtenir le salut 

dans les siècles neufs, outre l’innocence, 

que les parents aient la foi;21•78 

puis quand les premiers âges furent accomplis, 

il fallut que pour leurs ailes innocentes les mâles, 

par la circoncision, acquièrent force;22•81 

mais quand vint le temps de la grâce, 

faute du baptême parfait en Christ,23

cette innocence fut retenue là-bas.24•84 

Regarde à présent le visage qui au Christ 

ressemble le plus, car sa clarté

seule peut te disposer à voir le Christ».25 •87 

Je vis sur elle tant d’allégresse 

pleuvoir, portée par ces esprits saints 

créés pour voler et parcourir cette hauteur,26•90 

que tout ce que j’avais vu auparavant, 

ne m’avait pas tenu en telle admiration, 

ni montré avec Dieu telle ressemblance;•93 

et cet amour qui jadis était venu à elle, 

en chantant “Ave Maria, gratia plena”, 

devant elle déploya ses ailes.27•96 

Au chant divin, répondit,28 

de toutes parts, la bienheureuse cour,29 

faisant tous les visages plus sereins.•99 

« Ô saint père, qui pour moi souffre 

d’être ici bas, laissant le doux lieu 

où tu sièges par éternel destin,30•102 

quel est cet ange qui avec tant de joie31 

regarde dans les yeux notre reine32 

avec tant d’amour qu’il semble flamme vivante?».•105 

Ainsi je recourus encore à la science 

de celui qui s’embellissait de Marie 

comme du soleil l’étoile matutinale.33•108 

Et lui à moi : « Assurance et légèreté 

qui peuvent être en ange ou en âme, 

sont toutes en lui ; nous voulons qu’il en soit ainsi,•111 

car il est celui qui porta la palme 

à Marie, quand le Fils de Dieu 

voulu porter la charge de notre corps.34•114 

Mais maintenant suis des yeux ce que 

je te dirai, et observe les grands patrices 

de cet empire très juste et pieux.•117 

Ces deux qui siègent là-haut, plus heureux 

car les plus proches de l’Impératrice,35

sont de cette rose comme les deux racines:36 •120 

celui qui à sa gauche se tient proche 

est le père dont l’impudent appétit fit que 

l’espèce humaine goûta tant d’amertume;37•123 

à droite tu vois ce père vénérable 

de la Sainte Église dans les mains duquel

le Christ remit les clefs de cette fleur splendide.38•126 

Et celui qui, avant de mourir, 

vit tout des temps difficiles de la belle épouse, 

qui fut conquise par lance et clous,39•129 

siège à ses côtés, et le long de l’autre se tient 

ce duc sous lequel vécut de manne40 

le peuple ingrat, inconstant et rétif.41•132 

Face à Pierre tu vois siéger Anne, 

si heureuse de regarder sa fille, 

qu’elle ne la quitte des yeux pour chanter hosanna;42•135 

et face au plus grand des pères de famille 

est assise Lucie, qui alerta ta dame 

quand, prêt à renoncer, tu courbais les cils.43•138 

Mais parce que fuit le temps qui t’endort,44 

ici nous nous arrêterons, comme bon tailleur 

fait un habit du seul drap qu’il a;45 •141 

et nous lèverons les yeux vers le premier amour,46 

si bien que, regardant vers lui, tu pénètres 

autant qu’il est possible dans son éclat.•144 

Toutefois, afin que tu ne recules pas, 

battant de tes ailes, en croyant avancer, 

 tu dois, par la prière, obtenir la grâce,•147 

la grâce de celle qui peut t’aider ; 

et tu me suivras de tout ton être, 

afin que de mon dire ton cœur ne s’écarte».47 

Et il commença cette sainte oraison:•151

Cielo decimo • Empireo • Disposizione dei beati nella Candida Rosa • I fanciulli innocenti • Glorificazione di Maria dall’arcangelo Gabriele • I « gran patrici” dell’impero celeste • La necessità di invocare Maria. 

Affetto al suo piacer, quel contemplante

libero officio di dottore assunse,

e cominciò queste parole sante:•3 

« La piaga che Maria richiuse e unse,

quella ch’è tanto bella da’ suoi piedi

è colei che l’aperse e che la punse.•6 

Ne l’ordine che fanno i terzi sedi,

siede Rachel di sotto da costei

con Bëatrice, sì come tu vedi.•9 

Sarra e Rebecca, Iudìt e colei

che fu bisava al cantor che per doglia

del fallo disse “Miserere mei”,•12 

puoi tu veder così di soglia in soglia

giù digradar, com’ io ch’a proprio nome

vo per la rosa giù di foglia in foglia.•15 

E dal settimo grado in giù, sì come

infino ad esso, succedono Ebree,

dirimendo del fior tutte le chiome;•18 

perché, secondo lo sguardo che fée

la fede in Cristo, queste sono il muro

a che si parton le sacre scalee.•21 

Da questa parte onde ’l fiore è maturo

di tutte le sue foglie, sono assisi

quei che credettero in Cristo venturo;•24 

da l’altra parte onde sono intercisi

di vòti i semicirculi, si stanno

quei ch’a Cristo venuto ebber li visi.•27 

E come quinci il glorïoso scanno

de la donna del cielo e li altri scanni

di sotto lui cotanta cerna fanno,•30 

così di contra quel del gran Giovanni,

che sempre santo ’l diserto e ’l martiro

sofferse, e poi l’inferno da due anni;•33 

e sotto lui così cerner sortiro

Francesco, Benedetto e Augustino

e altri fin qua giù di giro in giro.•36 

Or mira l’alto proveder divino :

