Le jour d’après

Le jour d’après

Hier, mardi 14 septembre 2021 s’est achevé l’aventure #DivCo qui avait commencé 3397 jours auparavant. Elle s’est achevée le jour du 700e anniversaire de la mort de Dante Alighieri, qui s’est éteint à Ravenne dans la nuit du 13 au 14 septembre 1321. 

Le 27 mai 2012, alors que je publiais le premier “tercet” de la Divine Comédie, j’écrivais sur mon blog avec légèreté «Ce projet nécessitera une dizaine d’années avant que ne soit twitté le dernier vers du dernier chant du dernier cantique». 

Si l’on remontait à ce mois de mai 2012, nous ne serions pas dépaysés: Facebook, Instagram, YouTube, LinkedIn, Tumblr, étaient déjà utilisés massivement. Twitter avec ses 5,5 millions de twittos était loin d’être ridicule. 

J’ai donc décidé, ce 27 mai 2012, de publier quotidiennement la Divine Comédie sur Twitter pour offrir un moment de poésie le matin avec l’objectif d’installer un rendez-vous fixe. C’est pour cette raison que l’heure de publication est fixe: 8h30. 

Pourquoi la Divine Comédie? D’abord par la beauté de la poésie et aussi pour une raison technique: à l’époque les tweets étaient limités strictement à 140 caractères. Tout comptait les pseudos, les photos (c’était des liens)… Or une terzina tient en 140 signes! 

Je pouvais donc publier une terzina (trois vers) par jour, sans débord et de le faire jusqu’au dernier vers: «l’amor che move il sole e l’altre stelle» Mais j’avais oublié deux ou trois détails. Et on le sait, l’enfer se niche dans les détails. Et l’enfer avec Dante… 

Pourquoi #DivCo ?

C’est ainsi que l’explicite #divinecomédie dut, faute de place, être réduit en #DivCo, et ce dès le mardi 29 mai 2012. C’est ce dernier qui est resté à demeure. Difficile aussi au début de mettre des illustrations faute de place. 

Et puis s’est posé le problème de la traduction française dont le texte à tendance à déborder. Dans ce cas, deux tweets sont nécessaires pour la version française contre un seul pour la version originelle. Disons que cela ne facilite pas la lecture! 

Le passage aux 280 signes à la fin de l’année 2017, et d’autres innovations devaient grandement faciliter la publication. C’est à partir de ce moment aussi que j’ai systématisé le tweet d’explication (publié à 8h29 pour précéder la publication de la Divine Comédie). 

Pour respecter les horaires de publication j’ai depuis le début utilisé un service de programmation qui ne m’a jamais fait défaut: Clocktweets, imaginé par un jeune Toulonnais Jonathan Noble, a grandi et aujourd’hui s’appelle Swello. 

Sans cela il m’aurait été difficile de publier sans aucune interruption pendant 9 ans, 3 mois et 18 jours, les quelques 12 000 tweets estampillés #DivCo. À l’inverse, sans Twitter, ce projet ne serait peut-être pas aller à son terme. La publication quotidienne oblige. 

Maintenant la page est tournée. Le site ladivinecomedie.com devient le cœur du projet. Il y a tant à faire: réviser en profondeur la traduction, revoir et compléter les commentaires, compléter les notices des personnages, des lieux, des musiques et chants…  

Il faut aussi effectuer quelques réglages: le site s’affiche trop lentement, en particulier sur les téléphones portables, or aujourd’hui, la moitié des consultations se fait sur un mobile. Il faudra aussi suivre la riche actualité sur Dante et la Divine Comédie. Les prochaines années s’annoncent donc passionnantes. 

Neuf années avec Dante

Neuf années avec Dante

Déjà neuf ans que La Divine Comédie est publiée sur Twitter sous le hashtag #DivCo. Cette publication s’achèvera le 14 septembre 2021, jour anniversaire de la mort du poète. Pour autant l’aventure est loin d’être terminée. Le site ladivinecomedie.com, qui en est l’enfant, va continuer à vivre, à s’actualiser et à s’enrichir dans les semaines, les mois et les années à venir. 

Il y a neuf ans, le 27 mai 2012, un dimanche midi, était publié la première terzina de La Divina Commedia, «Nel mezzo del cammin de nostra vita». Depuis, chaque jour, sans aucune interruption, pendant 3287 jours (il y eut deux années bissextiles, 2016 et 2020) une terzina (souvent deux, parfois trois) ont été publiées à 8h 30 sur Twitter, sur mon compte @mediatrend. Elles sont suivies de leur traduction française, une minute plus tard. 

