Drawing Dante: Il visibile parlare

Drawing Dante: Il visibile parlare

Il faut courir voir Drawing Dante à l’Institut Culturel Italien de Paris, avant que cette exposition ne ferme ses portes le 16 juillet prochain. Douze jeunes dessinateurs italiens ont été mis au défi de réinterpréter chacun un chant de La Divine Comédie sous forme de trois planches de BD. C’est ce travail que montre l’exposition. 

On pourrait trouver ce défi facile à relever, tant l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis décrit par Dante font aujourd’hui partie de l’imaginaire collectif occidental. Mais cette familiarité est fausse et piégeuse. 

La représentation de l’univers dantesque est le fruit d’une longue tradition iconographique entamée en premier lieu par les enlumineurs des manuscrits du XIVe siècle, puis par des artistes comme Sandro Botticelli, et plus tard par William Blake ou Gustave Doré et encore plus récemment Salvador Dali et tant d’autres.

Comme un clin d’œil, l’exposition reprend quelques planches et illustrations parmi les plus célèbres des Fumetti danteschi d’un passé proche, telles celles de Lorenzo Mazzoti,  Milton Glaser, Mœbius ou encore Seymour Chwast, sans oublier celles “manga” de Gō Nagaï ou le génial Inferno di Topolino d’Angelo Bioletto publié chez Disney dans les années 1950. 

«Ces scènes peuvent être faites par la main de Dieu»

Le défi pour les artistes a donc été de dépasser cette richesse d’interprétation.

«J’ai choisi le cercle des Vaniteux (Chants X et XI du Purgatoire) car Dante se met en scène lui-même», explique Silvia Rocchi. «Avec Virgile, il marche, il pose ses pieds sur des exemples qui sont “à punir”, et il se promène devant des bas-reliefs qui sont les exemples à suivre. Tous deux observent cela en se disant que ces scènes pourraient être faites par la main de Dieu»

Le difficile chemin auquel s’est confronté Silvia Rocchi, et celui auquel Dante lui-même s’est heurté auparavant. C’est un débat —Huc pictura poesis1— qui depuis Horace traverse la littérature occidentale, analyse Alessandro Benucci, maître de conférence à l’université Paris-Nanterre: 

Il y aurait une façon propre au divin de pouvoir représenter quelque chose que la parole n’arrive pas à représenter. Dante nous dit que cette confrontation est atteinte seulement par Dieu, mais Dante en décrit quelque part la faisabilité. Le défi qu’il lance à sa propre langue et d’atteindre ce visibile parlare qui serait le propre de Dieu, mais la Divine Comédie lui permet de le faire.

Au Purgatoire, «le temps passe»

Pour atteindre cette “faisabilité”, Giacomo Gambineri a choisi de travailler sur le Purgatoire, car dans ce cantique «le temps passe» à l’inverse de l’Enfer et du Paradis, et dans la partie qu’il a choisi, l’entrée dans le Paradis terrestre (Chants XXVIII, XXIX et XXX du Purgatoire), deux fleuves s’écoulent, le Léthé et l’Eunoé et tous deux sont liés à la mémoire. Aussi, il explique avoir 

essayé de représenter ce moment, qui m’a touché, où Dante et Virgile se saluent. Dante voit son attention détournée par une parade allégorique et quand il se retourne son compagnon a disparu. Ensuite il va retrouver Béatrice. Mais je voulais m’attacher au moment de l’adieu: la dimension de la mémoire, le personnage qui vous suit qui explique les choses, revenir au moment de l’éternité.

Chaque dessinatrice et dessinateur a ainsi abordé l’œuvre de Dante à sa manière: quasi littérale pour Silvia Rocchi et Giacomo Gambineri, qui se sont appuyés sur les dialogues de La Divine Comédie pour construire leur récit. Giulio Rincione préfère jouer sur la force expressive de ses illustrations pour nous mener Dante et Virgile de l’âpre “forêt des suicidés” aux flammes qui enserrent un Ulysse au discours brûlant. 

Les dessins psychédéliques et hallucinés d’Elisa Macellari

On peut être saisi par la mise en abîme du Chant XXXII de l’Enfer, celui des traîtres, que fait Spugna, ou par la poétique historiette que puise Eliana Albertini dans le Chant II du Purgatoire, ou encore par la féroce caricature de Vincenzo Filosa, dans laquelle Béatrice s’échappe («fuori dalla tua portata») d’un Dante, humain médiocre parmi les médiocres. 

D’autres préféreront peut-être la puissance du trait d’Elisa Macellari dont les couleurs vives et tranchées rappelleront aux plus anciens visiteurs les dessins psychédéliques et hallucinés des années 1960-1970, ou l’histoire-shaker de Tommy Gun, dans laquelle le “Dante  personnage” est sauvé in extremis d’un voyage au-dessus de ses forces par une Béatrice compatissante et maternelle.

Autant d’histoires, autant de modes de narration qui font vivre la parole de Dante, la rende plus vivante et toujours plus contemporaine.

Illustration:
Dessin extrait de la BD réalisée par Giacomo Gamberini pour l’exposition Drawing Dante

Note
L’exposition Drawing Dante se tient à l’Institut Culturel Italien de Paris, 50 rue de Varennes, 75007 Paris du 23 juin au 16 juillet 2021. Entrée libre.