Comme chaque année, ce 9 septembre la ville de Ravenne a célébré la Cerimonia dell’Olio. Au cours de cette cérémonie, la ville de Florence fournit aux autorités de la ville de Ravenne l’huile destinée à alimenter la lampe [photo ci-dessus] qui brûle toute l’année au-dessus du tombeau de Dante. Florence continue ainsi d’honorer le plus célèbre de ses concitoyens, n’ayant pas obtenu la possibilité de rapatrier ses restes dans sa ville natale.
Cette année, alors que l’on se rapproche du 700e anniversaire, la cérémonie avait pris une ampleur plus importante débordant dans les rues de Ravenne. Un cortège d’environ deux cents personnes, mené par le maire de la ville, Michele de Pascale, après avoir écouté le chœur Ludus Vocalis, sur la grand place de la ville (Piazza San Francesco) parcouru les rues de la cité, des passages de la Divine Comédie étant déclamés par l’acteur Marco Martinelli. Après une messe, eut lieu la cérémonie de l’huile à la Tombe de Dante.
Une délégation de citoyens de la ville de Matera participait aussi au cortège. En effet, un accord a été signé entre la ville de Ravenne, celle de Matera (qui a été désignée capitale européenne de la Culture pour 2019) et la Fondazione Matera-Basilicata. Dans cet accord de long terme, il est question de la création de Purgatorio, une œuvre imaginée par Marco Martinelli et Ermanna Montanari qui devrait être créée à Matera et à Ravenne entre mai et juillet 2019.
La vidéo de RavennawebTV (ci-dessous) donne un aperçu des festivités, de ce 9 septembre:
L’image est spectaculaire: Dante, appuyé sur une colonne basse, regarde grave et attentif le drapeau français qui flotte dans un ciel d’un bleu immaculé. Ce dont il est question derrière cette image? De la création de la Société Dantesque de France.
Celle-ci est née à la suite des attentats de 2015, à ce moment de grandes souffrances où, dit Bruno Pinchard, son président et fondateur, «nous cherchions tous une perspective pour espérer (…) et j’ai pensé que Dante pourrait nous aider.»
En France, la culture dantesque ne s’est pas développée avant 1789. «Pendant la Révolution française le peuple français a découvert des moments de crise et aussi de passion politique qu’il n’avait pas connus auparavant, au temps de la monarchie.» Quel était le mythe organisateur des forces qui avaient permis que la Révolution ait lieu? Il faudra attendre quelques temps avant d’avoir des éléments de réponse.
Les premiers à trouver la clé seront des amis de l’Italie, le peintre Delacroix et Honoré de Balzac, dont la Comédie Humaine est la réponse à la Comédie de Dante, tout comme Charles Baudelaire: «Un poète capable de peindre le mal c’est un cadeau dantesque». C’est pourquoi, nous avons en France, résume Bruno Pinchard «une culture romantique infernale de Dante»
Aujourd’hui donc, est lancée cette entreprise nouvelle qu’est la Société Dantesque de France, imaginée sur le modèle de la Società Dantesca Italiana di Firenze, avec l’aide et le support de la Sorbonne, de la villa Finaly et de nombreuses autres institutions françaises. Elle doit permettre de construire «un nouveau mythe dantesque pour un temps totalement terrible».
Comment exprimer son amour et en même temps sa détresse? L’actrice Asia Argento a choisi de publier un bref passage de la Divine Comédie pour afficher le terrible deuil qu’elle vit et montrer la force de son amour à ceux qui la harcèlent sur les réseaux sociaux.
La photo, prise à Florence, sans doute le 27 mai, montre l’actrice et son ami, le chef Anthony Bourdain. Moment de romantisme à l’italienne, pour ce couple de célébrités installé dans une décapotable rouge, un parapluie fermement tenu par Bourdain pour s’abriter du soleil. Sans doute un de leurs derniers instants de bonheur. Le 8 juin c’est le drame: le corps d’Anthony Bourdain est retrouvé dans un hôtel en Alsace, où il préparait une émission de télévision. L’enquête de police conclut au suicide.
Asia Argento a donc choisi pour légender cette photo, publiée sur Instagram, le passage du Chant V de l’Enfer où Francesca répond à Dante qui lui demandait comment «amour permit [aux deux amants] de connaître les incertains désirs?»