Lors de la publication du premier Cantique, l’Enfer, un tweet explicatif, permettant de situer la terzina dans son contexte, était publié une minute auparavant. Depuis le Purgatoire, ils sont systématiques, en raison de la complexité croissante de le poésie de Dante.

Sur Twitter, le hashtag #DivCo

C’est donc une petite cascade de trois (minimum) à parfois neuf tweets qui est publiée quotidiennement. J’ai délibérément conserver un mode de publication archaïque me contentant du même hashtag #DivCo, raccourci de #DivineComédie. Pour la petite histoire les deux ou trois premiers tweets utilisaient #DivineComédie, mais la limitation à 140 caractères qu’imposait Twitter à l’époque ne m’a pas permis de le conserver. Par la suite dans un soucis de cohérence, j’ai conservé #DivCo. Un lecteur curieux peut donc retrouver l’ensemble de La Divine Comédie sur Twitter grâce à ce hashtag.

Tout cela devrait s’achever —sauf incident majeur— le 14 septembre 2021, pour le jour anniversaire de la mort de Dante Alighieri. 

Ce qui n’était pas prévu lorsque j’ai publié le premier tweet, c’est que je me lance dans la traduction de La Divine Comédie. Cela s’est imposé comme une évidence au fil du temps. Et du temps il m’en faut: au total, cette traduction m’aura pris plus de neuf ans. Et je ne regrette pas ce temps passé, les difficultés inouïes rencontrées. Cela m’a permis d’entrer dans l’intime du texte, dans sa poésie, dans sa beauté, dans sa profondeur, d’un manière qu’il m’aurait été impossible d’atteindre autrement.

Dans le sillage du poète

Bref, dans ma «piccioletta barca», j’ai essayé de suivre le «solco» (sillage) du poète «per l’alto sale» (la haute mer) sur «l’acqua ch’io prendo già mai non si corse; / Minerva spira, e conducemi Appollo, / e nove Muse mi dimostran l’Orse» (L’eau que je prends n’a jamais été courue; / Minerve y souffle, et Apollon me conduit, / et neuf Muses me montrent l’Ourse. — Paradis, Chant II, v. 7-9). Avec ma traduction, j’ai essayé de suivre son sillage et j’espère ne pas m’être perdu. 

 La création du site ladivinecomedie.com n’était également pas prévue. Au commencement des publications, pour ne pas perdre les traductions et les explications, je les avait regroupées sur un outil en ligne qui s’appelait Storify. Un système d’archivage très simple qui fonctionnait par « glissé-déposé”. Las, en mai 2018 (hasard des dates?), Storify fermait ses portes.

Quatre principes pour guide

Il me fallait donc trouver une solution. J’ai opté pour la création d’un site, celui sur lequel vous êtes actuellement. Là aussi j’ai beaucoup tâtonné, et je suis bien conscient d’être loin de la perfection. Mais quatre principes m’ont guidé. 

  • Le texte devait être publié en français et en langue originale côte-à-côte (ou face à face si l’on préfère), dans la version desktop afin que le lecteur puisse se reporter indifféremment à l’un ou l’autre texte. 
  • Le système de notes devait être intégré dans le texte (français), être présent, mais peu visible pour ne pas gêner la lecture. La lectrice, le lecteur qui ne souhaite pas se perdre dans les notes et lire le texte seul ne devant pas être gêné. 
  • Ce site devait être une plateforme renvoyant sur d’autres sites consacrés à La Divine Comédie. Il s’agit d’une sélection en trois langues: français, italien et anglais. 
  • Enfin, je souhaitais que le site s’inscrive dans l’actualité. 

Ce site n’est pas achevé, pour autant qu’il le soit un jour.

Pour l’instant, il reste —à ce jour— les quatre derniers chants du Paradis à traduire, annoter et publier. Il faut également rédiger les notes d’une cinquantaine de chants, compléter la « mini-encyclopédie dantesque » que je constitue sur les personnages, lieux, anecdotes, musiques, citations. Il manque, a minima, 200 entrées. Il me semble également nécessaire de rédiger une introduction pour chaque chant. En parallèle, dès le 14 septembre, j’entamerai la révision complète de la traduction, et celle des notes déjà publiées. 

