Cronaca
Chères lectrices et chers lecteurs que 2019 vous apporte toujours plus de poésie et de bonheur, à la lecture de ce site et surtout de La Divine Comédie de Dante Alighieri.
- Illustration: Miniature représentant Dante et Béatrice avant leur ascension vers le Ciel du Soleil (Détail) – Giovanni di Paolo (1450) – The British Library
Cronaca, Histoire
Jusqu’il y a peu, seules treize “épîtres” rédigées de la main de Dante étaient connues. On comprend donc l’émotion suscitée par Paolo Pellegrini, professeur de philologie et de linguistique à l’université de Vérone, lorsqu’il a avancé avoir identifié une nouvelle lettre. Une découverte devant laquelle il faut multiplier les prudences et les points d’interrogation.
La découverte de Paolo Pellegrini porte sur une lettre que le seigneur de Vérone, Cangrande della Scala, envoya à l’Empereur Henri VII en 1312. Cette lettre est connue; elle fait partie d’un recueil de textes établi par le notaire et maître en ars dictminis (l’art de bien écrire) Pietro dei Boattieri, qui vécut à Bologne à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle.
Le contenu de la lettre porte sur un sujet politiquement très sensible. Henri VII est alors en Italie pour y rétablir le pouvoir impérial laissé vacant depuis 1250, l’année de la mort de Frédéric II Hohenstauffen. Mais de nombreuses villes italiennes, en particulier Florence, s’opposent à cette restauration. Ce sont donc deux camps qui s’opposent, mais celui d’Henri VII se fracture. C’est en tout cas ce que veut porter à la connaissance de l’Empereur, celui qui était alors son Vicaire pour Vérone et Vicence. Il explique dans la lettre que Philippe I de Savoie-Achaïe, Vicaire impérial de Pavie, et Werner von Homberg, Lieutenant général pour la Lombardie, en sont venus aux mains. Seule l’intervention de témoins de la scène a empêché que l’altercation tourne au drame.
La lettre est donc particulièrement délicate à rédiger et, explique Paolo Pelligrini, Cangrande della Scala se serait tourné vers l’une des meilleures plumes de son époque, Dante Alighieri. Il n’apporte pas de preuve formelle à son assertion, seulement un faisceau d’éléments troublants.
Il note en particulier le recours à deux passages du Variae di Cassidorio que Dante a utilisé à plusieurs reprises: dans sa lettre « Aux Seigneurs d’Italie », dans laquelle Dante leur demande d’accueillir favorablement Henri VII, et plus encore explique-t-il à La Repubblica «dans l’exorde d’un acte de paix signé en octobre 1306 dans le Lunigiana où le poète apparaît à la première personne, en qualité de « procureur » des Malaspina». Il voit aussi une correspondance entre l’expression latine vasa scelerum utilisée dans la lettre de Cangrande, désignant les auteurs responsables des discordes impériales, et vasel d’ogni frodà qui qualifie frère Gomita au Chant XXII de l’Enfer.
Si l’hypothèse soulevée par Paolo Pellegrini devait se vérifier, elle aurait pour conséquence de modifier la biographie actuellement connue de Dante. Cette lettre a en effet été écrite en 1312, or à cette époque, on connaît mal le lieu de résidence de Dante. Certains le voit à Pise, d’autres dans le Lunigiana auprès des Malaspina. C’est sans doute à cette époque où Henri VII parcourait l’Italie pour essayer de la reconquérir, que Dante écrivit son essai sur l’Empire universel De Monarchia.
Paolo Pellegrini rappelle d’ailleurs que Leonardo Bruni auteur d’une importante Vita de Dante, affirmait que le poète ne se trouvait pas en Toscane en 1312, alors qu’Henri VII préparait le siège de Florence. Il se serait donc trouvé (si l’hypothèse de la lettre « découverte » est validée) à Vérone auprès de Cangrande della Scala.
À suivre donc…
- Illustration: Cangrande della Scala, seigneur de Vérone – Carlo Borde – Domaine public.
