Les origines du Te Deum Laudanus sont mal connues. Il aurait été composé par Césaire qui fut évêque d’Arles et Abbé de Lérins avant 502. Mais cet hymne est connu aussi sous d’autres noms et avec des origines plus anciennes: Laus angelica (Louange angélique) ou Hymnus Ambrosianus. Dans ce dernier cas, il aurait été composé par saint Ambroise, évêque de Milan (de 374 à 397).
Une légende voulait aussi qu’il ait été composé et chanté par trois saints le jour du baptême de saint Augustin, en 387. D’ailleurs, dans le Breviarium Romanum, le bréviaire qui regroupe les prières de l’Office divin, le Te Deum fut longtemps appelé Hymnus SS. Ambrosii et Augustini.1
Le Te Deum fait partie des psalmi idiotici
Le Te Deum fait partie des psalmi idiotici, une expression qui signifie « psaumes privés », car son texte n’est pas tiré de la Bible, comme le sont les Psaumes de David, mais a été rédigé plus tard. C’est le seul hymne idiotici avec le Gloria in excelsis à ne pas avoir été supprimé du canon de l’Église après le IVe siècle et a avoir traversé la période médiévale, les autres ayant été jugés potentiellement hérétiques.2
En raison de son origine incertaine (et sans doute plurielle) le texte du chant a connu quelques variations. La plus ancienne version que nous connaissons semble être celle d’un manuscrit irlandais, l’antiphonaire de Bangor (du nom de l’abbaye de Bangor), mais il est aussi un texte, De mortalitate, de saint Cyprien de Carthage, datant de 252, qui présente de troublantes similitudes avec celui que nous connaissons.3
Voici les premières strophes de cet hymne:
Te Deum laudamus, / te Dominum confitemur. / Te aeternum Patrem, / omnis terra veneratur.
Tibi omnes angeli, / tibi caeli et universae potestates, / tibi cherubim et seraphim, / incessabili voce proclamant :
«Sanctus, Sanctus, Sanctus / Dominus Deus Sabaoth. / Pleni sunt caeli et terra / maiestatis gloriae tuae.»
(Dieu, nous Te louons, / Seigneur, nous T’acclamons, / Père éternel, / toute la terre Te vénère.
C’est pour Toi que tous les anges, / pour Toi, que toutes les puissances du ciel, / pour Toi, que les chérubins et les séraphins, / chantent d’une voix ininterrompue :
«Saint, Saint, Saint / Le Seigneur, Dieu des Armées / Les cieux et la terre sont remplis / de la grandeur de Ta gloire.»)
Un hymne à la gloire de Dieu
Cet hymne qui célèbre la gloire de Dieu est entonné en diverses occasions. Au temps de Dante, il était chanté lors des matines les dimanches et jours de fêtes, mais aussi lors d’occasions spéciales comme la consécration d’un évêque, par exemple. Il était aussi très régulièrement chanté dans les monastères. La règle de saint Benoît prévoit par exemple que «l’ambrosien» soit chanté de Pâques à novembre aux vigiles pendant les heures de nuit et aux Vigiles du dimanche. Il est précisé: «l’abbé entonnera l’hymne Te Deum laudamus.»
Cette règle donne une première indication de la manière dont cet hymne était chanté au temps de Dante, puisque la règle n’a pas évolué par rapport à cette époque. On peut donc penser qu’il était chanté en alternatim, un chanteur ou une partie du chœur chantant les vers en alternance avec l’autre partie du chœur.
«dans la mélodie qui se chante là-haut»
Dans La Divine Comédie, le poète entend le Te Deum en deux occasions, au Purgatoire et au Paradis.
Au Paradis, il est difficile de se représenter l’interprétation que font les bienheureux du chant tant les indications que donne Dante sont pauvres. Ils entonnent le chant pour célébrer la réussite de Dante à la première partie de l’examen sur la foi, ce qui est logique. L’un des vers du Te Deum ne proclame-t’il pas, «aperuisti credentibus regna cælorum» (“Tu as ouvert le royaume des cieux à tous les croyants”)?