ché l’uno e l’altro aspetto de la fede 

igualmente empierà questo giardino.•39 

E sappi che dal grado in giù che fiede

a mezzo il tratto le due discrezioni,

per nullo proprio merito si siede,•42 

ma per l’altrui, con certe condizioni :

ché tutti questi son spiriti asciolti

prima ch’avesser vere elezïoni.•45 

Ben te ne puoi accorger per li volti

e anche per le voci püerili,

se tu li guardi bene e se li ascolti.•48 

Or dubbi tu e dubitando sili ;

ma io discioglierò ’l forte legame

in che ti stringon li pensier sottili.•51 

Dentro a l’ampiezza di questo reame

casüal punto non puote aver sito,

se non come tristizia o sete o fame:•54 

ché per etterna legge è stabilito

quantunque vedi, sì che giustamente

ci si risponde da l’anello al dito;•57 

e però questa festinata gente

a vera vita non è sine causa

intra sé qui più e meno eccellente.•60 

Lo rege per cui questo regno pausa

in tanto amore e in tanto diletto,

che nulla volontà è di più ausa,•63 

le menti tutte nel suo lieto aspetto

creando, a suo piacer di grazia dota

diversamente; e qui basti l’effetto.•66 

E ciò espresso e chiaro vi si nota

ne la Scrittura santa in quei gemelli

che ne la madre ebber l’ira commota.•69 

Però, secondo il color d’i capelli,

di cotal grazia l’altissimo lume

degnamente convien che s’incappelli.•72 

Dunque, sanza mercé di lor costume,

locati son per gradi differenti,

sol differendo nel primiero acume.•75 

Bastavasi ne’ secoli recenti

con l’innocenza, per aver salute,

solamente la fede d’i parenti;•78 

poi che le prime etadi fuor compiute,

convenne ai maschi a l’innocenti penne

per circuncidere acquistar virtute;•81 

ma poi che ’l tempo de la grazia venne,

sanza battesmo perfetto di Cristo

tale innocenza là giù si ritenne.•84 

Riguarda omai ne la faccia che a Cristo

più si somiglia, ché la sua chiarezza

sola ti può disporre a veder Cristo».•87 

Io vidi sopra lei tanta allegrezza

piover, portata ne le menti sante

create a trasvolar per quella altezza,•90 

che quantunque io avea visto davante,

di tanta ammirazion non mi sospese,

né mi mostrò di Dio tanto sembiante;•93 

e quello amor che primo lì discese,

cantando “Ave, Maria, gratïa plena”,

dinanzi a lei le sue ali distese.•96 

Rispuose a la divina cantilena

da tutte parti la beata corte,

sì ch’ogne vista sen fé più serena.•99 

« O santo padre, che per me comporte

l’esser qua giù, lasciando il dolce loco

nel qual tu siedi per etterna sorte,•102 

qual è quell’ angel che con tanto gioco

guarda ne li occhi la nostra regina,

innamorato sì che par di foco?».•105 

Così ricorsi ancora a la dottrina

di colui ch’abbelliva di Maria,

come del sole stella mattutina.•108 

Ed elli a me : « Baldezza e leggiadria

quant’ esser puote in angelo e in alma,

tutta è in lui ; e sì volem che sia,•111 

perch’ elli è quelli che portò la palma

giuso a Maria, quando ’l Figliuol di Dio

carcar si volse de la nostra salma.•114

Ma vieni omai con li occhi sì com’ io

andrò parlando, e nota i gran patrici

di questo imperio giustissimo e pio.•117 

Quei due che seggon là sù più felici

per esser propinquissimi ad Agusta,

son d’esta rosa quasi due radici:•120 

colui che da sinistra le s’aggiusta

è il padre per lo cui ardito gusto

l’umana specie tanto amaro gusta;•123 

dal destro vedi quel padre vetusto

di Santa Chiesa a cui Cristo le chiavi

raccomandò di questo fior venusto.•126 

E quei che vide tutti i tempi gravi,

pria che morisse, de la bella sposa

che s’acquistò con la lancia e coi clavi,•129 

siede lungh’ esso, e lungo l’altro posa

quel duca sotto cui visse di manna

la gente ingrata, mobile e retrosa.•132 

Di contr’ a Pietro vedi sedere Anna,

tanto contenta di mirar sua figlia,

che non move occhio per cantare osanna;•135 

e contro al maggior padre di famiglia

siede Lucia, che mosse la tua donna

quando chinavi, a rovinar, le ciglia.•138 

Ma perché ’l tempo fugge che t’assonna,

qui farem punto, come buon sartore

che com’ elli ha del panno fa la gonna;•141 

e drizzeremo li occhi al primo amore,

sì che, guardando verso lui, penètri

quant’ è possibil per lo suo fulgore.•144 

Veramente, ne forse tu t’arretri

movendo l’ali tue, credendo oltrarti,

orando grazia conven che s’impetri•147 

grazia da quella che puote aiutarti ;

e tu mi seguirai con l’affezione,

sì che dal dicer mio lo cor non parti ». 

E cominciò questa santa orazione:•151