Rinier Pazzo, le personnage que cite Dante au vers 137 du Chant XII de l’Enfer, comme étant l’un de ceux qui «fecero a le strade tanta guerra» est plus clairement identifié que l’autre personnage cité, Rinier da Cornetto.
Ce Rinier Pazzo, nous dit l’Ottimo Comento «était un chevalier de la famille Pazzi», une puissante famille féodale du Valdarno supérieur1. Une famille étroitement liée aux autres grandes lignées féodales gibelines de Toscane qu’étaient les degli Uberti, degli Ubaldini, degli Ubertini et autres dei Montefeltro. Elle était vassale des comtes Guidi, par décret de l’Empereur Henri VI, un décret confirmé par son successeur Frédéric II Hohenstaufen.
Rinier, lui-même, était Vicaire impérial du comté d’Arezzo et de la Cité de Castello, par décret impérial de 1250.
L’importance de Rinieri dei Pazzi dans le paysage politique de l’époque se manifeste par le fait qu’il conduisit avec Farinata degli Uberti (le Farinata du Chant X de l’Enfer) «le traité pour le pacte d’alliance contre Florence et sa ligue (guelfe – Ndr) et les Communes de Sienne, Pise, Pistoia et la part gibeline de Toscane: Farinata représentait les gibelins « communaux » de Florence, Rinieri les gibelins “féodaux” du Valdarno supérieur».2
D’irréductibles gibelins
Retranchés dans le Valdarno, les membres de cette famille irréductiblement gibeline menèrent durant des dizaines d’années, même après la bataille de Campaldino (1289), une active guérilla contre les troupes de la guelfe Florence.
C’est sans doute pour cela que Dante parle dans le Chant XII de «guerre sur les routes». Mais comment expliquer qu’il “dégrade” ce grand féodal qu’était Rinieri dei Pazzi en une sorte de bandit de grand chemin?
Cela tient sans doute pour partie à une opposition frontale entre ces représentants de la société féodale et les communes, dont le pouvoir et l’indépendance se développaient alors. Umberto Carpi raconte l’anecdote suivante:
Frédéric d’Antioche, fils de Frédéric II et vicaire général de Toscane lui avait concédé en 1246 (à Rinier Pazzo – Ndr) tous les droits et privilèges sur les biens du Valdarno de l’abbaye de Nonantola —il les exerçait en permanence—; mais en 1251, alors que s’affirme à Florence le pouvoir populaire, Rinier Pazzo doit faire une pleine renonciation devant le Podestà, soupçonné d’avoir agi par fraudem e invasionem.3
Une dégradante propagande
D’un côté, Florence entendait exercer son pouvoir sur son contado et de l’autre, les grands féodaux du Valdarno voulaient maintenir la subordination féodale dont ils bénéficiaient et n’entendaient pas céder un pouce de terrain. Les opérations de brigandage qu’évoque Dante dans la Divine Comédie sont donc en réalité des opérations de police pour maintenir les droits féodaux, si ce n’est les épisodes d’une féroce guerre d’embuscade. Pour Umberto Carpi il ne fait aucun doute que
nos Rinieri, le Pazzo et celui de Corneto, (…) ont fait l’objet d’une dégradante légende qui trouve son origine dans la propagande et la culture communale.4
Un autre évènement plus tardif va contribuer à ternir encore un peu plus l’image de ce Rinier Pazzo. L’épisode est raconté ainsi dans l’Ottimo Comento:
il se mit à voler les prélats de l’Église de Rome sur ordre de Frédéric II, empereur des Romains, vers l’année du seigneur 1268; à cause de cela, lui et ses descendants ont été mis sous excommunication perpétuelle et la municipalité de Florence fit des lois contre eux, les privant perpétuellement de tout droit.
L’embuscade contre les évêques
L’incident se produisit lorsqu’une ambassade du roi Alphonse de Castille auprès du pape pour essayer de se faire couronner empereur.5 Cette délégation était menée par Garcia, évêque de Silves.
Alors que cette délégation se rendait à Viterbe, où se trouvait alors la cour papale, ils furent attaqués par Ranieri et ses alliés à Ganghereto, sur la route entre Florence et Arezzo, sur le territoire des Ubertini et des PazzI. Il est probable que l’embuscade ait été commanditée par Henri de Castille le frère d’Alphonse. L’attaque fut brutale et sanglante. Garcia y perdit la vie ainsi que de nombreux autres membres de la délégation et leurs biens furent pillés.
Ranieri sera excommunié et interdit dès 1268 par le pape Clément IV, la peine étant maintenue par ses successeurs Grégoire X en 1272 et Honorius IV en 1285. Signe de la vindicte papale, il ne bénéficia pas non plus de l’amnistie du Cardinal Latino de 1280 comme tous ceux qui «nefandum facinus commiserunt in spoliatione ac occisione prelatorum Valle Arni».(”qui avaient commis un crime odieux en pillant et en tuant des prélats dans le Val d’Arno”).
On ignore quand mourut ce Ranieri Pazzo. Un de ses fils, homonyme, mourut à la bataille de Campaldino. il était lui aussi excommunié.
- Sources complémentaires: Ranieri de’ Pazzi – Treccani — Inferno, a cura di Saverio Bellomo, Einaudi, 2013, p. 199 — Inferno, commento di Anna Maria Chiavacci Leonardi — Paget Toynbee, Dante Dictionary, Clarendon Press, Oxford, p. 421.
- Illustration: Valdarno suprérieur, vu du Protomagno