Le site s’installe sur la toile

Sur un plan plus technique, il me faut aussi améliorer l’ergonomie du site, sa vitesse de chargement que je trouve relativement peu rapide, faire en sorte qu’il soit plus « mobile friendly”. etc.  Ce chantier devrait prendre environ deux années.

Ce qui m’encourage dans cette entreprise ce sont les chaleureux encouragements que je reçois de la part de lecteurs, et le fait que petit à petit, le site s’installe sur la toile. D’une année sur l’autre, le nombre de visiteurs quotidiens à triplé: aujourd’hui, le site reçoit plus de cent visiteurs quotidiens, soit plus de 3.000 par mois. 

De manière surprenante, l’écrasante majorité d’entre eux viennent soit directement, soit via un moteur de recherche (Google) mais très peu par les réseaux sociaux. Je dis « surprenante » car tout cela est né d’une publication sur Twitter.

Bref, l’aventure continue et ne cesse de s’enrichir. Au plaisir de vous retrouver sur le site, et de partager une passion commune pour Dante, La Divine Comédie et la poésie. 

Notes

Pour ceux que l’histoire de #DivCo intéresse, j’ai regroupé ici quelques articles publiés au fil des ans sur ce site où sur un blog aujourd’hui arrêté: 

Les huit ans de #DivCo

Les huit ans de #DivCo

Cela fait huit ans ce mercredi 27 mai 2020 que La Divine Comédie est publiée quotidiennement sur Twitter. Écrire un peu légèrement, le dimanche 27 mai 2012, «ce projet nécessitera une dizaine d’années avant que ne soit twitté le dernier vers du dernier chant du dernier Cantique» était sans doute une forme d’inconscience. Mais sans cette naïveté, il est probable que le projet #DivCo n’aurait jamais vu le jour.

À l’origine, l’idée était simple. Elle se voulait une expérimentation sur Twitter. Il s’agissait de publier un poème pour offrir une respiration littéraire à un réseau social qui en manquait alors cruellement. Pour attirer et retenir l’attention volatile des utilisateurs, la nécessité d’utiliser une œuvre forte s’est immédiatement imposée. La Divine Comédie, cette œuvre universelle, cet hymne à l’amour, ce poème où s’invente une langue, où se brasse la bassesse et la noblesse humaine, m’est alors apparue comme une évidence.

Nous sommes alors en 2012. Les tweets étaient limités strictement —qui s’en souvient?— à 140 signes et tout comptait: les images, les comptes que l’on citait… À l’ère des threads longs comme des jours sans pain cela prête à sourire. Ce carcan devait être la seconde raison qui m’a conduit à retenir La Divine Comédie: une terzina « tenait » dans un tweet et cela que l’on soit au début ou à la fin du poème.

Restait à condenser le hashtag. Celui des premiers tweets, se révélait trop long, bien qu’il soit plus explicite. C’est pour cela que dès le 29 mai, #divinecomedie cédait la place à #DivCo, et depuis il n’a pas changé. Voici en tout cas, exhumé de ce qui paraît (à l’ère des réseaux sociaux) un lointain passé, les deux premiers tweets:

La suite de l’histoire n’est qu’aménagements de détails avec l’événement que fut la suppression de la contrainte des 140 signes. Cette libéralité permet désormais de publier, si le sens ou la construction de la phrase l’exige, de publier deux terzine et leur traduction.

La traduction, principale évolution éditoriale du projet #DivCo

L’évolution éditoriale principale tient à la traduction. Pendant une grosse année, ce sera celle de Lamennais (disponible sur Wikisource) qui sera publiée. Mais si cette traduction est de grande qualité, elle souffre d’un défaut majeur pour le projet #DivCo: la publication du texte de Dante s’effectue terzina par terzina; la traduction doit donc par cohérence en épouser le même rythme, ce que ne permet pas celle de Lamennais.

Cette contrainte a guidé les choix de la traduction qui est proposée sur #DivCo et sur ce site. La version française suit le plus étroitement possible le texte original pour que s’établisse une correspondance forte entre les deux textes. À cette contrainte lourde, j’ai refusé d’en ajouter d’autres, à savoir une traduction rimée et “enchaînée”. Ce refus s’explique pour une raison principale: le français ne « sonne » pas, ne chante pas, comme la « langue vulgaire » de Dante. Pour s’en convaincre, il suffit de lire à voix haute quelques vers du texte original et leur traduction, et ce quelque soit la traduction! On ne retrouve pas la musaïque de Dante.

