Ave Maria

ave-maria-gregorien

«Ave Maria», c’est par ces mots que l’Archange Gabriel salut Marie lors de la scène dite de l’Annonciation dans l’Évangile. La prière, telle que nous la connaissons a été fixée au XIIIe siècle; elle est composée du rapprochement de deux “épisodes”: la première partie reprend donc les paroles de l’ange Gabriel, tandis que la seconde est la reprise de celles qu’Elisabeth, qui habite une ville de Juda, adresse à Marie enceinte venue la “visiter”: «Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de tes entrailles…»1

La prière sera mise en musique et dès le IVe siècle sera chantée. En voici les paroles:

Ave Maria, gratia plena / Dominus tecum / Benedicta tu in mulieribus; / Et benedictus fructus ventris tui, Jesus! / Sancta Maria, Mater Dei, / Ora pro nobis, peccatoribus, / Nunc, et in ora mortis nostræ.

(Je vous salue Marie, pleine de grâce; / Le Seigneur est avec vous. / Vous êtes bénie entre toutes les femmes / Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. / Sainte Marie, Mère de Dieu, / Priez pour nous, pauvres pécheurs, / Maintenant, et à l’heure de notre mort.)

Dante l’a sans doute entendue dans sa version grégorienne, dont voici ci-dessous une version.2

L’Ave Maria est chantée à deux reprises au Paradis:  

  • à la fin du Chant III, (v. 121-123) lorsque Piccarda et les autres esprits quittent Dante pour rejoindre l’Empyrée. Dante n’entend n’en entend qu’une partie —l’invocation à la Vierge Marie— Piccarda s’enfonçant dans le corps de la Lune pour disparaître à ses yeux —et donc ses oreilles. La lenteur et la douceur du mouvement ont été notées de tous les commentateurs. Anna Maria Chiavacci Leonardi explique3: «sa disparition s’accompagne du chant (Ave Maria) comme pour suggérer l’harmonie musicale propre à tout son propos, et de tout le chant4 dans son ensemble.»
  • au Chant XXXII (v. 94-96) il est chanté par l’ange Gabriel en hommage à Marie, dans une forme qui n’est pas sans rappeler l’Annonciation, puisqu’il se présente devant elle les ailes déployées («e quello amor che primo il discese, / cantando “Ave Maria, gratïa plena”, / dinanzi à lei le sue ali distese»).

Cette dernière scène doit être rapprochée d’un passage du Chant X du Purgatoire (v. 34-45) où Dante découvre, sculptée dans la roche, la scène de l’Annonciation. Une représentation tellement réaliste que, écrit-il, parlant de l’ange Gabriel, «il paraissait si vrai / ici  sculpté dans une attitude si délicate, / qu’il ne semblait pas image qui se tait. / On aurait juré qu’il disait “Ave!”» («dinanzi a noi pareva sì verace / quivi intagliato in un atto soave, / che non sembiava imagine che tace. / Giurato si saria ch’el dicesse “Ave!”»). Comprendre, il disait “Ave Maria”.

Cette scène du Purgatoire —Dante se trouve sur la corniche des “orgueilleux”— est le premier exemple d’humilité que rencontre Dante, et il est significatif qu’il soit inspiré par Marie comme l’explique Cécile Le Lay5

La prière de Marie, écrit Cécile Le Lay, intervient au cours de scènes spécifiquement conçues pour accompagner l’ascension de Dante (…) Comme la scène de l’Annonciation, cette prière mariale toute simple constitue l’illustration la plus immédiate du paradoxe final, «umile e alta più che creatura» («humble et élevée plus que les créatures» – Paradis, Chant XXXIII, v. 2), et le meilleur antidote pour écarter tout risque d’hybris au conséquences mortelles, à l’image de la figure toujours sous-jacente d’Ulysse. Dante souligne ainsi que plus il s’élève vers Dieu plus il lui faut demander la grâce de rester humble comme Marie.