La Pace di Dante

La Pace di Dante

Chaque 6 octobre à Sarzana, une petite ville ligure proche de La Spezia, se fête l’anniversaire de la « Pace di Dante ».

En 1306, Dante a rompu avec la parti des guelfes blancs, et désormais il a fait « un parti à soit seul », comme lui dit son ancêtre Cacciaguida «averti fatta parte per te stesso» [Paradis, Chant XVII, 69]. À l’automne, l’exilé est hébergé dans le Lunigiana par la grande et noble famille Malaspina.

Durant son séjour, Dante fut chargé par Franceschino Malaspina de négocier un traité de paix. Signe de confiance, le poète-diplomate bénéficie des « pleins pouvoirs  » pour sa mission. Il s’agit de résoudre un très long conflit aux multiples épisodes et rebondissements, où se mêlent dans le mille-feuille politico-militaire de l’époque les oppositions et querelles entre gibelins (partisans de l’Empereur) et guelfes (partisans de l’autorité papale), les revendications territoriales, l’influence des pouvoirs régionaux et en particulier celui de Gènes et enfin les conflits familiaux. La clé du succès de Dante se trouve peut-être d’ailleurs dans ce dernier point.

En effet Franceschino da Mulazzo [Malaspina] dont il était l’hôte en cet automne 1306 à Sarzana et qui le chargea de sa mission était le cousin de Moreollo da Giovagallo [également un Malaspina]. L’épouse de ce dernier, Alasia Fieschi, était de son côté cousine avec l’évêque (gênois) Antonio di Nuvolone avec lequel les Malaspina étaient en guerre.

Pour plus de clarté, l’arbre généalogique de la branche « Spino Secco » des Malaspina. Elle était ainsi nommée en raison de ses armes où figurait une branche d’épines.

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L’arbre généalogique de la branche « Spino Secco » de la famille Malaspina, in Dante Dictionnary, par Paget Toynbee -Clarendon Press, Oxford, 1898

Peut-être fatigués d’un conflit qui paraissait sans fin, les adversaires étaient prêts à négocier et à s’entendre. Durant les sept dernières années, les embuscades, les coups de main, les saccages de bourgs et de châteaux s’étaient multipliés. En tout cas, Dante mena promptement l’affaire et le 6 octobre à 6 heures du matin, place de la Carcanzola a Sarzana, en présence de toutes les parties, un premier protocole d’accord fut signé, la paix définitive l’étant le 9 au château de Castelnuovo. Elle prévoyait l’annulation de tous les procès en cours, et la restitution de toutes les terres conquises pendant la guerre.

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La première page de l' »atto » qui donnait procuration à Dante pour négocier le traité de paix avec l’évêque de Luni.

La « Paix de Dante » se traduira par un rapprochement profond. Elle rétablit de facto l’unité du domus Malaspina. Ceux-ci purent dès lors, écrit Giorgio Inglese, « se concentrer sur la poursuite d’une alliance stratégique avec le roi d’Aragon, Jacques II. » ¹ [Ce dernier venait d’abandonner le royaume de Sicile à son jeune frère Frédéric II, pour devenir Roi d’Aragon.]

Au Chant VIII du Purgatoire [124-1226], Dante remercie avec une chaleur presque gênante l’ombre de Currado Malaspina, quand il la rencontre dans la « vallée des princes négligents »:

La fama che la vostra casa onora,
grida i segnori e grida la contrada,
sì che ne sa chi non vi fu ancora;
[La renommée qui fait honneur à votre maison,
chante les seigneurs et chante la contrée, 
si bien que l’on connaît sans y être encore allé;]

Cette ferveur peut s’expliquer par le fait que les Malaspina non seulement l’ait accueilli, mais aussi lui ait donné un rôle et une activité politique en lui confiant cette mission. Pourtant les Malaspina étaient de factions politiques plus ou moins éloignées de celle de Dante. Si Franceschino était un gibelin, que l’on peut considérer comme « guelfe-blanc-compatible », son cousin Moroello était —et restera— un allié des guelfes noirs de Florence. Pourtant, celui-ci semble avoir noué des liens étroits avec Moroello, c’est en tout cas ce qu’affirme Boccace. Cette proximité aurait été jusqu’à une intercession auprès des autorités florentines [guelfes noirs] pour permettre un retour de Dante dans sa ville natale.

Ce succès diplomatique de Dante révèle un pan peu connu de la vie du poète durant son exil et dont aujourd’hui, il reste peu de traces. Mais il dut certainement être chargé d’autres missions. On en voudra pour preuve, le fait qu’en 1321, Guido da Polenta, son hôte de Ravenne, l’envoya à Venise négocier un accord. C’est en revenant de cette ultime mission que Dante devait contracter la malaria, maladie dont il mourut.

  • Notes 
  1. Vita di Dante, una biografia possibile, parGiorgio Inglese, Carocci editore – Roma, 2015 – pp. 89-91. 
  2. Pour plus de détails sur cette paix on peut lire Castelnuovo, la pace di Dante e il tesoro dei vescovi par Adriana G. Hollet [Pdf].