La langue joue, mais aussi la poésie. Dante, derrière son extraordinaire régularité, utilise un vers —l’hendécasyllabe— en constant et savant déséquilibre. Retrouver ce glissement constant dans notre poésie où se côtoient les très réguliers alexandrins, décasyllabes et octosyllabes est mission impossible. Se retrancher sur le vers libre est bien sûr une possibilité, mais aussi une facilité: Dante n’a pas mêlé dans La Divine Comédie rimes longues et courtes. Sans nul doute, toutes ces tentatives l’amuseraient, lui qui se jouait de toutes les métriques et était capable dans une même terzina d’écrire un vers en latin, le suivant en toscan et le dernier en provençal. 

Et puis à vouloir à toute force transposer une poésie dans une langue qui lui est étrangère le risque est grand de tordre le texte et d’en oublier qu’il faut aussi en rendre la force, l’ambiance, les scènes et les personnages qui y sont campés, la vivacité des dialogues, sans oublier le sens d’un texte où politique, philosophie et théologie se croisent et se mêlent. Certains passages du Purgatoire et du Paradis se révèlent à cet égard particulièrement périlleux. (Dans l’article Traduire, le choix de la poésie, cette réflexion était déjà présente).

Bref, la publication sur Twitter nécessitait une traduction sur mesure; ce sera la mienne. C’est celle que l’on retrouve sur ce site, qui est l’enfant du projet #DivCo. Elle n’est d’ailleurs pas achevée, car elle suit le rythme de la publication sur Twitter. Le dernier vers sera publié le 14 septembre 2021. Une manière —modeste— de célébrer le 700e anniversaire de la mort du Sommo poeta et de lui rendre hommage.

  • Ilustration: Premier portrait connu de Dante Alighieri, fresque (détail) du Palazzo dei Giudici, Florence 
  • Pour aller plus loin
    J’ai réintégré sur le site ladivinecomedie.com deux articles publiés initialement sur le blog [the] Media Trend, (ce blog est actuellement en sommeil) où j’expliquais la démarche ayant présidé à la naissance et à la poursuite du projet de publication sur Twitter #DivCo. Je n’ai corrigé que quelques fautes d’orthographe.
  • La Divine Comédie de Dante à l’heure de Twitter (publié initialement le 27 mai 2012)
  • La Divine Comédie, Twitter et le Journalisme (publié initialement le 4 janvier 2014)

 

 

La Divine Comédie, Twitter et le Journalisme

La Divine Comédie, Twitter et le Journalisme

Le 27 mai 2012 commençait cette bizarre aventure de publier La Divine Comédie de Dante sur Twitter. Un gros millier de tweets plus loin, a commencé le 2 janvier 2014 la publication du Chant XVII. Nous sommes donc pratiquement au milieu de l’Enfer, qui compte 34 chants. L’aventure ne s’arrête pas là, puisque suivront la publication du Purgatoire et du Paradis, le dernier vers devant être publié très probablement à la fin de l’année 2021 ou au début de 2022.

  • Article publié originellement sur le blog [the]Media Trend, le 3 janvier 2014 (republié ici en conservant la même date, avec quelques mises à jour indispensables)

Pages 121 et 122, de Tweets, L’histoire s’écrit-elle en 140 caractères? d’Olivier Tesquet et Christelle Destombes 1, le lecteur un peu curieux tombera sur les trois vers « d’ouverture » de La Divine Comédie accompagné de courtes explications, où il est question d’un « projet un peu fou » qui consiste « à twitter des tercets du poème de Dante », l’objectif étant de publier l’intégralité du texte sur une dizaine d’années.

Depuis le début de cette aventure, mes interlocuteurs me demande souvent pourquoi je me suis lancé dans cette aventure, et beaucoup s’interrogent sur la pertinence du projet. Ma réponse peut parfois sembler incertaine, car je n’ai aucune certitude. Il s’agit à mes yeux d’une « expérimentation poétique et sociale » et j’ignore ce qui pourra sortir du triple choc auquel je soumets La Divine Comédie :

  • celui d’une œuvre du Moyen Âge projetée dans notre système médiatique —et d’édition— contemporain;
  • la collision du temps long de la publication—dix ans— et du temps court de Twitter;
  • la confrontation d’un espace fragmenté et émietté avec ce qui fait l’essence d’une œuvre à savoir sa cohérence.

