Rinier da Corneto

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L’Enfer, Chant XII, v. 137

On sait peu de choses sur Rinier da Corneto que Dante cite dans les derniers vers du Chant XII aux côtés du plus célèbre Rinieri Pazzi.. Les commentateurs anciens se contentent de dire que c’était un voleur de grand chemin. 

C’est sans doute l’Anonimo Fiorentino qui apporte le plus de précisions sur ce personnage parmi les commentateurs anciens:

​​Messer Rinieri da Corneto di Maremma était un grand brigand, si bien que pendant sa vie il a tenu toute la Maremme dans la peur, et jusqu’aux portes de Rome. Cependant, comme il avait volé lui-même dans les rues, il recevait quiconque voulait devenir voleur dans ses forteresses et lui donnait aide et faveur.

En creux, on peut penser que ce Rinieri de Corneto n’était pas un simple bandit de grand chemin, mais en fait un noble —il possède des forteresses— et contrôlait les routes et chemin sur son domaine. 

Dante, lui-même, a entretenu la confusion

Toutefois, cela ne permet pas de l’identifier avec certitude, le seul élément tangible que nous fournit Dante étant la localisation du personnage: Corneto. Longtemps, on a pensé qu’il s’agissait de Corneto, dans la province de Viterbe, dans l’actuelle Tarquinia. 

Dante lui-même a entretenu la confusion: au début du Chant XIII de l’Enfer (v. 8), il  décrit un lieu sauvage peuplé des seules bêtes sauvages situé entre Cecina et Corneto, c’est-à-dire dans la Maremme. 

La seule trace dans la région d’un noble qui se serait lancé dans le banditisme de grand chemin est celle d’un Raynerius qui opérait sur son territoire. Son identité serait recoupée par les anciens commentaires qui tous ne parlent que de la localisation.1

Une piste qui laisse de marbre Umberto Carpi, qui y voit une impasse: 

Rinieri (da Corneto) ne peut être une personnalité connue dans le monde féodal de la Tuscie (Tuscia) qui soit également impliquée dans les turbulences endémiques de ce milieu à la moitié du XIIIe siècle. Aujourd’hui, on ne trouve aucune trace d’un personnage de ce type —à Corneto en Maremme et à cette époque— ni dans les chroniques ni dans les documents.2 

Un Corneto situé dans les Appennins

Une autre piste semble plus prometteuse. Il faut quitter le Corneto proche de la mer et de Viterbe et aller dans un autre Corneto situé dans les Apennins. 

Une région que connaissait parfaitement Dante en raison des nombreux séjours qu’il fit dans les différents châteaux des comtes Guidi lors des premières années de son exil. Ce Rinieri (ou Ranieri) appartiendrait à l’une des branches de cette prolifique famille. Il serait le père d’Uguccione della Faggiola, un personnage qu’aurait connu directement Dante, selon Boccace. 

Or, remarque Umberto Carpi, 

Le château d’origine —et principal— des Faggiolani était construit à Corneto, c’était leur domus officielle. et si l’on peut le dire ainsi en regard de la nouvelle fortune de ce lignage, au début du XIIIe siècle, le palatium qui en accueillait la cour. Une cour dont dû être l’hôte Dante.3

Un point de contrôle stratégique

Mais pourquoi ce Rinieri aux côtés de Rinieri Pazzo, est-il accusé dans le Chant XII de faire “tant de guerres sur les routes”? 

Il faut d’abord observer que le château de Corneto, dont il ne reste quasiment plus trace aujourd’hui, situé dans une zone montagneuse, était un point de contrôle stratégique des routes vers Arezzo, Rome… Il faut ensuite se souvenir que la famille des Faggiola, dont Rinieri serait le “père fondateur” était une famille noble gibeline, comme d’ailleurs la plupart des familles nobles de ces montagnes.

Rinieri da Corneto était donc un adversaire résolu de la Florence guelfe. «Les deux Rinieri, écrit Umberto Carpi, évoquent la violence guerrière qui, de manière pernicieuse aux yeux des Florentins, dévasta pendant des années dans  la haute vallée de l’Arno des féodalités en crise quoique très puissantes et agressives, comme celle des Pazzi et des Ubertini et la puissance émergente d’une nouvelle noblesse comme celle des Faggiolani.»4 

On trouve une dernière trace de ce Rinieri da Corneto (ou della Faggiola), dans un acte du podestà de d’Arezzo, Galasso di Montefeltro, daté du 18 juillet 1290. Il s’agissait de réorganiser le camp gibelin après le désastre de Campaldino. Une paix était imposée entre Rinier, ses fils et ses fidèles et les Arétins. Il est très probable qu’il mourut peu de temps après.

  • Illustration: Dante e il centauro Nesso, par Guglielmo Giraldi. Miniature extraite du Codice Urbanite Latino 365 (1474-1482)