La réponse de Francesca est poignante:
Il n’est nulle douleur plus grande
que de se souvenir des temps heureux
dans la misère ; et cela ton guide le sait.
Mais comme tu as si grand désir de connaître
la première racine de notre amour,
je te le dirai en pleurant et en parlant. [v. 119-126]
Tous ceux qui ont lu la Divine Comédie savent que l’amour et la peine de Francesca et Paolo sont éternels, car c’est éternellement qu’ils tourbillonneront dans l’infernale tempête où se trouvent ceux qui ont soumis «la raison à la passion»; éternellement, qu’ils se souviendront des «temps heureux», de ce moment où leur amour pris «racine»; éternellement, que ce souvenir sera aussi l’aiguillon de leur douleur.
Repose en paix Anthony Bourdain. Asia Argentino vient de t’envoyer, «en pleurant et en parlant», le plus beau des messages d’amour.
Le 9 juin, à la Basilique San Francisco de Ravenne, l’ensemble vocal Voces Suaves1 donnait un concert, Quivi Sospiri, inspiré du voyage de Dante en Enfer, au Purgatoire et au Paradis. Un parcours qui menait les spectateurs au travers les œuvres de compositeurs du XVIe siècle, comme Luzzasco Luzzaschi, Pietro Vinci, Philippe Verdelot ou Jacques Arcadelt, avec une incursion dans la musique contemporaine grâce à la compositrice américaine Joanne Metcalf.
Ce concert chanté par un des plus beaux ensembles vocaux contemporains, spécialisé dans l’interprétation d’œuvres du répertoire de la musique baroque et de la Renaissance fut on peut le supposer magnifique2. Il fut sans nul doute chargé d’émotion, car il eut lieu dans la Basilique où furent célébrées, en 1321, les funérailles de Dante. Mais ce dernier aurait sans doute été surpris des choix musicaux censés illustrer son voyage initiatique et lui rendre hommage.
Peu de compositeurs de la Renaissance ont mis en musique l’Enfer
Comme le note RavennaNotizie.it en rendant compte du concert, «L’ensemble vocal Voces Suaves a essayé d’étudier l’influence de la Divine Comédie sur la musique polyphonique italienne du XVIe siècle: apparemment, il n’était pas facile de trouver des compositeurs de l’époque qui mettaient les terzine dantesques en musique.» C’est pour cette raison qu’ils ont arrêté leur choix sur Luzzasco Luzzaschi qui a consacré un madrigal à quelques vers du Chant III de l’Enfer (22-30) : «sospiri, pianti et alti guai,/ risonavan per l’aere sanza stelle, /per ch’io al cominciar ne lagrimai. / Diverse lingue horribili favelle / parole di dolore accenti d’ira…» [“Là soupirs, plaintes et hurlements de douleurs / retentissaient dans l’air sans étoile, / ce qui me fit pleurer pour commencer. / Langues diverses, accents horribles, / paroles de douleur, accents de colère…”].
Le nom de ce madrigal ? Quivi Sospiri
Il ne faut pas s’étonner de la rareté des compositions musicales en particulier sur l’Enfer. «L’Enfer est le règne du mal, la mort de l’âme et le domaine de la chair, le chaos: esthétiquement c’est le laid [il écrit “è il brutto”]. Disons que le laid ne permet pas l’art et que l’art est la représentation du beau.», écrira plus tard Francesco De Sanctis 3.
Cette «laideur» Dante la représente au sens propre dans l’Enfer: en fait de musique on n’entend —à la première lecture du poème que cacophonie et dissonances. L’harmonie et la polyphonie nous ne le rencontrerons qu’au Paradis. Ce qui accompagne le lecteur tout au long des 34 chants du premier cantique, ce qui fait son « paysage musical », c’est la “rumore infernale”. C’est une dissonance majeure, voulue, dans cet ensemble que constitue la Divine Comédie, comme l’écrit Adriana Sabato:
L’Enfer, qui se veut lieu du désordre et de la rébellion, du bruit et de la dissonance, se pose en nette antithèse de l’harmonie des autres deux cantiques, créant un contraste qui met encore plus en évidence la beauté de l’ensemble du poème.4 (…)
Luth, ‘ud’ à six chœurs
Pourtant, la musique et le chant sont présents tout au long de l’Enfer, mais il ne faut pas s’arrêter à la seule cacophonie des pleurs et des lamentations, analyse Francesco Ciabattoni, faute de quoi «nous manquons les nombreuses références musicales qui se trouvent dans la fumée et les pleurs du sombre monde de Dante»5.