Mais entrons dans le détail des raisons qui m’ont amené à tweeter La Divine Comédie et m’encouragent à continuer:

  • La première tient bien sûr à l’œuvre elle-même, et Twitter me paraissait un bon moyen d’en faire partager au public la beauté et la force. C’est un premier pari, car il faut que chaque tweet soit un « moment poétique » et se suffise à lui-même. J’avais expliqué lors du lancement, que l’écriture et la structure du poème, en particulier sa régularité, le permettait. En effet, tous les vers sont de onze syllabes (hendécasyllabes) et sont enchaînés par « tercets », d’ailleurs appelé terzina dantesca (pour plus de détails, lire ici sur Wikipedia). Or, il se trouve que trois vers tiennent dans un tweet, hashtags compris. En voici un exemple, parmi des centaines. Nous sommes dans le septième cercle, et les violents contre Dieu sont couchés sur le sable sous une pluie de feu et voici comme la pluie est décrite (« Sur tout le sable, lentement, / pleuvaient de larges flocons de feu, / comme neige sur les Alpes un jour sans vent.):

  • la deuxième est lié à une forme d’expérimentation. Twitter est un média de flux, où la durée de vie d’une information est brève: une heure en moyenne, souvent moins, parfois un peu plus. C’est aussi un média où la consultation est par définition aléatoire: personne ne consulte sa timeline [où ses timelines, si l’on utilise des outils comme Tweetdeck ou Hootsuite], en permanence. Dans ses conditions, il me semblait impératif de donner des rendez-vous fixes. Pour cela j’ai fixé arbitrairement une heure de parution: 8h30.2. Pour respecter cet horaire, j’utilise un outil de programmation en ligne, Clocktweets, (aujourd’hui rebaptisé Swello) qui a fait preuve sur la durée d’une grande fiabilité. Ce système de publication à heure fixe est d’ailleurs utilisé par d’autres comme François Vinsot qui publie chaque matin, à 7 heures, dix tweets de son Roman sans titre [pour le suivre, c’est ici].
  • la troisième est liée à une interrogation: un tweet est un élément isolé, décontextualisé: est-il possible dès lors de publier une œuvre complète et de le faire sur une période extrêmement longue, sans qu’elle ne se dissolve dans le flot de Twitter? Là encore, la réponse est positive, mais j’ai été amené à aménager légèrement mon projet initial, qui était de ne publier qu’un seul tweet par jour. Cela est possible dans 80% des cas, mais parfois couper une scène, une description ou une phrase leur ferait perdre leur force et en rendrait la compréhension difficile pour le lecteur, qui serait obligé de se référer au tweet publié la veille. Pour remédier à cette difficulté et conserver la cohérence, je publie donc parfois plusieurs tweets le même jour.
  • la quatrième est liée à la complexité de l’œuvre. Dante rencontre sans cesse des personnages qui appartiennent à son époque, s’appuie sur des images et des métaphores dont nous avons perdu les clés, fait référence à des œuvres et des philosophes qui nous sont aujourd’hui mal connus. Pour cela, je publie lorsque c’est nécessaire un tweet « explicatif », qui souvent contient un lien permettant à ceux qui le souhaitent « d’aller plus loin ». Dans le même état d’esprit, je reprends dans un Storify l’ensemble des tweets publiés pour un chant en y ajoutant des images, des explications supplémentaires et une lecture de l’œuvre en italien, afin que le lecteur ait « dans l’oreille » la beauté de la langue de Dante. (MAJ du 19 mai 2021: Storify a cessé ses activités le 16 mai 2018. Le site ladivinecomedie.com sur lequel vous vous trouvez en a repris l’ensemble du contenu).
  • la cinquième est liée à la langue. Celle de Dante est magnifique mais difficilement accessible pour un francophone [voire pour un Italien!]. Elle nécessite d’être traduite. Ici, pour des raisons liées au droit d’auteur, il m’était difficile de reprendre une traduction existante. Il en existe certes une disponible en wikisource, qui fut réalisée par Lamennais, un prêtre breton qui vécut au XIXe siècle. Problème, elle est rédigée en prose et a vieilli. C’est le cas aussi de la version de l’enfer par Rivarol, laquelle date du XVIIIe! En outre, dans la plupart des traductions existantes en « vers » (je mets des guillemets, car c’est mission quasi impossible), les traducteurs suivent un système de codification et de référencement, qui veut que chaque vers soit numéroté. Un système pratique: par exemple, « Inf. 14, 63  » renverra au vers 63 du chant XIV de l’Enfer (Inf. est l’abréviation d’Inferno).

