Difficile de choisir : un Catone ? Un Minosse ? Un Cerbero ? Le barman Federico Pemponi, qui officie au très chic Picteau Lounge Bar de l’hôtel Lungarno de Florence a eu la malicieuse idée de s’inspirer de La Divine Comédie pour créer quelques uns des cocktails qu’il propose. Il a même édité un petit recueil reprenant huit de ses recettes au titre évocateur, Divina Cockmedia.
Originaire de Pistoia et formé à l‘European Bartender School de Londres, il est entré en 2008 à l’hôtel Lungarno de Florence, où le chef barman Luca Genovese lui mis le pied à l’étrier en lui faisant réaliser son premier cocktail… sans alcool. Le chef Peter Brunel (une étoile au Michelin) est sa deuxième rencontre importante a-t-il expliqué au site Italia a Tavola:
Le chef étoilé Peter Brunel m’a aidé à réussir un véritable tournant professionnel. La collaboration avec Brunel a changé mon modus operandi au bar, m’ouvrant les yeux sur d’autres horizons, de la simple taille des fruits (des spaghettis de pomme dans un cocktail au lieude l’habituel éventail) à l’expérimentation de nouvelles saveurs, herbes, épices et autres ingrédients principalement utilisés en cuisine mais d’emploi facile dans les cocktails avec des résultats étonnants.
Pour donner une idée de ses cocktails, voici la recette du Minosse [Minos, celui qui, au Chant V, se tient à l’entrée de l’enfer, examine les fautes des âmes des pêcheurs et «voit quel lieu de l’enfer est pour elle»]
Minosse – Ingrédients: 3 cl. de vodka, 1,5 cl. de jus de citron, 4 cl. de liqueur à la pomme verte, 2 cl. de jus centrifugé de choux rouge, 2 cl. de blanc d’œuf, 2 gouttes de Worcester sauce.
– Les étapes:
rafraîchir une coupe martini
préparer en utilisant un « tour » un spaghetti avec la pomme verte, et le déposer dans la coupe rafraîchie ;
verser dans un shaker sans glace les ingrédients ;
pratiquer un premier shakerata (dry shake) puis ajouter la glace et secouer de nouveau ;
filtrer avec un strainer [une passoire] au tamis fin ;
A l’alta fantasia qui mancò possa; / ma già volgeva il mio disio e ‘l velle, / sì come rota ch’igualmente è mossa, / l’amor che move il sole e l’altre stelle. En prononçant les derniers vers de la Divine Comédie, à Ravenne, Ludovica Ripa di Menea ce mardi 10 avril, marquait la fin d’une aventure commencée cent jours plus tôt, et à laquelle se sont joints environ 5.000 participants.
Tout avait commencé le 1er janvier 2018 par ce tweet de Pablo Maurette, un jeune universitaire, spécialiste de littérature comparée à l’Université de Chicago.
#Dante2018 es una lectura abierta, simultánea y masiva de La Divina Comedia. Un canto por día empezando el 1º de enero. Cien cantos. Cien días. Para participar necesitan: 1) el libro 2) un ratito todos los días 3) tuiter 4) abandonar toda esperanza
La proposition était simple: «une lecture ouverte, simultanée et massive de La Divine Comédie. Un chant par jour, en commençant le 1er janvier. Cent chants. Cent jours». Participer nécessitait peu de choses : le livre, un petit moment chaque jour, Twitter et «d’abandonner toute espérance». Et tout cela fédéré autour du hashtag #Dante2018.
Le succès sera très rapidement viral, en Amérique latine et centrale, mais aussi en Chine, en Europe… et il débordera sur d’autres réseaux sociaux, Instagram, Tumblr… des photographes, des graphistes, des universitaires, des traducteurs se piqueront au jeu et participeront chacun à leur manière au succès de cette lecture passionnée. Par exemple, Umberto Ballesteros, un écrivain colombien, docteur en littérature italienne va créer, dès le 1er janvierun Tumblrsur lequel il va analyser chaque jour un chant [malheureusement, son Tumblr s’arrête au Chant X de l’Enfer].
Analyses, mais aussi illustrations, montages [il faut regarder l‘Instagram de #Dante2018], échanges sur Twitter mais aussi sur Skype, selfies à Florence ou à Ravenne devant la tombe du Sommo Poeta… d’un coup le texte reprenait vie. «Contre tout pronostic, contre tout préjugé sur la banalité endémique des réseaux sociaux, l’expérience est enrichissante et je dirais même profonde», s’enthousiasmait Pablo Maurette.
Cent jours plus tard, la boucle était bouclée et les derniers vers de La Comédie étaient dit à Ravenne par Ludovica Ripa di Menea, veuve de Vittorio Sermonti. Un geste qui symbolisait la continuation de la tradition de la « lecture commentée” dont Boccace fut l’initiateur au XIVe siècle et dont Vittorio Sermonti fut une figure importante en Italie [ici, la page Wikipedia qui lui est consacrée].
