Silvia Vavolo: Dante aveva Ragione

Silvia Vavolo: Dante aveva Ragione

La chanteuse italienne Silvia Vavolo vient de réaliser un vidéoclip troublant, Dante aveva ragione. On y voit un jeune homme tournant en rond sur un vélo blanc, dans un immense loft, hésitant entre de nombreuses photo-polaroïd sans se décider. On y entend aussi un passage de La Divine Comédie dit par le chanteur Red Canzian, qui pour l’occasion a endossé le rôle de Virgile. 

Cette histoire d’un garçon qui mange, dort, fait ses exercices physiques sans jamais sortir de son habitation est un symbole explique la chanteuse: la chanson se veut une critique ironique des personnes qui ne prennent jamais position dans la vie, qui ne prennent jamais de risques, qui ne s’exposent pas. Ce sont ces ignavi, que Dante et Virgile rencontrent au Chant III de l’Enfer. 

Dante n’a pas de mots assez durs pour qualifier ces indolents, qui au cours de leur vie ne se sont engagés dans aucune cause ou ont refusé de choisir, soit par peur soit par confort personnel. Il les traitent de cattivi (“lâches”) de sciaurati (“minables) qui «a Dio spiacenti e a’ nemici sui.» (“qui déplaisent à Dieu et à ses ennemis”). D’ailleurs, leurs âmes ne sont même pas dignes d’aller en Enfer; elles sont condamnées à rester sur le bord de l’Achéron sans pouvoir le franchir. 

Par la loi du contrappasso, elles sont condamnées à courir sans trêve, nues, derrière une enseigne qui symbolisent leur incapacité à prendre une décision. Elles sont harcelées par des taons et des guêpes et le sang de leurs blessures mêlé à leurs larmes tombe à leurs pieds. 

Cette chanson est donc une incitation à choisir, à agir et à s’engager, car dit Silvia Vavolo: «La vie c’est choisir». 

  • Illustration: La couverture de l’album Dante aveva ragione de Silvia Vavolo – Dessin de Sergio Staino
Questions sur le Paradis

Questions sur le Paradis

La Divine Comédie fait partie du programme scolaire en Italie. Le site ScuolaZoo a rédigé un quiz pour tester les connaissances des jeunes lycéens. Je l’ai francisé. Saurez-vous répondre?

 

  • Illustration: Carte du Ciel, modèle géocentrique, par Bartolomeu Velho (1568) – Domaine public.
  • Le quiz original est ici, sur le site de ScuolaZoo.
Dante s’invite dans l’Enfer du Brexit

Dante s’invite dans l’Enfer du Brexit

Ce 6 février le président du Conseil européen, Donald Tusk, a oublié le langage diplomatique: c’est en enfer qu’il a souhaité envoyer les promoteurs du Brexit. «Un endroit spécial leur est réservé», a-t-il ajouté. Il n’en fallait pas plus pour enflammer Twitter et faire temporairement de… Dante, l’un des principaux sujets de conversation sur le réseau social outre-Manche.

  • (Illustration : Détournement d’une gravure de Gustave Doré par Paul Gallantry (@pjgallantry))

Cet «étrange phénomène de viralité» a été remarqué par La Repubblica qui a consacré un article au phénomène: Così nel Regno Unito Dante è diventato virale grazie alla Brexit (Au Royaume-Uni, Dante est devenu viral grâce au Brexit). De quoi regarder de plus près.

Tout est parti d’un tweet de Donald Tusk (@eucoprésident) où il écrivait: «Je me suis demandé à quoi pourrait ressembler cet endroit spécial en enfer, réservé à ceux qui ont promu le Brexit sans même avoir l’esquisse d’un plan pour le mener à bien en toute sécurité.»

Ce tweet a généré 26.000 retweets et a été “Liké” 91.000 fois, ce qui est un score plus qu’honorable, et un hashtag  devait s’installer.

Très rapidement, la conversation autour du tweet dérivait sur l’enfer et la place qui devait être attribuée aux promoteurs du Brexit, les Brexiteers,  Et pour cela l’Enfer de Dante, où les pécheurs sont punis selon leurs fautes constitue une formidable ressource, que ne vont pas manquer d’utiliser avec beaucoup d’humour les Britanniques.