Finito questo, l’alta corte santa
risonò per le spere un “Dio laudamo”
ne la melode che là sù si canta.
(Ceci étant dit, la haute et sainte cour / fit résonner dans les sphères un “Louons Dieu” / dans la mélodie qui se chante là-haut — Chant XXIV, v. 112-114)
L’indication musicale est mince: «ne la melode che là sù si canta». Tout au plus peut-on dire que les bienheureux chantent ensemble l’hymne, comme le ferait des moines.
Mais l’essentiel est peut-être ailleurs comme le suggère Francesco Ciabattoni. Pour lui, le poète voulait «marquer la nature différente de cette interprétation de celle du même hymne dans le Chant IX du Purgatoire (v. 140-141)»4
Qu’appelle-t’on un «doux son»?
F. Ciabattoni fait allusion à ce moment, où Dante ayant franchi la porte du Purgatoire, il lui semble entendre chanter des voix mêlées à ce qu’il appelle “un doux son”:
e “Te Deum laudamus” mi parea
udire in voce mista al dolce suono.
(et il me sembla entendre “Te Deum laudamus” / chanté en voix mêlées au doux son — v. 140-141)
Le seul problème de ce passage est que le «dolce suono» dont il est question semble être le terrible bruit de ferraille d’une lourde porte tournant sur des gonds rouillés que le poète a décrit quelques vers auparavant:
E quando fuor ne’ cardini distorti
li spigoli di quella regge sacra,
che di metallo son sonanti e forti,
non rugghiò sì né si mostrò sì acra
Tarpëa,
(Et quand tournèrent sur leur axe / les gonds de ce portail sacré, / comme ils sont d’un métal sonnant et fort, / Tarpéia ne rugit pas aussi fort / ni ne se montra aussi / crissante — v. 133 -137)
Comment expliquer que ce bruit « sonnant et fort” soit en même temps un “son doux” ?
Il est difficile de soutenir comme le fait Michele Barbi, que le bruit de la porte (le primo tuono) soit en même temps un son doux. Francesco Ciabattoni reprend l’idée de Denise Heilbronn lorsqu’elle suggère que «le rugghio acre et le primo tuono étaient ressentis comme des sons musicaux au Moyen Âge.»
Sur le plan intellectuel l’idée qu’un crissement ou un grincement soit un son doux peut se défendre si l’on souvient qu’au Purgatoire la souffrance endurée par les ombres est en fait une catharsis, puisqu’elle permet la purification et conduit à la délivrance.
Mais si le problème conceptuel peut ainsi être résolu, demeure la question du bruit de la porte et de son origine.
«Le rugissement du fracas du tonnerre»
Un peu plus loin dans le chant, Dante dit que ce qu’il entend lui rappelle “quand on chante avec un orgue” (v. 144). Le terme qu’emploie le poète est «organi».
La question qui se pose est donc de savoir si dans le nord de l’Italie, des orgues avaient déjà été installés et si Dante avait eu l’occasion d’en écouter. C’est très probable puisque en 1299, à Florence, l’église de San Annunziata en était équipée. À cette époque, Dante n’était pas encore sur les routes de l’exil.
Or, ce son produit par les rares orgues construits avant le XVe siècle était «déconcertant». Pour certains contemporains, il évoquait le «rugissement du fracas du tonnerre». F. Ciabattoni remarque
Leurs tuyaux de cuivre résonnait avec le grincement de métal semblable à celui de Dante, ce qui établit un lien métonymique: le crissement des gonds de la porte (du Purgatoire — Ndr) résonne comme les tuyaux de métal des orgues.
D’autre part, il ajoute qu’il est très probable que contrairement à la pratique de l’alternatim qui voulait que le chœur chante en alternance avec les moments où l’orgue joue, ici le chœur en même temps que l’organiste joue la partition.
Te Deum Laudanus
Voici l’hymne qu’entend Dante en franchissant la porte du Purgatoire et plus tard, lorsqu’il répond correctement aux questions de saint Pierre. Il nous manque la «mélodie que l’on entend là-haut»
Te Deum laudamus — Chant Grégorien — Source: The World of Dante.