Les cent jours de #Dante2018

Les cent jours de #Dante2018

A l’alta fantasia qui mancò possa; / ma già volgeva il mio disio e ‘l velle, / sì come rota ch’igualmente è mossa, / l’amor che move il sole e l’altre stelle. En prononçant les derniers vers de la Divine Comédie, à Ravenne, Ludovica Ripa di Menea ce mardi 10 avril, marquait la fin d’une aventure commencée cent jours plus tôt, et à laquelle se sont joints environ 5.000 participants. 

Tout avait commencé le 1er janvier 2018 par ce tweet de Pablo Maurette, un jeune universitaire, spécialiste de littérature comparée à l’Université de Chicago.

La proposition était simple: «une lecture ouverte, simultanée et massive de La Divine Comédie. Un chant par jour, en commençant le 1er janvier. Cent chants. Cent jours». Participer nécessitait peu de choses : le livre, un petit moment chaque jour, Twitter et «d’abandonner toute espérance». Et tout cela fédéré autour du hashtag #Dante2018.

Le succès sera très rapidement viral, en Amérique latine et centrale, mais aussi en Chine, en Europe… et il débordera sur d’autres réseaux sociaux, Instagram, Tumblr… des photographes, des graphistes, des universitaires, des traducteurs se piqueront au jeu et participeront chacun à leur manière au succès de cette lecture passionnée. Par exemple, Umberto Ballesteros, un écrivain colombien, docteur en littérature italienne va créer, dès le 1er janvier un Tumblr sur lequel il va analyser chaque jour un chant [malheureusement, son Tumblr s’arrête au Chant X de l’Enfer].

Analyses, mais aussi illustrations, montages [il faut regarder lInstagram de #Dante2018], échanges sur Twitter mais aussi sur Skype, selfies à Florence ou à Ravenne devant la tombe du Sommo Poeta… d’un coup le texte reprenait vie. «Contre tout pronostic, contre tout préjugé sur la banalité endémique des réseaux sociaux, l’expérience est enrichissante et je dirais même profonde», s’enthousiasmait Pablo Maurette. 

Cent jours plus tard, la boucle était bouclée et les derniers vers de La Comédie étaient dit à Ravenne par Ludovica Ripa di Menea, veuve de Vittorio Sermonti. Un geste qui symbolisait la continuation de la tradition de la « lecture commentée” dont Boccace fut l’initiateur au XIVe siècle et dont Vittorio Sermonti fut une figure importante en Italie [ici, la page Wikipedia qui lui est consacrée].

L’aventure s’acheva le même jour à Buenos Aires, la ville dont Pablo Maurette est originaire, par un évènement qui se tenait à la Bibliothèque Nationale. [Le compte-rendu de Federico Monjeau, dans Clarín ici]

Pour cette dernière journée, l’ultime chant de la Comédie, le chant XXXIII du Paradis, sera lu de manière chorale, comme le retrace cette vidéo (1) réalisée par la ville de Ravenne: 

Notes

Les lecteurs avertis de la Comédie auront noté que dans le texte de Dante, Béatrice adresse son ultime sourire au poète au Chant XXXI du Paradis [et non au chant XXIII], avant de monter dans la rose céleste et de se tourner vers l’éternelle fontaine de lumière, Saint Bernard venant la remplacer. Mais ce titre L’ultimo sorriso di Beatrice est aussi un hommage au grand écrivain argentin Jorge Luis Borges, et dont l’un des Essais sur Dante porte sur ce moment très particulier où de nouveau Béatrice lui est arraché.
[in Neuf essais sur Dante, par Jorge Luis Borges, Gallimard, coll. Arcades, Paris, 1987]

La disparition de Saverio Bellomo

La disparition de Saverio Bellomo

Saverio Bellomo, professeur de philologie italienne à l’Université Ca’Foscari de Venise vient de décéder à l’âge de 65 ans. Il était l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature médiévale, en particulier de l’œuvre de Dante, et il laisse inachevé une nouvelle édition commentée de La Divine Comédie, dont seul l’Inferno est paru. 

Une grande part de son travail a été consacrée à l’exégèse des premiers commentateurs de La Comédie, Filippo Villani, Jacopo Alighieri, Guglielmo Maramauro, ceux qui au XIVe siècle donnèrent quelques clés pour comprendre l’œuvre de Dante. Il travailla aussi sur un poète du Dolce Stil Nuovo, contemporain de Dante, Cino da Pistoia. Son œuvre majeure étant sans doute son Dizionario dei commentatori danteschi¹.

C’est donc avec une grande autorité qu’il travailla au commentaire d’une nouvelle édition de La Divine Comédie, dont le premier cantique, l’Inferno, est paru en 2013². Sa décision de participer à une nouvelle édition et à l’écriture d’un nouveau commentaire reposait, expliquait-il dans l’introduction, sur deux conditions:

  • toucher un public dont l’exigence n’était pas encore complètement satisfaite, c’est-à-dire «non un lecteur qui lit, mais qui relit le poème». 
  • dire quelque chose de neuf. Il précisait que sur Dante «tout ayant été dit et l’inverse de tout», il appliquait dans son commentaire le concept de “nouveauté” à la modalité d’exposition plutôt qu’au contenu proprement dit, et pour cela proposait à son lecteur éclairé «quelques hypothèses qu’il n’avait pas envisagées.»

