Dantedì: Pourquoi le 25 mars ?

Dantedì: Pourquoi le 25 mars ?

Quelle date retenir pour fixer le Dantedì, la journée consacrée à Dante Alighieri? Le gouvernement avait le choix entre la date de sa naissance, celle de son décès, ou encore une date liée à La Divine Comédie, l’œuvre maîtresse du poète. Avec le 25 mars, c’est cette dernière solution qui a été retenue.

En Italie, le 25 mars sera donc désormais consacré à Dante Alighieri. Le Conseil des ministres italien a décidé d’instituer un Dantedì pour célébrer, selon les mots de de Dario Franceschini, le ministre de la Culture, le poète florentin car:

Dante est l’unité du pays, Dante est la langue italienne, Dante est l’idée même de l’Italie

Pour l’instant les contours de la manifestation demeurent encore flous, si ce n’est qu’il s’agit «de se souvenir du génie de Dante dans toute l’Italie et dans le monde avec de nombreuses initiatives qui verront une forte participation des écoles, des étudiants et des institutions culturelles».

Cette décision du gouvernement italien n’est guère une surprise. Les partis politiques italiens avaient voté à l’unanimité le 4 novembre 2019 une motion demandant l’institution de cette journée, reprenant une idée lancée dans les colonnes du Corriere della Sera par l’écrivain Paolo Di Stefano, qui était soutenue par de nombreux intellectuels et les principales institutions culturelles du pays. Une décision nécessaire, car désormais le 700e anniversaire de la mort de Dante se rapproche à grands pas:  les 13 et 14 septembre 2021, c’est quasiment demain.

Plusieurs dates étaient possibles

La seule inconnue du choix du gouvernement résidait dans le choix de la date.

La première hypothèse, en apparence évidente, aurait été de retenir le jour de naissance du poète. Malheureusement celle-ci est inconnue. La seule chose que l’on sache est qu’il a été baptisé l’année suivante, en mars 1266. On suppose qu’il est né entre le 21 mai et le 21 juin 1265 sous le signe des Gémeaux, mais ce n’est qu’un déduction. Elle s’appuie sur un passage du Chant XXII du Paradis (v. 114-117), où Dante révèle le moment où il est né: «quand’ io senti’ di prima l’aere tosco» (“quand je sentis la première fois l’air toscan”)

Giorgio Inglese veut être plus précis. Il avance très prudemment dans sa Vita di Dante «que le poète serait né à la fin du mois de mai de l’année 1265, si ce n’est le 31.»1 Mais l’hypothèse n’est qu’esquissée. Un autre facteur complique encore l’équation; à cette époque c’était le calendrier Julien qui était en usage et non le Grégorien qui sera créé et utilisé beaucoup plus tard. Certes, les glissements entre les deux calendriers sont faibles, mais ils sont bien réels. Au final, trop de flou et d’incertitude pour fixer une date qui ne soit pas arbitraire. 

En seconde hypothèse, il aurait été possible de retenir la date de sa mort, c’est-à-dire le 14 septembre ou le 13 si l’on se fie à l’épitaphe composée par le poète et ami Giovanni del Virgilio peu de temps après la mort de Dante. Marco Santagata évoque pour sa part le 13 «après le coucher du soleil»2. Déjà le choix était plus précis, mais était-il possible de rendre hommage au poète florentin par un rendez-vous annuel, en célébrant sa mort qui eut lieu dans une autre ville que sa chère Florence? 

Une référence à La Divine Comédie

Au final c’est un tout autre jour qui a été choisi, en référence à La Divine Comédie. Paolo Di Stefano dans l’article où il avait lancé son idée disait avoir été inspiré par le Bloomsday. Cette journée —le 16 juin— est dédiée en Irlande à Leopold Bloom, le héros d’Ulysse le roman de James Joyce. Dans le roman, il parcourt ce jour là —le 16 juin 1904—  les rues de Dublin. 

Mais avec La Divine Comédie, déterminer la date où «Nel mezzo del cammin di nostra vita / mi ritrovai per un selva oscura», de ce moment où Dante s’engage dans le voyage de l’au-delà, oblige à des calculs autrement complexes. 

La clé se trouve au Chant XXI de l’Enfer. Une journée s’est déjà écoulée depuis le départ.  Malacoda, un diable, explique alors à Dante et Virgile que la route qu’ils veulent prendre a été coupée il y a fort longtemps: «Ier, più oltre cinqu’ ore che quest’ otta, / mille dugento con sessanta sei / anni compié che qui la via fu rotta» (“Hier, cinq heures plus tard que l’heure présente, / mille deux cent et soixante six / années s’étaient passées, depuis que la route a été coupée” — v. 112-114).

Les calculs ont été faits et refaits, mais nous dirons comme le fait élégamment Enrico Malato que «des références internes au poème nous permettent de fixer le début du récit (…) au Vendredi Saint du… 8 avril 1300.»3 Cette date correspond parfaitement avec le calendrier astronomique de la période, puisque ce 8 avril 1300 la lune était pleine. Or, dans le Chant XX de l’Enfer, Dante précise au vers 127 que “la nuit dernière (celle où il est perdu dans la forêt) “la lune était pleine” («e già iernotte fu la luna tonda»). 

