Dante’s Inferno, une série TV en enfer
Quatre scénaristes talentueux, les moyens de Disney, une ambition affichée.…“Dante’s Inferno” coche toutes les cases qui devraient assurer à cette série TV un beau succès. Mais affirmer que ce projet s’inspire de La Divine Comédie est un abus de langage. Il n’en est —au mieux— qu’une pâle extrapolation.
La Divine Comédie sous forme de série TV? Pourquoi pas, surtout si les scénaristes sont talentueux. Si l’on en croit The Hollywood Reporter, qui le premier a annoncé la nouvelle, ce sera le cas. Ce sont en effet pas moins de quatre scénaristes chevronnés qui vont se lancer dans l’aventure. Les premiers sont Ethan Reiff et Cyrus Voris. Ils travaillent ensemble depuis 1987 et leur plus grand succès est sans doute Kung Fu Panda. Ils sont aussi les auteurs d’une série Knightfall, consacrée aux Templiers. Ils sont rejoints par Nina Fiore et John Herrera connus pour être les auteurs de l’adaptation TV du roman de Margaret Atwood, La servante écarlate.
Entre de telles mains on ne peut qu’imaginer une adaptation ambitieuse. Mais le diable se loge dans les détails.
On peut un tiquer tout d’abord en apprenant que les auteurs ont décidé de transposer l’Enfer de Dante dans le Los Angeles actuel. Toutefois, ce choix peut se comprendre: la transposition est pratique courante lorsqu’il s’agit d’adapter une œuvre classique pour un public contemporain. Il peut se concevoir d’autant plus que les programmes de Freeform, la filiale de Disney qui va réaliser la série, sont destinés principalement aux adolescents.
Dante sera une jeune fille de vingt ans
On peut tiquer aussi en apprenant que ce n’est pas Dante qui se rendra en Enfer, mais une jeune fille d’une vingtaine d’années, qui s’appellera Grace… Dante. Là encore sans doute faut-il séduire le jeune public et donc rajeunir le personnage principal. Une fraîche jeune fille est probablement jugée plus « attractive » qu’un barbon «nel mezzo del cammin di nostra vita». Mais cette décision entraîne ipso facto la disparition du personnage de Béatrice, l’un des principaux « moteurs » du poème original.
On peut tiquer enfin en lisant le pitch du scénario tel qu’il est résumé par Kombini :
(Grace) est décrite comme une adolescente troublée et déprimée qui vit à Los Angeles. Abandonnée par son père à sa naissance, Grace vit avec une mère toxicomane et un frère perturbateur. Elle a rapidement laissé tomber ses rêves pour veiller sur eux, mais une rencontre improbable va changer sa vie : Grace va passer un pacte avec le diable en personne afin de se sortir de son quotidien misérable.
Suite à cet accord entre les deux, la vie de Grace va s’améliorer considérablement : la jeune fille trouvera l’amour, sa famille ira mieux, l’école et une carrière professionnelle florissante lui souriront… Mais le patron de l’enfer revient tôt ou tard chercher son dû, et Grace devra traverser les neuf cercles de l’enfer pour le vaincre et reprendre en main le contrôle de son destin.
Dans La Divine Comédie, il n’est nulle part question d’un “pacte faustien” de ce type. Lucifer, vaincu, est immobile, enterré à mi-corps, au fond du gouffre de l’Enfer que sa chute a créé. Ses seuls mouvements se réduisent à remâcher éternellement les ombres de trois traîtres et à battre des ailes dans l’obscur désert glacé du Cocyte.
On pourrait ainsi tiquer à l’infini. Mais est-ce bien utile? Le poème de Dante est —on l’a compris— vidé de ce qui en fait le sel et la force. Il est réduit à un décor, un stock d’images, d’anecdotes et de personnages où les auteurs puiseront au gré de l’avancement de leur scénario.
Au bout du compte, nous aurons sans doute une série attractive et spectaculaire comme un jeu vidéo. D’ailleurs, celui-ci existe déjà. Il s’appelle également Dante’s Inferno.
Game over
- Illustration: Devil’s Gate au bord du de l’Arroyo Seco. Photo prise avant 1920 et la construction du barrage du même nom à proximité de Pasadena (Los Angeles County). On distingue clairement à droite le profil du « diable » avec sa bouche aujourd’hui fermée par une grille. Attribution: Magi media – CC A – SA 3.0