Cronaca
«Chi si ferma è perduto». La phrase est célèbre en Italie. Elle est devenue un de ces aphorismes creux utilisés aussi bien dans la publicité, qu’en communication, ou encore en politique. Elle peut se traduire, selon le contexte par « qui s’arrête est perdu », ou « qui hésite est perdu ». Elle ne mériterait aucune attention (du moins sur ce site) si elle n’était pas attribuée à Dante et n’était censée être extraite de La Divine Comédie. Il n’en est rien.
Selfie de Matteo Salvini le 27 mai 2018 publié sur Twitter, avec en commentaire « Celui qui s’arrête perd, je n’abandonne pas avant la fin”
Tout est parti de Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien, qui a utilisé la phrase «Chi si ferma è perduto»… à plusieurs occasions, notamment sur Twitter en mai 2018, où il fait un selfie devant un avion d’Alitalia avec la phrase en accroche [ci-contre]. Plus récemment, il la prononça encore lorsque les prévisions économiques du gouvernement jugées trop optimistes, furent rejetées par une commission parlementaire (l’Ufficio parlamentare di Bilancio).
L’histoire pourrait en rester à cette phrase qui se veut volontariste, répétée en boucle. Mais le 9 octobre, lors d’une émission de télévision, une responsable politique du Pd Alessandra Moretti, à qui l’on montrait une vidéo où M. Salvini prononçait la fameuse petite phrase, n’hésita pas à affirmer «È un frase bellissima», faisant tousser plus d’un en Italie [voir le site d’Il Fatto Quotidiano].
Car la phrase « bellissima » appartient à la vulgate fasciste des années mussoliniennes. Elle fait partie de ces phrases où Mussolini était censé synthétiser sa pensée, à côté d’autres aphorismes tout autant percutants comme «plus d’ennemis, plus d’honneur», ou «mieux vaut mourir debout, que vivre à genoux», etc. Il la prononça notamment à Gênes, le 18 mai 1938, dans un discours où il défendait sa politique économique basée sur l’autarcie dans… l’un des plus grands ports de commerce de l’Italie [voir ici].
Fausses pistes et recherches infructueuses
Que vient faire Dante dans cette histoire? Tout simplement dans le fait que cette phrase est censée être tirée de la Divine Comédie. “Censé” car la phrase en question n’existe pas. En effet, piqué par la curiosité, j’ai fait une recherche sur ce site —ladivinecomédie.com— où est publié l’intégralité du texte original de La Divine Comédie et sur Google. Toutes deux furent infructueuses. Dante, Divina Commedia et «chi si ferma è perduto» ne « matchent » pas…
En revanche, plusieurs résultats indiquaient que la phrase était incomplète et qu’il fallait lire «Chi si ferma è perduto, mille anni ogni perduto». Mais, la phrase même ainsi complétée n’existe pas plus dans la Comédie. Qui plus est, il serait surprenant que Dante ait un jour écrit un vers aussi bancal. Fausse piste donc, même si sur Twitter, @RickyPoffo avance que la phrase est tirée de l‘Inferno di Topolino, une bande dessinée publiée en 1949 et 1950. L’Enfer y était adapté pour un public enfantin et Dante dessiné en Mickey.
Parmi les pistes suggérées par la recherche Google revenait un film des années 1960, Chi si ferma è perduto, où le célèbre acteur comique italien Totò jouait l’un des rôles principaux. L’une de ses répliques était: «Non mi fermo né al primo e né al secondo ostacolo perché, come dice quell’antico detto della provincia di Chiavari, chi si ferma è perduto!» [“Je ne m’arrête par au premier ni au second obstacle, car comme le disait cet ancien de la province de Chiavari, qui s’arrête est perdu!” – voir ici l’extrait du film].
Il est certes question de la province de Chiavari dans La Divine Comédie, mais c’est au chant XIX du Purgatoire [v. 100-102], où le pape Adrien V donne son nom sous la forme d’une énigme: «Intra Sïestri e Chiaveri s’adima / una fiumana bella, e del suo nome / lo titol del mio sangue fa sua cima.» [Entre Sestri et Chiavari / s’abaisse un beau fleuve, et de son nom / ma famille fera l’origine de son titre.] L’énigme est transparente, le fleuve s’appelle Lavagna et Adrien V est un descendant des contes de Lavagna, mais là encore concernant la piste dantesque nous sommes dans une impasse.