Mais Il existe une autre hypothèse celle du 25 mars, pour laquelle des arguments sérieux peuvent aussi être avancés, mais dans ce cas, ajoute Enrico Malato «il s’agirait du 25 mars 1301».

Difficile de trancher si l’on s’en tient à la seule analyse de ce passage. Il est préférable d’obéir à la recommandation de Saverio Bellomio:

En raison de l’inconciliabilité entre les deux dates, il est nécessaire de retenir que le poète a imaginé une Semaine Sainte idéale en 1300 dans laquelle l’anniversaire liturgique de la mort du Christ , c’est-à-dire le Vendredi Saint, coïncidait avec cette histoire.4

Le 25 mars permet de renouer avec une tradition forte

Le gouvernement pour sa part a choisi le 25 mars, écartant l’hypothèse du 8 avril, non sans avoir hésité avec la date anniversaire de la mort du Sommo poeta. Avec ce choix, il renoue avec une tradition forte.

Cette journée au Moyen Âge correspondait selon la tradition, explique E. Malato à celui de la création d’Adam et aussi de la conception et de la mort du Christ. La date est, en particulier, ancrée dans la culture florentine. Il en reste aujourd’hui des traces plus ou moins folkloriques, mais au Moyen Âge, la Semaine Sainte était un événement essentiel de la vie de la Cité: le 25 mars, jour de l’Annonciation, marquait le début de l’année florentine. 

Au final, la décision du gouvernement sera emportée par un argument terre à terre mais décisif: il est plus facile d’intégrer la date du 25 mars dans les programmes scolaires, que le 14 septembre. Il est vrai qu’à partir du 25 mars 2021, le Dantedì sera inscrit dans le calendrier italien et donc célébré chaque année. 

  • Illustration: Dante Alighieri, détail d’une fresque de Giotto di Bondone — Chapelle du Bargello (XIVe siècle).
La disparition de Saverio Bellomo

La disparition de Saverio Bellomo

Saverio Bellomo, professeur de philologie italienne à l’Université Ca’Foscari de Venise vient de décéder à l’âge de 65 ans. Il était l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature médiévale, en particulier de l’œuvre de Dante, et il laisse inachevé une nouvelle édition commentée de La Divine Comédie, dont seul l’Inferno est paru. 

Une grande part de son travail a été consacrée à l’exégèse des premiers commentateurs de La Comédie, Filippo Villani, Jacopo Alighieri, Guglielmo Maramauro, ceux qui au XIVe siècle donnèrent quelques clés pour comprendre l’œuvre de Dante. Il travailla aussi sur un poète du Dolce Stil Nuovo, contemporain de Dante, Cino da Pistoia. Son œuvre majeure étant sans doute son Dizionario dei commentatori danteschi¹.

C’est donc avec une grande autorité qu’il travailla au commentaire d’une nouvelle édition de La Divine Comédie, dont le premier cantique, l’Inferno, est paru en 2013². Sa décision de participer à une nouvelle édition et à l’écriture d’un nouveau commentaire reposait, expliquait-il dans l’introduction, sur deux conditions:

  • toucher un public dont l’exigence n’était pas encore complètement satisfaite, c’est-à-dire «non un lecteur qui lit, mais qui relit le poème». 
  • dire quelque chose de neuf. Il précisait que sur Dante «tout ayant été dit et l’inverse de tout», il appliquait dans son commentaire le concept de “nouveauté” à la modalité d’exposition plutôt qu’au contenu proprement dit, et pour cela proposait à son lecteur éclairé «quelques hypothèses qu’il n’avait pas envisagées.»

Pour le choix du texte, après de longues et précises explications, sur diverses variantes possibles, il expliquait en philologue qu’il avait retenu le texte établi par Giorgio Petrocchi, dont il n’avait pas modifié une virgule, pour une raison plus morale que juridique. Il ne lui semblait pas «correct de modifier le travail d’autrui sans une prise de position cohérente et générale présentant une nouvelle hypothèse.

Seule modification qu’il s’autorisa, s’appuyant sur les travaux du linguiste Arrigo Castellani, celle concernant la graphie se’: 

[elle] est objectivement erronée, car dans le florentin en usage au XIIe et au début du XIIIe siècles [on employait pour] la deuxième personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe être [essere] et non pas sei.

Ces quelques détails pour montrer la perte, que représente pour la famille des amateurs de Dante, la disparition du professeur Saverio Bellomo. 

Notes

  1. Le titre complet est: Dizionario dei commentatori danteschi. Esegesi della “Commedia” da Iacopo Alighieri a Nidobeato, Olschki, Florence, 2004. 
  2. Inferno, coll. Nuova raccolta di classici italiani annotati, Einaudi, Torino, 2013. 
  3. On trouvera une biographie et un bibliographie plus complète sur le site de la Società dei Filologi della Letteratura Italiana [Sfli]

Photo: D.R.