La comparaison avec l’Enfer paraît appropriée. Paul Tomlinson (@hydrazine) n’hésite pas à citer quelques vers du Chant IV de l’Enfer, où Dante décrit « la vallée de l’abîme” pour illustrer ce que lui inspire le processus de négociation du Brexit:

  • (Texte original: «Oscura e profonda era e nebulosa / tanto che, per ficcar lo viso a fondo, / io non vi discernea alcuna cosa» — et traduction française: “Elle était tellement obscure, profonde / et embrumée que, aussi loin que se fixait / mon regard, je ne discernais rien”. — v. 10-12)

Mais où placer les Brexiteers désignés par Donald Tusk? Lucy Childs (@lullichill) suggère de les envoyer aux 4e, 8e et 9e cercles de l’enfer où sont punis respectivement «la cupidité (l’avarice), la fraude et la trahison». Même raisonnement pour Chris Haddow (@fr0mn0where). Après avoir noté que D. Tusk s’adressait en fait «à un très, très petit groupe de personnes» il pense que «peut-être trouverait-il une place pour ces personnes dans la vision de l’enfer de Dante entre les cercles 8 (Fraudeurs) et 9 (Traîtres)?»

D’autres twittos se veulent plus précis: «Nous connaissons parfaitement, grâce à Dante», écrit Steve Glover (@akicif) «les lieux destinés en enfer aux leaders de la campagne du Brexit: pour ceux qui ont menti au sujet de montagnes radieuses, il s’agit de la quatrième fosse du huitième cercle – ceux dont la tête est tordue et ne peut plus voir devant». Il évoque ainsi le Chant XX  où se trouvent les âmes des devins et des prophètes.1,

Dans ce consensus, l’avis de Luke Baker (@BakerLuke) tranche. Il lui semble que «la description des Limbes par Dante pourrait convenir pour certains comme une juste description du Brexit.» Ce sont les âmes de ceux qui sont nés avant l’arrivée du Christ sur Terre qui s’y trouvent car ils n’ont pu connaître la “vraie foi”. Ils ne subissent pas les terribles peines de l’Enfer, mais ne peuvent espérer rejoindre le Paradis. Cet “entre-deux” éternel peut ressembler au Brexit, mais conviendrait-il aux Brexiteers? 

D’autres ne se satisfont pas de l’Enfer tel qu’il est décrit par Dante et estiment qu’il faut ajouter un dixième cercle pour les « Brexitteers ». Mais si Clever Hedge (@cleverhedge) s’interroge encore sur l’endroit où sera inséré ce cercle «entre les cercles déjà existants de l’enfer de Dante», d’autres comme John Slater (@AmateurFOI) ou G H Neale (@GHNeale) n’hésitent pas à le placer au plus profond de l’Enfer, en dessous du cercle des «Traîtres» et de… Lucifer:

Mais Twitter ne serait pas Twitter s’il n’y avait pas détournement, comme celui proposé par Paul Gallantry (illustration d’ouverture) ou Gareth Evanson (@GarethEvanson) qui crée un délirant «Enfer du Brexit» où l’on part du cercle des «bananes droites» pour arriver à celui du «vote du peuple»:

Les propos de Donald Tusk amusait moins du côté des Brexiteers. L’un de leurs leaders, le conservateur Jacob Rees-Mogg (@Jacob_Rees_Mogg), devait se fendre d’un tweet furieux: «En tant que théologien, M. Tusk est loin de la classe de (Thomas) Aquin et il semble avoir oublié le commandement qui interdit le faux témoignage.»

Cela devait lui attirer plusieurs réponses assez sèches dont celle —œil pour œil— de Paul (@PaulOnBooks): «M. Rees-Mogg comme wag2 est loin de la classe de (Donald) Tusk et il semble toujours avoir oublié le commandement qui interdit le faux témoignage».

Last but not least, cette discussion twitterienne incitait certains à ouvrir, sur d’autres supports, plus largement et plus profondément leur réflexion sur le Brexit et l’Enfer. C’est le cas de Benedict Spence (@BenedictSpence) avec sa longue réflexion sur le site The Article, précisément titrée: Precisely where, in Hell, is the “special place”? A trip through Dante’s Inferno…

Dans cet article, ce Brexiteer non repentant, cherche, un peu à la manière de Dante une place pour ses contemporains, et en particulier les hommes politiques (Brexiteers ou non), dans chacun des cercles de l’Enfer: Nigel Farage et David Osborne dans le 8e cercle, celui des Fraudeurs, David Cameron et Michael Gove dans le 9e Cercle, celui des Traîtres. 

Mais il ne sait où placer, Theresa May, Jeremy Corbin et le «chef des Brexiteers»:

Il n’y a pas réellement de cercle pour eux; Ils n’ont trahi personne, ni été spécialement hérétiques. Tout ce qu’ils ont fait c’est de s’en tenir à leurs principes, et faire du mieux qu’ils pouvaient selon leur compréhension du monde autour d’eux. Il n’y a pas de place dans l’Enfer de Dante pour cela.