Pour le choix du texte, après de longues et précises explications, sur diverses variantes possibles, il expliquait en philologue qu’il avait retenu le texte établi par Giorgio Petrocchi, dont il n’avait pas modifié une virgule, pour une raison plus morale que juridique. Il ne lui semblait pas «correct de modifier le travail d’autrui sans une prise de position cohérente et générale présentant une nouvelle hypothèse.

Seule modification qu’il s’autorisa, s’appuyant sur les travaux du linguiste Arrigo Castellani, celle concernant la graphie se’: 

[elle] est objectivement erronée, car dans le florentin en usage au XIIe et au début du XIIIe siècles [on employait pour] la deuxième personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe être [essere] et non pas sei.

Ces quelques détails pour montrer la perte, que représente pour la famille des amateurs de Dante, la disparition du professeur Saverio Bellomo. 

Notes

  1. Le titre complet est: Dizionario dei commentatori danteschi. Esegesi della “Commedia” da Iacopo Alighieri a Nidobeato, Olschki, Florence, 2004. 
  2. Inferno, coll. Nuova raccolta di classici italiani annotati, Einaudi, Torino, 2013. 
  3. On trouvera une biographie et un bibliographie plus complète sur le site de la Società dei Filologi della Letteratura Italiana [Sfli]

Photo: D.R.

 

Sans gravité

Sans gravité

Décidément, Dante et sa Divine Comédie sont une inépuisable source d’inspiration pour les artistes contemporains. C’est encore le cas avec la trilogie Dall’inferno al Paradiso i viaggi dell’anima créée par la No Gravity Dance Company du chorégraphe Emiliano Pellisari. 

Ce spectacle créé depuis déjà quelques années tourne régulièrement sur les scènes italiennes et européennes. Les spectateurs français ont déjà eu la possibilité de le voir à plusieurs reprises, en région parisienne et aussi en régions. Une mini-tournée italienne vient de s’achever en Italie, à Pavie, l’occasion de se remettre dans l’œil cette magnifique et étonnante chorégraphie où les danseuses et les danseurs semblent défier la gravité. 

La bande annonce du spectacle, pour le plaisir des yeux:

Monumento all’Inferno, une installation d’Emilio Isgrò

Monumento all’Inferno, une installation d’Emilio Isgrò

Dante a les yeux bandés; il ne peut plus lire. Il est assis devant un livre ouvert dont le texte a été maculé et dont seuls quelques lambeaux de phrases sont encore visibles : «In mezzo del cammin», «fu la paura», «tu che sol per cancellare scrivi». C’est à Milan, dans le hall de l’Université Iulm [Libera Università di Lingue e Comunicazione], qu’a été inaugurée Monumento all’Inferno, l’installation d’Emilio Isgrò. Cet artiste est connu pour son travail sur « l’effacement » [cancellatura], 

Dans une interview sur la chaîne de l’université, il explique que cette œuvre a pour origine une réflexion sur le monde de la communication. Pour lui,

Le monde de la communication est un monde véritablement infernal, dans le sens où les informations au lieu d’être des éléments de liberté et de libération sont devenues une source de doute, mais non de doute cartésien qui amène à la liberté et à la vérité des choses, mais en quelque sorte au chaos.

Par un curieux hasard, note Giovanni Puglisi, le président de l’Iulm, cette œuvre est installée, en mars 2018 à mi-chemin «entre les 750 ans de la naissance [du poète], en 2015, e les 700 années de sa mort, en 2021»; quelque part nous sommes toujours «nel mezzo del cammin di nostra vita».

Notes :

Con Voce Nuova

Con Voce Nuova

Est-il possible de faire un spectacle destiné aux sourds et aux mal-entendants et en même temps aux entendants ? Est-il possible de faire que ce spectacle soit compréhensible et agréable pour deux publics aussi différents ? Et pour corser le tout, est-il possible de réaliser ce spectacle à partir de l’Enfer de Dante, un texte connu pour sa beauté, mais aussi pour sa complexité. C’est de ce défi magnifique qu’est né Con Voce Nuova – L’Inferno di Dante. 

Ce spectacle de théâtre et de danse est né de la rencontre entre Filippo Calcagno, un acteur sourd qui travaillait sur un monologue en langue des signes de l’Enfer, et du metteur en scène Alessio della Costa. L’idée leur est venue de produire un spectacle qui ne soit pas réservé aux seuls sourds mais auquel un public « d’entendants » pourrait aussi trouver plaisir à assister.

La base du spectacle est née du travail de Filippo Calcagno qui utilisait pour traduire et exprimer la poésie de Dante un langage complexe basé sur la langue des signes mais engageant l’ensemble du corps. Il s’enrichit avec la présence de deux danseurs, et de deux récitants. Ces derniers explique Alessio della Costa ne devaient pas être sur scène car «les spectateurs auraient vu bouger leurs lèvres sans rien entendre», comme il l’expliquait au Corriere del Trentino.

Ce spectacle qui a été créé à Trente à l’automne 2017, est donc repris le dimanche 18 mars à la Fabbrica del Vapore à Milan.

Pour plus de détails le site d’EmitFlesti , et la vidéo ci-dessous donne une idée du spectacle: