C’est un très beau portrait de “Dante en paysage” que vient de publier Creatiséditions. Le très beau texte de Bernard Chambaz sur sa découverte personnelle de Dante et les gravures délicates et profondes de Florence Hinneburg font de ce livre un régal.

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Sans titre — Gravure exposée lors de l’exposition Selva Oscura, aux Imprimeries Réunies (Moulins sur Allier, 2022) – Collection personnelle – © Florence Hinneburg

Dante en paysage est en apparence un tout petit livre. Soixante-dix pages d’un petit format, une couverture cramoisie sur laquelle se détachent en lettres grasses le titre et les noms des auteurs: l’écrivain et poète Bernard Chambaz et Florence Hinneburg, auteure des gravures qui y sont publiées. Dans la réalité, c’est tout l’inverse, tant le paysage proposé par le texte et les gravures est surprenant et étonnant, mêle tout à la fois le contemporain et l’intemporel.

«Fiumicel che nasce in Falterona.» Bernard Chambaz commence-t-il son récit là où naît le fleuve qui baigne Florence, mais aussi là où naît la poésie «qui s’apparente aux fleuves» ? On pourrait le croire pendant quelques lignes, mais c’est un autre itinéraire que nous propose l’auteur. Il préfère remonter l’Arno «depuis les cabanes à filets de pêcheurs de l’embouchure». Un voyage à contre-courant donc, qui est né, dit-il, de la

superposition d’un violent désir de retourner à Florence (Toscane) et de la découverte des défets1 de Florence (Hinneburg). 

Un voyage personnel à la découverte de Dante

De la Florence toscane telle que la raconte Bernard Chambaz, de sa découverte progressive de l’œuvre de Dante, de ses lectures («Dante, c’est naturellement une histoire de livres») qui nourrissent la compréhension qu’il a du poète, il faut en dire peu sous peine de déflorer le propos et laisser à chacun découvrir ce très beau texte. Peut-être faut-il souligner que, dans ce voyage personnel à la découverte de Dante, les mots parfois le déroute comme cette «traduction archaïsante d’André Pézard qui m’a moins amusé que rebuté», mais le plus souvent, ils l’enthousiasment et l’entraînent: 

c’est à lui (Dante) que nous devons ce que Jacqueline Risset nomme joliment «les joies de la couleur», où trônent le vert, la verdure, les frondaisons, les berges du fleuve. 

La couleur, les gravures de Florence Hinneburg les délaissent. Leur étrange beauté trouve une autre source. Elle naît de plaques de cuivre, de morsures d’acide, de gravures, d’incisions… Il n’y a chez elle, nous dit Bernard Chambaz, à l’inverse des illustrations de Gustave Doré, rien d’explicite. Au contraire,

le registre demeure implicite, il n’y a ni titre ni vers précis en regard, il s’agit davantage d’élaborer un monde, de donner vie à des sensations, voire des sentiments, et de nous les offrir en partage, en écho à travers d’autres sensations et d’autres sentiments qui sont les nôtres; et, si elle reprend à Dante le précepte des perceptions comme mode de connaissance, elle fait valoir l’épiphanie de tout dans l’apparence du rien.

25 « défets » ferment le livre

Ce travail étonnant est sagement rangé dans le livre sous le nom de défets. On peut imaginer qu’il a été tiré de la phrase de Victor Hugo dans Les Misérables: 

Ses cuivres disparus, ne pouvant plus compléter même les exemplaires dépareillés de sa Flore qu’il possédait encore, il avait cédé à vil prix à un libraire-brocanteur planches et texte, comme défets.

Mais ces défets sont peut-être surtout une variation des défaits exposés en 2016 à Moulins (Allier) dans le cadre étonnant des Imprimeries Réunies. Ils sont plus sûrement les cousins des œuvres présentées l’année dernière, toujours aux Imprimeries réunies, dans une exposition titrée Selva Oscura. Les trois séries montrées à cette occasion étaient déjà issues d’une recherche autour des paysages de la Divine Comédie de Dante. 

Et Bernard Chambaz de nous dire: 

Je sais que Florence a lu Dante après l’attentat du Bataclan et les portraits des victimes publiés par Le Monde. (…) Ce qu’elle a vu au cours de sa lecture, encordée aux poètes, c’est ce que nous voyons, des personnages incroyablement vivants dans une traversée où on ne ne rencontre que des morts, ce sont aussi des paysages qui apparaissent et qui s’estompent.

C’est ce monde réel et rêvé, c’est ce Dante «fait paysage» que nous invitent à arpenter et contempler Bernard Chambaz et Florence Hinneburg dans livre qui n’a plus de “petit” —une fois refermé— que l’apparence.

  • Dante en paysage, de Bernard Chambaz et Florence Hinneburg, Creaphiséditions, Saint-Étienne (42000), 2023, 14€.