Il y a bien sûr les mentions d’instruments musicaux, très souvent présentés de manière dégradée, les plus spectaculaires étant sans doute la scène où le démon Molacoda fait «de son cul une trompette» [“Ed elli avea del cul fatto trombetta”, Chant XXI, vers 139], l’autre étant celle où Maître Adam, falsificateur de monnaie, est décrit «en forme de luth» [“Io vidi un, fatto a guisa di lëuto”, Chant XXX, 49]. Un luth qui résonne: quelques vers plus loin, ne supportant pas de se faire traiter de «perfide Sinon» [« falso Sinon”, vers 98], celui-ci donne un grand coup sur la panse gonflée de Me Adam qui “sonna comme un tambour” [“Quella sono come fosse un tamburo”, vers 103]. On aura trouvé manière plus harmonieuse de faire de la musique avec un luth!
L’Enfer, pour Dante est d’abord un spectacle sonore
Mais ces discordances, ces bruits, ces plaintes, dans un lieu mal éclairé où l’on distingue mal, sont autant de guides précieux pour Dante. C’est à l’oreille qu’il devine ce qui l’attend, car avant de voir, il entend. Et par exemple, lorsque juste après avoir passé la porte de l’Enfer, au Chant III, lorsque Virgile lui prenant la main, le « fait entrer dans les choses secrètes », c’est d’abord un spectacle sonore qui se présente à son ouïe, que la poésie de Dante rend visible:
les crissements du lieu, la dissonance, en antithèse avec l’harmonie que crée l’ordre universel, est mis en évidence par la progression, d’abord ascendante (soupirs, plaintes, hurlements de douleurs) comparable à un crescendo symphonique, puis descendante (langues, paroles, accents, voix)[notes]in La partitura infernale, par Vincenzo Incenzo, Fonopoli, Roma 2003 – cité par Adriana Sabato, opus cité, p. 40[/note]
Or ce tumulte, remarque Francesco Ciabattoni, est «senza tempo» [vers 29]. Ce qui lui fait écrire: «L’absence de structure musicale et rythmique suggère que ce chœur est une version parodique des chœurs parfaitement harmonisés du Paradis.»6.
C’est de ces dissonances, de ces mots employés par Dante, queLuzzasco Luzzaschi fit un madrigal ; le voici interprété par Profeti della Quinta.
Utiliser la Divine Comédie pour animer sa campagne de réabonnement 2018-2019, pour un club de foot, c’est osé! C’est pourtant ce que fait actuellement, l’Inter de Milan, un prestigieux club italien avec sa campagne baptisée “A riveder le stelle”. Une référence directe à sa prochaine saison qui verra l’équipe renouer avec la plus prestigieuse compétition européenne: la Ligue des champions de l’Uefa.
Cette campagne s’appuie sur une image créée par le photographe espagnol Joan Garrigosa [ci-dessus]. Il a photographié par petits groupes cent tifosi de l’Inter, âgé de deux mois et demi à 92 ans, recrutés lors d’un casting organisé au stade San Siro. Le club distribuera un audioguide qui détaillera les messages cachés dans l’image; ils font référence à l’histoire du club Nerazzurri7 et contiennent aussi des allégories qui renvoient à des chefs d’œuvre de la Renaissance.
Un clip-vidéo constitue le deuxième élément fort de la campagne. Il raconte l’entrée dans le stade d’un tifoso accompagné de son fils de cinq ans qui va voir pour la première fois jouer l’Inter jouer en Ligue des Chanpions. Pendant que les deux personnages montent la rampe d’accès, une voix déclame les derniers vers du Chant XXXIV: «per quel cammino ascoso / intrammo a ritornar nel chiaro mondo ; / e sanza cura aver d’alcun riposo, / salimmo sù, el primo e io secondo, / tanto ch’i’ vidi de le cose belle / che porta ‘l ciel, per un pertugio tondo. / E quindi uscimmo a riveder le stelle.»