Pour respecter la publication en tweets, et donc en tercets, il m’a fallu prendre un autre chemin et proposer ma propre traduction de La Divine Comédie. C’est ce que je m’attache à faire, avec beaucoup d’humilité mais aussi avec un grand plaisir, car cela me permet d’entrer encore plus avant dans l’œuvre et de la comprendre plus intimement. Le plus difficile n’est pas la traduction  elle-même. Il existe un nombre incalculable de dictionnaires, d’outils en ligne, qui donnent le sens précis de chaque mot et expression, sachant qu’un même mot [nous sommes au moment où se crée la langue italienne] peut avoir un sens différent selon le cantique ou le chant de La Divine Comédie. C’est un jeu de patience, mais j’ai dix ans devant moi. En revanche, comme dans toute traduction le plus difficile tient au français. L’italien de Dante est une langue superbe, ramassée, où deux mots suffisent à forger une image qui résonne longtemps chez le lecteur. C’est cette concision que je m’efforce de respecter en suivant donc le rythme par tercet de l’œuvre. Ces traductions sont mises au fur et à mesure de la publication des chants en libre accès, sur des Google docs. (MAJ du 19 mai 2021: en fait ces traductions sont maintenant sur le site ladivinecomedie.com, et il n’est plus besoin d’utiliser le système rustique des Google docs). 

  • la sixième est liée au journalisme. Je tweete La Divine Comédie, sur mon compte @mediatrend, dont le contenu est a priori centré sur les médias et le journalisme, et non sur un compte dédié. Cela peut paraître le mariage de la carpe et du lapin, mais dans mon esprit il n’en est rien. J’avais un jour répondu lors d’une interview que l’on pouvait voir Dante comme un précurseur des grands reporters. C’était alors une demi-boutade, mais plus j’avance dans l’œuvre, moins le parallèle me semble absurde.

Par exemple, dès le début du Chant II de l’enfer, Dante nous promet de nous raconter ce qu’il va voir, comme le ferait un journaliste. Tout juste peut-on lui reprocher de ne pas prendre de notes:

1 – Le jour s’en allait, et l’air obscur
délivrait les animaux qui sont sur terre
de leurs fatigues ; moi seul
2 – je me préparais à soutenir
la guerre du chemin et de la pitié,
que retracera la mémoire qui n’erre pas.

Il fait preuve d’une curiosité insatiable, ne cessant de poser des questions à son «fixer», le poète Virgile. Dans le Chant III par exemple —célèbre parce qu’il s’ouvre par l’inscription “Vous qui entrez, laissez toute espérance” («Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate»)— il harcèle littéralement celui qu’il appelle «maître»: “Qu’est-ce que j’entends?”, “Pourquoi se lamentent-ils si fort?”, “Pourquoi semblent-ils si pressés de traverser?”, etc.

Il questionne aussi ceux qu’il est amené à rencontrer, comme au Chant V, Francesca et son amant Paolo, assassiné par le mari jaloux. “Venez nous parler”, demande-t-il à ces “âmes en peine”. Il n’hésite pas s’il le juge nécessaire à relancer ses interlocuteurs, comme il fait avec Francesca, qui lui a seulement raconté que c’est “Amour [qui] nous conduisit à une même mort”. Cela ne suffit pas à Dante. Il lui demande de préciser les circonstances du drame, et en particulier comment tout deux devinrent amants:

Mais dis-moi : au temps des doux soupirs,
à quoi et comment amour permit
que vous connaissiez les douteux désirs ?