Une autre idée a été avancée, toujours sur Twitter, par @JBarba52 . La phrase «Chi si ferma…» dériverait selon lui du Chant XV de l’Enfer [v. 37-39], où Brunetto Latini, soumis à une pluie de feu, ne peut s’arrêter pour parler avec Dante, car: «Qual di questa greggia / s’arresta punto, giace poi cent’ anni / sanz’ arrostarsi quando ’l foco il feggia.» [“qui de cette troupe / s’arrête un instant, gît ensuite pour cent ans / sans pouvoir se protéger du feu qui le frappe”].
Si au niveau du texte, on peut trouver quelques correspondances lointaines entre la phrase de Dante et «Chi si ferma…» au niveau du sens nous sommes à des années lumières: Brunetto Latini ne PEUT pas s’arrêter, car la menace est trop grande pour lui. Cette notion de contrainte n’existe évidemment pas dans les propos de Matteo Salvini, non plus qu’elle n’existait dans ceux de Mussolini.
Bien sûr, ce ne serait pas la première fois qu’une citation serait déformée et son sens inversée, mais renvoyer à l’auteur originel est abusif. C’est le cas ici pour Dante.
- Illustration: Capture d’écran du site d’Il Fatto Quotidiano du 10 octobre 2018.
Cronaca, Spectacles
ENFER. Le mot s’affiche en lettres lumineuses sur l’écran au fond de la salle plongée dans le noir. Seuls quelques repères blancs destinés à guider la danseuse se détachent sur le sol sombre. Nous sommes une trentaine de spectateurs dans une petite salle du théâtre de La Reine Blanche, pour assister à la première d’Enfer, le nouveau spectacle d’Aurélien Richard. Il entend, est-il écrit sur une carte postale distribuée à l’entrée, «rendre sensible La Divine Comédie de Dante et donner envie d’aller s’y abreuver».
Autant le dire immédiatement de La Divine Comédie et de son Enfer, il ne reste comme traces que l’obscurité dans laquelle se déroule la pièce et le chiffre “9”. Des choix logiques: l’Enfer est le monde de la nuit, d’un ciel veuf de ses étoiles; neuf, c’est le nombre de cercles que parcourent Dante et Virgile.
Mais le «principe» du spectacle d’Aurélien Richard ne se réduit évidemment pas à ces éléments de mise en scène. Il a décidé «de faire endurer à l’interprète principale une série d’épreuves, tant chorégraphiques que musicales ou théâtrales.»
C’est pourquoi durant 45 petites minutes, Yasminee Lepe Gonzalez, l’interprète, se transformera successivement en une cantatrice, Cathy Berberian, en une chorégraphe, Bronslava Nijinska (la sœur de Nijinsky), en Nana Mouskouri, rejouera Brigitte Bardot dans la fameuse séquence du Mépris de Jean-Luc Godard, dansera comme l’ancienne étoile de l’Opéra Ghislaine Thesmar, sera Anna Karina, racontera la chute (en Enfer?) d’Amy Winehouse, fera revivre Sara Kane, avant de disparaître dans les pas de Romy Schneider.
Bref, cela fait un spectacle mais où est l’Enfer? Il y a malentendu. La Divine Comédie n’est pas un parcours solitaire, tant s’en faut. Personne n’y est seul et Dante moins que les autres; il est toujours accompagné —tout particulièrement dans l’Enfer— par Virgile. C’est dans ces échanges constants avec celui qu’il appelle « son guide » ou « son maître », mais aussi avec les damnés, que Dante chemine pour espérer retrouver la « voie droite ». Or ici, nous tournons en rond dans les cercles sombres du désespoir et de rédemption, il n’y a pas.
