La période des Fêtes est propice à lecture et voici quelques idées de livres parus en France et en Italie autour de Dante et de la Divine Comédie, avec à venir pour début janvier la nouvelle —et très attendue— traduction du Banquet.

LEnfer_Dante_illustrations_Lorenzo_Mattotti

C’est le beau livre de cette période de Noël et du Nouvel An. Les éditions Magnard ont eu l’excellente idée de publier une nouvelle édition de l’Enfer de Dante illustrée par Lorenzo Mattotti. Le dessin de couverture, où l’on voit les Malebranche s’affronter au-dessus du fleuve de poix bouillante du Chant XXII de l’Enfer, donne un bel aperçu du travail de cet illustrateur réputé. Dans ce volume sont aussi publiés les croquis préparatoires à ce travail, ce qui prolonge le plaisir et permet de mieux comprendre l’acte créatif de Mattotti.

La Correspondance et le Banquet, deux traductions nouvelles

Correspondance_I_L' Amour_et_lExil_Benoit_GrevinEn France, aux Belles Lettres, est paru depuis déjà quelques mois le premier tome de la Correspon- dance de Dante traduite et commentée par Benoît Grévin.1 Sans doute en 2023 devrait paraître le deuxième tome d’un ensemble de trois volumes. 

On le sait, seules treize lettres de Dante nous sont parvenues. Les unes sont écrites «pour le compte d’autres», qu’il s’agisse de tel grand personnage ou des guelfes blancs en exil, et d’autres sont personnelles. Ces épîtres longtemps classées parmi les “œuvres mineures” du poète florentin sont aujourd’hui considérées comme un élément essentiel pour comprendre son évolution politique, personnelle, intellectuelle et poétique. 

Benoît Grévin montre que ces lettres —pour brève qu’en soit la plupart— doivent être considérées aujourd’hui comme partie intégrante de l’œuvre du poète. À cet égard, la lecture de son Introduction générale est un régal pour tous ceux qui s’intéressent à Dante et désirent approfondir leur connaissance de son œuvre.

  • Nota : Nous reviendrons plus longuement sur cette Correspondance en raison de son importance pour la compréhension de l’œuvre de Dante.

œuvres_completes_Dante_Le_Banquet_traduction_Bruno_PinchardDébut janvier 2023, toujours en France, va paraître chez Garnier, sous la direction de Franca Brambilla Ageno le premier tome d’une nouvelle édition des Œuvres complètes de Dante Alighieri.

C’est le Banquet qui inaugure cette nouvelle et ambitieuse édition de l’œuvre du poète florentin. Un choix courageux, car le Banquet —resté inachevé— est une œuvre complexe où la poésie introduit et nourrit la réflexion philosophique.

«Dans le Banquet, il traverse successivement la question de la langue, de l’amour, du bonheur et de la noblesse. Ce mouvement d’ensemble présente la première formulation d’un humanisme à venir», résume le texte de présentation de cette édition.

Ce tome I comprendra le texte original en toscan, une traduction et des annotations signées Bruno Pinchard2, sans doute l’un des meilleurs connaisseurs en France de Dante et de la dimension philosophique de son œuvre.

C’est peu dire que cette parution est attendue avec impatience. 

En Italie, une importante activité éditoriale

De l’autre côté des Alpes, en Italie, l’activité éditoriale est tout aussi importante. Plusieurs livres viennent de paraître qui analysent l’œuvre de Dante chacun sous un aspect original.

Mirco_Cittadini_Da_Medusa_a_Maria«Homophobe, hater, misogyne». En trois mots, Camillo Langone synthétise les accusations à l’encontre de Dante.

Un procès que réfute  Mirco Cittadini l’auteur de Da Medusa a Maria3 qui entend placer le «féminin sacré au centre de la Comédie».

Le lecteur retrouve dans les pages de l’ouvrage toutes les femmes qui peuplent la Comédie, Francesca, la mystérieuse Matelda, la Pia… ainsi que les sulfureuses «antibeatrice» Circée, Sirène et Méduse.

Mais, il ne s’agit pas de tracer les portraits de ces personnages. À travers elles, c’est à la question du «principe féminin» chez Dante que réfléchit Miro Cittadini:

Un féminin qui se nourrit de la sensualité de Francesca, de la ruse serpentine de la Sirène/Géryon,, des métamorphoses circulaires de Circe. (…) C’est un féminin qui se pose comme médiation avec le divin, c’est le féminin de Lucie, c’est le féminin de Piccarda. C’est un féminin terrible, dévastateur, mortifère, c’est le féminin historique de la Louve, c’est le féminin alchimique du caput mortuum de Méduse. (…) un féminin qui purifie comme celui de Matelda et des nymphes. 

Tous ces féminins en fait n’en font qu’un nous dit dans sa conclusion M. Cittadini, et sans lui, il ne saurait y avoir de «salut». 

Un magnifique Bestiario

Bestiario—onomasiologico_della_Commedia_Leonardo_CanovaLe deuxième ouvrage d’origine transalpine est d’un tout autre registre et d’une toute autre ampleur. Son titre,  Bestario onomasiologico della Commedia (Bestiaire onomasiologique de la Comédie),4 pourrait rebuter un lecteur peu versé dans la sémantique, mais dès les premières pages tournées, il s’avère passionnant. L’auteur, Leonardo Canova, s’est inspiré des bestiaires, ces recueils de textes sur les animaux de l’époque médiévale, pour composer ce qui s’avère être une indispensable encyclopédie sur les animaux présents dans la Divine Comédie. 

