Il ne restait quasiment plus une place de libre dans la vaste salle du Teatro Olimpico de Rome ce 14 mai 2024 pour assister au spectacle de la compagnie No Gravity: Divina Commedia, Dall’Inferno al Paradiso. Dans ce ballet inspiré de la Divine Comédie, les danseuses et les danseurs, libérés des chaînes de la pesanteur, semblent flotter dans l’espace.

Divina Commedia, Dall'Inferno al Paradiso, échelle

La scène de l’échelle dans le spectacle de danse, Divina Commedia, Dall’Inferno al Paradiso, défie les lois de la gravité. Photo: No Gravity

Dans un noir d’encre, deux hommes tiennent chacun l’extrémité d’une barre. Rien ne semble les porter, ils sont comme en apesanteur. Sur cette barre, un danseur est en équilibre. Un —faux— faux pas et il tombe dans ce qui paraît le vide. Il se rattrape d’une main, remonte sur la barre. Le voilà rejoint par deux danseuses sorties du néant. Elles aussi tombent, remontent et retombent encore. Voilà que ceux qui soutenaient la barre rejoignent à leur tour les autres danseurs dans ce ballet irréel… 

Dall’Inferno  al Paradiso est un spectacle stupéfiant au sens propre du terme. Grâce à un dispositif scénique qu’il serait incongru de dévoiler, les danseuses et danseurs semblent flotter dans l’air donnant ainsi à leurs mouvements et à leurs gestes une force et une grâce étonnante. En regardant ce fantasmatique ballet, on ne peut que penser, aux vers de Dante décrivant la “nage” de Géryon dans le vide qui sépare les huitièmes et neuvièmes cercles de l’Enfer: 

Ella sen va notando lenta lenta ; 

rota e discende, ma non me n’accorgo 

se non che al viso e di sotto mi venta

(Elle (Géryon – Ndr) s’en va nageant doucement, doucement; / vire et descend, mais je ne m’en aperçois / que par le souffle sur mon visage et venant par dessous. — L’Enfer, Chant XVII, v. 115-117)

Avec cette poésie en tête, le spectateur voit se former une pyramide humaine à l’équilibre parfait et quasi surnaturel. ll regarde un danseur monter doucement, comme le ferait un plongeur rejoignant la surface de l’eau, déployant derrière lui une immense robe de dentelle blanche. Il découvre un cercle de corps comme posé à la verticale sur le fond noir de la scène, à l’intérieur duquel un homme marche et danse. Il suit le jeu des ballons et des danseurs qui font et défont des figures géométriques comme celle d’un kaléidoscope géant. Il admire le déploiement avec un claquement sec d’éventails au blanc éclatant. 

Ce spectacle, sous-titré Dall’Inferno al Paradiso est inspiré de la Divine Comédie de Dante et l’on peut s’amuser à raccorder chaque tableau à un chant célèbre de la Comédie. Par exemple, le cercle duquel le danseur ne peut s’échapper c’est bien sûr le(s) cercle(s) de l’Enfer dont aucune âme damnée ne s’évade. Et la musique rude et syncopée est là pour nous le rappeler. 

L’échelle patiemment assemblée sous nos yeux ne symbolise-t-elle pas la lente et difficile ascension du Purgatoire, de corniche en corniche, par les âmes pénitentes? Ce danseur à la longue robe blanche qui se déploie n’est-il pas un ange du Paradis ? À moins qu’il ne s’agisse de Béatrice… le tableau final où se déploient les éventails comme autant de pétales de fleur nous élève dans la rose céleste des derniers chants du Paradis. 

Divina Commedia, Dall'Inferno al Paradiso, le salut final

Divina Commedia, Dall’Inferno al Paradiso, le salut final de la troupe de No Gravity

Cette part d’incertitude qui subsiste n’est pas gênante et au contraire participe à une mise en scène spectaculaire qui se place dans la tradition baroque italienne du “théâtre des merveilles”. 

Divina Commedia, Dall’Inferno al Paradiso n’est pas le premier spectacle conçu et mis en scène par Emilio Pellisari et la danseuse et chorégraphe Marianna Porceddu. Leur compagnie, No Gravity,  a déjà réalisé de nombreux ballets, Aria, Exodus, Enfer… qui ont été vus dans de nombreux pays, dont la France en 2016 et 2019. Il se pourrait que la troupe revienne en 2025. Ce serait un grand bonheur.