Alors, peut-être l’Enfer de Dante est-il une fausse piste —ou a tout le moins incomplète— et il faudrait, dans ce suivre suivre Joseph Noone (@noone_joseph) lorsqu’il écrit que «L’enfer n’est ni (celui de) Bosch ni l’enfer de Dante. Pas de feu et de soufre! Ce sont des débats communs sans fin sur des solutions alternatives aux solutions alternatives avec des divisions tard dans la nuit & May poussant son Brexit vers le haut de la colline européenne à Bruxelles avant de redescendre à Londres!»

Bref, le Brexit serait la condamnation au supplice de Sisyphe, obligé de remonter sans cesse un rocher qui roule au bas de la pente dès qu’il l’a déposé au sommet de la montagne. Mais dans ce cas, n’oublions pas que Sisyphe a été condamné pour avoir voulu —par orgueil— défier les dieux. Or, à Bruxelles, il n’y a pas de dieux…

Lectura Dantis: le Chant XX de l’Enfer

Lectura Dantis: le Chant XX de l’Enfer

À chaque fois, le vertige est le même, lorsque l’on relit un chant de La Divine Comédie. On croit en connaître la musique, la poésie, les personnages qui le peuplent, la trame, les rebondissements, les dimensions philosophiques et théologiques… Et pourtant, ce n’est qu’une illusion; chaque nouvelle lecture apporte son lot de surprises et de redécouvertes, tant le texte de Dante  est tissé d’innombrables trames et couches que l’on n’épuise jamais.

L’invitation à la Lectura Dantis du Chant XX de l’Enfer

C’est à cet exercice et à ce plaisir qu’invitent les Lecturæ Dantis, ces lectures commentées de l’œuvre de Dante dont Boccace fut l’initiateur dès 1373. Depuis la tradition ne s’est jamais perdue et la pratique en est maintenant d’usage courant en France grâce à la Société Dantesque de France. La dernière en date3portait sur le Chant XX de L’Enfer, avec la lecture de celui-ci par Bruno Pinchard, président de la SDF, dans la belle traduction de Jacqueline Risset4, et le commentaire d’Isabelle Battesti, maître de conférence à l’Université de Poitiers.

Mais d’abord situons ce chant dans le voyage infernal. Dante et Virgile sont sur l’immense plateau —Malebolge—  où sont punis les « Fraudeurs ». Il en existe plusieurs catégories qui sont réparties chacune dans une bolge. Avec une précision d’entomologiste, Dante décrit chaque type de fraudeur et la peine subie selon la loi du contrappasso.

Au Chant XX, l’action est comme suspendue

Le chant précédent —le XIX— était celui des simoniaques. Leur supplice est d’être plongé la tête la première dans des trous de la roche, d’où seules émergent leurs jambes léchées par des flammes. L’occasion pour Dante de dénoncer dans un discours imprécatoire ceux —en particulier les papes— dont la «cupidité rend le monde dépravé» (“la vostra avarizia il mondo attrista” – v. 104). Le chant suivant —le XXI— sera encore plus spectaculaire avec l’apparition des Malebranche, des démons chargés de garder les escrocs plongés dans la poix bouillante.

Au Chant XX, rien de tout cela. Pas de dialogue avec les damnés, pas d’imprécation… L’action est comme suspendue. Seuls défilent des personnages —selon une «liste», dit Isabelle Battesti— que Virgile montre et nomme à Dante. Ces personnages sont tordus dans une attitude «qui détruit l’harmonie du corps humain de facto interdit le dialogue. Tout se passe en silence; tout est centré sur l’exploitation visuelle du contrappasso», analyse-t-elle. Les ombres des devins et des prophètes sont en effet condamnées à marcher à reculons et surtout ne peuvent regarder devant elles. Dure condamnation pour des âmes qui lisaient et prédisaient l’avenir lorsqu’elles étaient humaines.

Le Chant XX s’ouvre sur la description de la lente marche à reculons des damnés, une vision qui émeut Dante au point de ne pas parvenir à «garder les yeux secs» (“com’ io potea tener lo viso asciutto” – v. 21). C’est alors que Virgile reprend en main la narration et redevient le personnage central (au chant précédent, c’était Dante qui était au centre de l’action et du discours). Il est restauré dans sa fonction magistrale et balaie l’émotion de Dante d’un sec: «Es-tu toi aussi de ces autres sots?» (“ Ancor se’ tu de li altri sciocchi?” – v. 27).