Bien sûr, onomasiologie oblige, chaque entrée commence par une —ou des— définition du mot, son origine. Puis l’auteur nous dit la —ou les— occurrence où l’on peut trouver ce mot dans la Divine Comédie. Mais ce sont là des passages obligés en quelque sorte. La véritable richesse tient aux innombrables références qui nourrissent chacune des entrées de ce bestiaire, lui donnant une profondeur inattendue.

Pour s’en tenir à l’une des entrées les plus brèves, celle du Lepre, animal qui n’apparaît qu’une seule fois dans la Comédie, sous la forme «lievre» (L’Enfer, Chant XXIII, v. 18), le lecteur apprendra que cet animal est considéré

dans le Lévitique comme un animal impur pratiquement à l’égal du porc, d’un autre côté son comportement pour se défendre, qui le conduit à se réfugier dans sa tanière le rend un être d’une particulière sagesse.

Mais Leonardo Canova ne saurait en rester à cette seule ambivalence. Il rappelle aussi, par exemple, que pour de nombreux commentateurs du Lévitique (Lv. 11, 6) «la fertilité du lièvre en fait un symbole de la lascivité, de l’adultère et de l’homosexualité, tandis que d’autres le considère hermaphrodite», mâle pendant quatre ans et femelle quatre autres années.

Cet imaginaire médiéval donne son épaisseur au terme, même si en conclusion de cette entrée l’auteur rappelle que Dante parle de «lievre» pour donner corps à la frayeur qu’il ressent alors qu’il est pourchassé d’une manière «plus cruelle que les chiens» par les Malebranches. Dante entend peut-être aussi donner l’image de la vitesse de sa course, car déjà dans les bestiaires médiévaux, dit Michel Pastoureau (cité dans ce Bestiario), le lièvre était réputé pour «sa vélocité proverbiale». 

Ce Bestiario, dont la richesse en fait un ouvrage indispensable au lecteur de Dante, offre aussi une classification, propose une réflexion sur la typologie et les différentes «fonctions» des animaux dans le texte, donne aussi un cahier enrichi d’images illustrant la Divine Comédie, et enfin n’oublie pas de procurer les indispensables tableaux statistiques.

Le charme de l’ouvrage doit aussi beaucoup aux illustrations de Marco Napoli, dont le dessin croque avec finesse chacun des animaux évoqués dans ce Bestiario. 

La nourriture au temps de Dante

Dante_e_il_cibo_del_suo_tempo_Nicoletta_TagliabracciLe troisième ouvrage italien est plus mince mais non moins intéressant en cette période festive, car il s’intéresse à la nourriture au temps de Dante. Difficile pour Nicoletta Tagliabracci, l’auteure de Dante e il cibo del suo tempo,5 de s’appesantir sur ce que mangeait et buvait le poète faute de sources et aussi parce que nous explique-t-elle

«pour le Sommo poeta la nourriture n’est pas importante il le démontre en lui donnant une image négative dans sa Comédie: dans l’Enfer, c’est le moyen de la peine et de la souffrance, le Purgatoire est le prélude à de nouveaux repas et c’est seulement au Paradis qu’il devient “pain des anges”, un aliment divin comme charnel.»

Il est très probable que Dante fréquenta lors de son exil les tavernes et les hôtelleries nombreuses sur les routes médiévales. Le voyageur s’y nourrissait de soupes roboratives à base de céréales et de légumineuses, de tourtes et autres pâtés, de fromages affinés… On pouvait aussi y manger des mets plus raffinés comme de l’oie rôtie, du porc aux lentilles, des poissons de rivières ou encore des omelettes aux herbes. Nicoletta Tagliabracci nous apprend que les fleurs frites étaient une «douceur» que l’on trouvait communément.

Dans les cours nobles —et on imagine Dante à la table des Scaglieri ou des Malaspina— les repas suivaient un ordonnancement particulier. Les convives se devaient d’avoir «les ongles soignés» et en cas de nécessité «se nettoyer les doigts non sur la nappe mais sur leurs vêtements». On mangeait a tagliere, c’est-à-dire nous explique l’auteure que

une « planche à découper » était placée tous les deux convives, car dans les repas médiévaux l’idée de partager la nourriture avec les autres était fondamentale: soit c’était le maître de maison qui le faisait, soit les hôtes avec les autres invités, et les commensaux se servaient avec leurs mains.

Si nous ne mangeons plus comme au Moyen Âge, certaines recettes ont peu évolué, témoin celle du saor que l’on peut déguster encore aujourd’hui à Venise, où les sardines au saor sont une spécialité appréciée. Nicoletta Tagliabracci nous en donne une recette du XIVe siècle: 

Toy lo pesse e frigello, toy zevolle e lassale un poco, taiale menude, po’ frizzele ben, poy toi aceto et acqua e mandole monde, intriegi et uva passa e specia forte e un poco de miele e fa bollire ogni cossa insiema e meti sopra lo pesse.

(Prendre le poisson et le frire, prendre des oignons les saler légèrement, les émincer, puis les faire bien revenir, puis prendre du vinaigre, de l’eau, des amandes émondées, des raisins secs, des épices forts et un peu de miel; faire bouillir tout cela ensemble, et le mettre sur le poisson).