L’aventure s’acheva le même jour à Buenos Aires, la ville dont Pablo Maurette est originaire, par un évènement qui se tenait à la Bibliothèque Nationale. [Le compte-rendu de Federico Monjeau,dans Clarín ici]
Pour cette dernière journée, l’ultime chant de la Comédie, le chant XXXIII du Paradis, sera lu de manière chorale, comme le retrace cette vidéo (1) réalisée par la ville de Ravenne:
Notes
Les lecteurs avertis de la Comédie auront noté que dans le texte de Dante, Béatrice adresse son ultime sourire au poète au Chant XXXI du Paradis [et non au chant XXIII], avant de monter dans la rose céleste et de se tourner vers l’éternelle fontaine de lumière, Saint Bernard venant la remplacer. Mais ce titre L’ultimo sorriso di Beatrice est aussi un hommage au grand écrivain argentin Jorge Luis Borges, et dont l’un des Essais sur Dante porte sur ce moment très particulier où de nouveau Béatrice lui est arraché. [in Neuf essais sur Dante, par Jorge Luis Borges, Gallimard, coll. Arcades, Paris, 1987]
Saverio Bellomo, professeur de philologie italienne à l’Université Ca’Foscari de Venise vient de décéder à l’âge de 65 ans. Il était l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature médiévale, en particulier de l’œuvre de Dante, et il laisse inachevé une nouvelle édition commentée de La Divine Comédie, dont seul l’Inferno est paru.
Une grande part de son travail a été consacrée à l’exégèse des premiers commentateurs de La Comédie, Filippo Villani, Jacopo Alighieri, Guglielmo Maramauro, ceux qui au XIVe siècle donnèrent quelques clés pour comprendre l’œuvre de Dante. Il travailla aussi sur un poète du Dolce Stil Nuovo, contemporain de Dante, Cino da Pistoia. Son œuvre majeure étant sans doute son Dizionario dei commentatori danteschi¹.
C’est donc avec une grande autorité qu’il travailla au commentaire d’une nouvelle édition de La Divine Comédie, dont le premier cantique, l’Inferno, est paru en 2013². Sa décision de participer à une nouvelle édition et à l’écriture d’un nouveau commentaire reposait, expliquait-il dans l’introduction, sur deux conditions:
toucher un public dont l’exigence n’était pas encore complètement satisfaite, c’est-à-dire «non un lecteur qui lit, mais qui relit le poème».
dire quelque chose de neuf. Il précisait que sur Dante «tout ayant été dit et l’inverse de tout», il appliquait dans son commentaire le concept de “nouveauté” à la modalité d’exposition plutôt qu’au contenu proprement dit, et pour cela proposait à son lecteur éclairé «quelques hypothèses qu’il n’avait pas envisagées.»
Pour le choix du texte, après de longues et précises explications, sur diverses variantes possibles, il expliquait en philologue qu’il avait retenu le texte établi par Giorgio Petrocchi, dont il n’avait pas modifié une virgule, pour une raison plus morale que juridique. Il ne lui semblait pas «correct de modifier le travail d’autrui sans une prise de position cohérente et générale présentant une nouvelle hypothèse.
Seule modification qu’il s’autorisa, s’appuyant sur les travaux du linguiste Arrigo Castellani, celle concernant la graphie se’:
[elle] est objectivement erronée, car dans le florentin en usage au XIIe et au début du XIIIe siècles [on employait pour] la deuxième personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe être [essere] sè et non pas sei.
Ces quelques détails pour montrer la perte, que représente pour la famille des amateurs de Dante, la disparition du professeur Saverio Bellomo.
Notes
Le titre complet est: Dizionario dei commentatori danteschi. Esegesi della “Commedia” da Iacopo Alighieri a Nidobeato, Olschki, Florence, 2004.
Inferno, coll. Nuova raccolta di classici italiani annotati, Einaudi, Torino, 2013.
On trouvera une biographie et un bibliographie plus complète sur le site de la Società dei Filologi della Letteratura Italiana [Sfli]
Décidément, Dante et sa Divine Comédie sont une inépuisable source d’inspiration pour les artistes contemporains. C’est encore le cas avec la trilogie Dall’inferno al Paradiso i viaggi dell’anima créée par la No Gravity Dance Company du chorégraphe Emiliano Pellisari.
Ce spectacle créé depuis déjà quelques années tourne régulièrement sur les scènes italiennes et européennes. Les spectateurs français ont déjà eu la possibilité de le voir à plusieurs reprises, en région parisienne et aussi en régions. Une mini-tournée italienne vient de s’achever en Italie, à Pavie, l’occasion de se remettre dans l’œil cette magnifique et étonnante chorégraphie où les danseuses et les danseurs semblent défier la gravité.
La bande annonce du spectacle, pour le plaisir des yeux:
Dante a les yeux bandés; il ne peut plus lire. Il est assis devant un livre ouvert dont le texte a été maculé et dont seuls quelques lambeaux de phrases sont encore visibles : «In mezzo del cammin», «fu la paura», «tu che sol per cancellare scrivi». C’est à Milan, dans le hall de l’Université Iulm [Libera Università di Lingue e Comunicazione], qu’a été inaugurée Monumento all’Inferno, l’installation d’Emilio Isgrò. Cet artiste est connu pour son travail sur « l’effacement » [cancellatura],
Le monde de la communication est un monde véritablement infernal, dans le sens où les informations au lieu d’être des éléments de liberté et de libération sont devenues une source de doute, mais non de doute cartésien qui amène à la liberté et à la vérité des choses, mais en quelque sorte au chaos.
Par un curieux hasard, note Giovanni Puglisi, le président de l’Iulm, cette œuvre est installée, en mars 2018 à mi-chemin «entre les 750 ans de la naissance [du poète], en 2015, e les 700 années de sa mort, en 2021»; quelque part nous sommes toujours «nel mezzo del cammin di nostra vita».