Le don de divination n’est pas criminalisé car c’est un don de Dieu

Après cette mise au point, il enchaîne immédiatement par la description des personnages qui défilent devant les deux poètes. Cette reprise en main est «l’un des enjeux majeurs de ce chant, analyse Isabelle Battesti. Virgile était considéré à l’époque comme un devin, il fallait donc le soustraire à cette présomption».

Être devin ou prophète ne condamne d’ailleurs pas automatiquement à l’Enfer, «Dante sur ce point ne se prononce pas», remarque I. Battesti. Tout au plus peut-on remarquer que dans la Bible il existe une définition de ce qu’est un « bon prophète ». C’est le cas, par exemple, dans l‘Ancien Testament, lorsque le roi Balthazar désigne Daniel pour interpréter une écriture mystérieusement apparue sur le mur de la salle de banquet: c’est «un esprit extraordinaire, science , intelligence, art d’interpréter les rêves, de résoudre les énigmes et de défaire les nœuds.»5.

Le don de divinitation, ou de prophétie, ne saurait —en lui-même— être criminalisé, car c’est un don de Dieu: «Il y a, certes, diversité de dons spirituels (…) diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. À chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun (…) À l’un c’est une parole de sagesse (…) à tel autre la puissance d’opérer des miracles; à tel autre la prophétie» (1ère Épître aux Corinthiens, 12, 1-11)

Dans ces conditions, pourquoi certains devins et prophètes se retrouvent-ils en Enfer? Pourquoi d’autres sont au Paradis comme Joachim de Flore: «Auprès de moi (c’est Saint Bonaventure qui s’exprime) brille l’abbé calabrais Joachim / qui fut doué d’esprit prophétique» (“e lucemi dallato / il calavrese abate Giovacchino / di spirito profetico dotato.” – Le Paradis, Chant XII, v. 139-141)?

En fait, l’enjeu n’est pas dans la véracité des prophéties ou dans le fait d’être devin. Il est ailleurs. C’est l’autorisation ou le refus d’autorisation «qui est criminalisé, judiciarisé», dit Isabelle Battesti. Dans la fosse des devins, on trouve ainsi Amphiaraos coupable d’avoir voulu se soustraire à son destin, car il savait, grâce à ses dons de divination, qu’il mourrait sur les remparts de Thèbes. Arruns, lui, ment délibérément après avoir examiné les entrailles d’un animal sacrifié. Alors qu’il n’y a lu que malheurs à venir, il lance: «Fasse le ciel que ces signes nous soient favorables» (Pharsale, I, 584-638). 

Virgile démonte le mythe de la fondation de Montoue par la magicienne Manto

Cette liste de devins coupables sera interrompue par une longue digression sur la fondation de la ville de Mantoue. «C’est un contre-récit», dit I. Battesti, car Virgile démonte le mythe de la fondation de la ville de Mantova (Mantoue en italien) par Manto. En effet, le projet de la magicienne était apolitique et anti-social. Elle voulait «fuir toute compagnie humaine», comme il le dit au vers 85 (“per fuggire ogne consorzio umano”). D’ailleurs, la fondation de la ville est postérieure à la mort de Mantoue, et ajoute Virgile, ses habitants «l’appelèrent Mantoue sans autre sortilège» (“Mantüa l’appellar sanz’ altra sorte.” – v. 93). C’est un autre élément qui permet de laver Virgile —cette fois en utilisant sa ville natale— de la présomption qu’il était un devin. 

Après cet épisode, Virgile reprend son énumération de personnages, mais désormais avec des (quasi) contemporains. Certains sont historiquement célèbres comme Michel Scot, astrologue à la cour de l’Empereur Férédéric II. D’autres moins connus comme Guido Bonatti ou Asdente. Ils avaient «le profil de devins “urbanisés » et «avaient renoncé à une fonction dans la cité», explique I. Battesti. Par exemple Asdente, avant d’être devin, était cordonnier. 

La “liste” de Virgile s’achève sur des «figures féminines anonymes, qui ont délaissé le fuseau pour faire devin et sont totalement illégitimes», indique-t-elle. D’ailleurs, comme souvent dans l’écriture de Dante un mot, un verbe, une expression suffit à caractériser un état, un lieu ou un personnage. Ici, dans les deux vers où il parle de ces femmes il utilise le verbe “faire”: «le triste che lasciaron l’ago, / la spuola e ’l fuso, e fecersi ’ndivine» (“les misérables qui laissèrent l’aiguille, / la navette et le fuseau, et se firent devins”). Nous sommes loin en effet des Thessaliennes de la Pharsale de Lucain, dont l’art «passe toute croyance»6. Elles ne « font » pas magiciennes; elles “sont” magiciennes.