Tout ce qu’il voit, entend, sent et ressent, il va le raconter sobrement et le plus précisément possible usant de comparaisons lorsque nécessaire pour rendre ce qu’il décrit plus évocateur. Par exemple au début du Chant XV de l’Enfer pour décrire les hautes berges sur lesquelles il marche avec Virgile, et donner une idée de leur taille, il les compare aux digues qu’ont construites les Flamands pour se protéger de la mer. Il sait aussi pratiquer l’ellipse, pour ne garder dans son récit que l’essentiel. Par exemple, à la fin du Chant IV de l’Enfer, il se lance dans une longue énumération de poètes, philosophes et savants qui se trouvent dans les limbes, avant de couper court brutalement (“Je ne peux les nommer tous, / car tant me presse le long sujet, / que maintes fois le dire raccourcit les faits.”):

Mais sans doute le plus fascinant est la manière dont Dante raconte —au sens plein du terme. Chacun des chants est un bijou en terme de narration et de construction, qu’il s’agisse des premiers vers qui toujours nous font rentrer dans la nouvelle histoire, du dernier —isolé— qui est toujours un coup de fouet final, dans le fait qu’il sait en deux ou trois tercets clore un épisode et relancer une histoire qui aurait pu s’essouffler. Dans le Chant XIII, Dante et Virgile finissent d’écouter le mélancolique Pier della Vigna, qui s’est suicidé et dont l’âme est prisonnière d’un buisson. D’un coup, on change de scène: “Nous demeurions encore attentifs au tronc,/ croyant qu’il voulait nous dire autre chose, / quand nous fûmes surpris d’un fracas, / comme l’est celui qui sent / venir le sanglier et la chasse à ses trousses, / car il entend les bêtes, et des branches le craquement.”

Moderne, Dante l’est aussi par sa manière de se mettre en scène. Il fait de sa quête le fil conducteur d’une histoire qui sans cela pourrait paraître décousue. Mais du coup, il n’est pas seulement narrateur. C’est aussi un acteur de cette Comédie. Il hésite, envisage de renoncer, montre sa peur… Ses rencontres avec certains de ses adversaires «de l’autre monde» peuvent l’amener à des dialogues tendus, tandis qu’il fait preuve d’une grande tendresse avec certains de ces compatriotes florentins (“Je suis de votre terre”). Il réussit donc la prouesse d’être à la fois un narrateur distancié et engagé. Du coup son récit prend une force peut commune.

Il n’hésite pas non plus à prendre à témoin son lecteur comme ici à la fin du Chant XVI alors que monte vers lui la bien étrange créature qu’est Géryon (“mais je ne puis me taire ici; et sur les vers / de cette comédie, lecteur, je te jure,/ en espérant qu’ils auront longtemps ta faveur,/ que je vis par l’air épais et obscur / monter en nageant une figure, / extraordinaire même pour qui a un cœur solide”):

À cette étape, je ne vois donc aucune raison d’arrêter un projet chaque jour plus intéressant et enrichissant. Ce l’est d’autant moins qu’une petite communauté de fidèles s’est progressivement constituée, et qu’il me semble impossible de les décevoir. Au contraire, cela me pousse à explorer les possibilités qu’offrent les outils dont nous disposons aujourd’hui, pour expliquer par exemple la structure particulièrement complexe de l’enfer. Pour l’instant, je me contente d’en stocker dans un tableau Pinterest les représentations existantes. Il doit être possible de faire mieux.

À suivre donc.

La Divine Comédie de Dante à l’heure de Twitter

La Divine Comédie de Dante à l’heure de Twitter

La Divine Comédie est sans doute l’un des plus beaux poèmes jamais écrit. Pour le rendre plus accessible,  j’ai décidé de le publier sur Twitter. Ce projet nécessitera une dizaine d’années avant que ne soit twitté le dernier vers du dernier chant du dernier Cantique, le Paradis: «l’amor che move il sole e l’altre stelle» (“l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles”)

  • Article publié sur le blog [the] Media Trend, le 27 mai 2012 (republié ici avec quelques mises à jour mineures et en conservant la même date)

L’idée peut, de prime abord, sembler farfelue : publier sous forme de tweets La Divine Comédie de Dante. Tout oppose en apparence l’œuvre composée au Moyen Âge par le poète florentin Dante Alighieri, au très contemporain Twitter. D’un côté des milliers de vers, un foisonnant récit où se raconte une civilisation dans sa complexité, où se forge l’italien moderne et de l’autre la sécheresse et la brièveté de courts messages qui doivent tenir en 140 signes. Pourtant les deux ne sont pas inconciliables loin de là.