Peut-être l’Enfer est-il suggéré par les neuf « épreuves » que doit endurer Yasminee Lepe Gonzalez, à travers l’allusion métaphorique aux différents personnages représentés? Mais quel fil les relie à celles que vivent les damnés dans l’Enfer de Dante? Aurélien Richard indique que les femmes interprétées par Y. Lepe Gonzalez représente pour lui «un panthéon de sublimation de la souffrance». Malheureusement, leur souffrance est trop humaine, contenue dans la brièveté d’une vie; on est loin de la punition éternelle des damnés dantesques.
La pièce s’achève sur les pas de Romy Schneider qui se perdent dans le noir… Il nous manque alors de monter par cette ouverture décrite par Dante dans le dernier chant de l’Enfer pour voir de «nouveau les étoiles».
Yasminee-Lepe-Gonzalez interprète neuf personnages féminins dans « Enfer », d’Aurélien Richard – (photo Marc Mentré)
Cronaca
Ils s’appellent Jacopo Parodi et Luana Di Dio. Le premier est Génois, la seconde originaire de Florence. Ces deux jeunes Italiens de dix-neuf ans rêvent de faire partager avec d’autres leur amour commun pour Dante et la Divine Comédie. Pour cela, ils vont lancer sur Twitter à partir du 23 septembre prochain un dialogue ouvert à tous grâce au hashtag #tempodiDante.
Cette aventure sur Twitter sera singulière, car #tempodiDante ne se réduira pas à la seule publication d’extraits de la Divine Comédie. L’ambition est autre comme l’explique Jacopo Parodi:
#tempodiDante est un dialogue, une dialectique entre deux âmes. Ce seront les fragments d’un discours amoureux, qui traverseront toute la Comédie, entre Luana et moi. Ce dialogue sera ouvert à tous ceux qui voudront intervenir. Ce hashtag veut reprendre, en miniature cette idée de Dante lorsqu’il avait écrit son chef d’œuvre: l’union entre l’intimité et l’histoire, entre la singularité et l’universalité.
Ce hashtag est d’ailleurs l’histoire de la rencontre de deux amoureux de Dante et de la poésie, avec en premier Luana Di Dio, «qui aime Dante avec une intensité, un abandon et un élan incroyable. Sa dévotion, nous dit Jacopo, la pousse à vouloir transmettre aux autres cette flamme qui la dévore.»
Pour Luana Di Dio «Dante est la voie qui permet de s’ouvrir au monde, car il ne peut que permettre de s’enrichir et de le découvrir.» La foi en une littérature “salvatrice” est donc une réponse à la catastrophe que fut l’écroulement du pont Morandi le 14 août à Gènes.
Jacopo Parodi pour décrire son amour pour Dante préfère s’appuyer sur une brève citation du Piccolo testamento de Montale,
una fede che fu combattuta,
che bruciò più lenta
[une foi qui fut combattue, / qui brûla plus lentement.]
Un passage qu’il préfère pour sa part utiliser au présent [une foi qui est combattue, qui brûle plus lentement], car explique-t-il «le plus grand cadeau que nous fait la poésie est de nous jeter dans l’abîme de l’inquiétude, nous contraignant à faire sans cesse notre propre examen. C’est cela qui m’a poussé à lancer ce hashtag après la catastrophe du pont Morandi: le besoin de passer par la poésie de Dante pour mettre en question les fausses certitudes, les préjugés et les haines rances.»
À partir du lundi 23 septembre, nos deux amoureux de Dante publieront donc avec le hashtag #tempodiDante, un tweet avec les trois premiers vers d’un chant de la Comédie. Cette terzina sera accompagnée de la voix de Vittorio Sermonti. Une forme d’hommage à cet écrivain qui fut aussi un grand commentateur et lecteur de la Divine Comédie. Jacopo Parodi l’avait rencontré quelques mois avant son décès (en 2016). Une rencontre de trois heures à parler poésie et littérature qui a profondément marqué le jeune homme de 16 ans qu’il était alors.
Rendez-vous donc sur Twitter à partir du dimanche 23 septembre pour dialoguer avec le hashtag #tempodiDante.
- Illustration: Paolo e Francesca, par Mosè Bianchi (vers 1877)