Le Chant XX est la pièce maîtresse d’un dispositif qui converge avec le Chant XVII du Paradis

Le Chant XX dans l’enchaînement des autres chants de l’Enfer peut donc être considéré comme atypique. Mais il ne faudrait pas le voir comme isolé. «C’est une pièce maîtresse d’un dispositif qui le dépasse et qui converge avec le Chant XVII du Paradis, celui où Cacciaguida, l’ancêtre de Dante, lui prédit son exil», analyse Isabelle Battesti. L’articulation entre les deux chants est évidente.

La question de l’avenir —et de l’avenir personnel de Dante— est une question récurrente dans La Divine Comédie. Il en est question dès le Chant VI de l’Enfer avec les prédictions de Ciacco sur les déchirements à venir de Florence. Au Chant X, Farinata décrit ainsi la vision qu’ont du futur, les damnés:

« Noi veggiam, come quei c’ha mala luce, 

le cose », disse, « che ne son lontano 

(« Nous voyons », dit-il « comme ceux qui ont mauvaise vue, / les choses qui nous sont lointaines) v. 100-101

On est loin de celle, précise, de Cacciaguida au Chant XVII du Paradis: 

Da indi, sì come viene ad orecchia 

dolce armonia da organo, mi viene 

a vista il tempo che ti s’apparecchia.

(De là, comme vient à l’oreille / une harmonieuse musique d’orgue, me vient / à la vue le temps qui s’annonce pour toi) v. 43-45

C’est donc non sans ironie qu’il faut voir, les devins et prophètes plongés au cœur de l’Enfer dans ce Chant XX. Non seulement la torsion de leur corps les empêche de voir devant eux, mais la vison de l’avenir qu’ils auraient —s’ils le pouvaient— serait au mieux celle d’un myope. 

  • Illustration: Les devins et prophètes du Chant XX de l’Enfer (Détails), par Stradanus (1587) – Domaine public.
700e anniversaire : Un film sur Dante réalisé par Pupi Avati ?

700e anniversaire : Un film sur Dante réalisé par Pupi Avati ?

À 80 ans, le réalisateur italien Pupi Avati se lance un nouveau défi: réaliser pour 2021, un film sur Dante et participer ainsi à la célébration du 700e anniversaire de la mort du poète.

Sa source d’inspiration? Le Trattatello in laude di Dante de Boccace, comme il le dit dans une interview au site Avvenire.it

Je m’inspirerai du traité de Boccace qui, en 1350, se rendit à Ravenne et rencontra la fille de Dante, Béatrice, pour lui remettre dix florins d’or de la part des capitaines de la compagnie d’Orsanmichele7 afin de compenser le mal causé à son père. Là, il a rencontré beaucoup de gens qui connaissaient Dante et il a commencé une sorte d’enquête sur la vie du Sommo Poeta. Cette biographie est déjà un film avec une infinité d’informations que sans le travail de Boccace nous n’aurions pas eu. 

Le film que projette Pupi avait serait donc la vie de Dante racontée par l’auteur du Décaméron, dont on sait qu’il fut un admirateur du poète. C’est lui par exemple qui ajouta le qualificatif de « divina » à une œuvre qui ne s’appelait encore que « Commedia« . Qualificatif qui devait rester lors des éditions imprimées du texte à partir du XVe siècle. C’est lui encore qui devait initier un cycle de lectures publiques de la Comédie. Ce cycle sera interrompu par la mort de Boccace au Chant XVII, mais il perdure encore aujourd’hui: ce sont les Lecturæ Dantis, qui mêlent la lecture proprement dite des chants et leurs commentaires. 

Cette idée, explique le journaliste Pietrangelo Buttafuoco, dans Il Fatto Quoitdiano, Pupi Avati la porte sans doute depuis 2001. Il ne doute pas de la volonté du réalisateur de voir aboutir son projet surtout rappelle-t-il que ce dernier est un grand bibliophile et un fin connaisseur de Dante. Il a par ailleurs déjà réalisé deux films dont l’action se déroulait au Moyen-Âge: Magnificat en 1993 et I cavalieri che fecero l’impresa sorti en 2001.

  • Illustration: Le réalisateur Pupi Avati – Photo Marta, Lorenza e Vincenzo Iaconianni – CC A. SA 3.0