En effet, La Divine Comédie ne fut pas à l’origine publiée d’un bloc, pour la simple raison qu’à l’époque de sa rédaction, l’imprimerie n’existait pas. Chaque Chant fut donc «publié» (en fait recopié à la main par des copistes, selon l’efficace système de l’époque) au fur et à mesure, de 1307 à 1321. On est donc très proche de «l’écriture Twitter» fragmentée mais qui permet, pour autant que l’on soit constant, de publier une œuvre complète. Pour La Divine Comédie à raison d’un tweet quotidien ce sera l’affaire d’une dizaine d’années (espérons que Twitter existera toujours dans dix ans!).

Mais l’œuvre de Dante possède une deuxième caractéristique qui rend possible sa publication sur Twitter. Celle-ci tient à sa poésie et à sa structure si particulière: elle est en effet composée de trois cantiques [l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis], chacun étant divisé en 33 chants [à l’exception de l’Enfer, qui en compte 34, Dante ayant ajouté un chant inaugural]. Les vers de onze syllabes [hendécasyllabiques] sont regroupés par tercets dont les rimes sont enchaînées: chaque tercet s’enchaîne au suivant par le second vers. Par exemple, cet extrait du début du Chant XVIII du Paradis, où alors que le poète regarde sa bien-aimée Béatrice avec passion, celle-ci se moque gentiment de lui — “le paradis n’est pas tout dans mes yeux”, lui dit-elle—, permet de montrer l’enchaînement des vers selon le schéma suivant:

ABA – BCB – CDC – DED – EFE – etc.

Io me rovolsi à l’amoroso suono – A
del io conforto; e quai io allor vidi – B
ne li occhisanti amor, qui l’abbandono; – A
non perch’io pur del mio parlar diffidi, – B
ma per la ment che non può redire – C
sovra sé tanto, s’altri non la guidi. – B
Tanto poss’ io di quel punto ridire, – C
che, rimirando lei, lo mio affetto – D
libero fu da ogne altro disire, – C
fin che ‘l piacere etterno, che diretto – D
raggiava in Beatrice, dal bel viso – E
mi contentava col secondo aspetto – D
Vincendo me col lume d’un sorriso, – E
ella mi disse : « Volgiti e ascolta; – F
ché non pur ne’ mici occhi è paradiso»; – E

Traduit ainsi par Jacqueline Risset:

Je me tournai vers le son amoureux
de  mon réconfort: et l’amour que je vis
alors dans les yeux saints, je renonce à le dire;
non que me défie de ma parole,
mais parce que la mémoire ne peut se retourner
aussi loin sur elle-même, si autrui ne la guide.
De cet instant je peux seulement redire
que la regardant, mon affection fut libérée de tout autre désir,
tant que le plaisir éternel, qui rayonnait
directement en Béatrice, me contentait par le reflet venu du beau visage.
En me vainquant par la lumière d’un sourire ,
elle me dit: «Tourne-toi et écoute;
le paradis n’est pas tout dans mes yeux.»

La publication, par «tercet» de l’œuvre de Dante semble donc de l’ordre de l’évidence, et ce d’autant plus qu’un tercet «tient» dans un tweet avec les hashtags indispensables, qui seront donc:

#divinecomedie #enfer #chant1

  • [MÀJ] à partir du mardi 29 mai, le hashtag #divinecomedie sera raccourci en #DivCo

chaque tercet étant ensuite numéroté à l’intérieur de chaque chant (la numération recommencera à «1» au début de chaque nouveau chant publié).

Le rythme de publication sera quotidien. Parfois, pour des raisons de compréhension, je publierai plusieurs tercets à la suite, en faisant en sorte que leur heure de publication s’enchaîne. Pour cela, la publication sera programmée grâce à Clocktweets (rebaptisé aujourd’hui Swello) et Tweetdeck

Dernière question délicate, celle de la traduction. Originellement, je ne pensais twitter qu’en langue originale, mais il me semble nécessaire de doubler d’une traduction française. Pour des raisons de droits, je ne peux utiliser la très belle traduction de Jacqueline Risset [régulièrement rééditée en poche, par Flammarion], et j’utiliserai donc celle de Lamennais qui certes date de 1883, mais est disponible en libre sur Wikisource.

  • Illustration: La Comédie illumine Florence, par Domenico di Michelino (1417-1491). Santa Maria del Fiore, Florence.
  • Lien vers le post original sur le blog [the] Media Trend