Ploutos – Pluto

Ploutos_Plutus_Pluto
  • L’Enfer, Chant VI v. 118 — Chant VII, v. 2
  • Illustration: Une femme nourrit Ploutos grâce à la corne d’abondance. Photo: WIlliam Henry Goodyear (1923) — Domaine public.

Ploutos (ou Plutus), fils de Iason et de Déméter, est le dieu de la richesse. Aveugle, il parcourt le monde distribuant des richesses indifféremment à ceux qui font le bien et à ceux qui font le mal. Zeus l’aurait aveuglé pour qu’il ne récompense pas que le bien!

Dante a peut-être confondu cette divinité avec un homonyme: Pluton, fils de Saturne et et de Rhéa, qui était le dieu des enfers chez les Romains. Ce Pluton (Pluto) n’était autre que le dieu Hadès des Grecs. Pour accroître la confusion, les Romains identifiaient ce Pluton avec Dite (ou Dis), « riche” en latin. Cela faisait de ce Pluton, le dieu de la richesse contenue dans la terre.

On pourrait dire peu importe, mais pour poser un repère, on peut remarquer Dante a très précisément identifié Lucifer avec Dis:

«Ecco Dite », dicendo, « ed ecco il loco

ove convien che di fortezza t’armi»

(«Voici Dis », dit-il, « et voici le lieu / où il faut que tu t’armes de courage.»)

L’Enfer, Chant XXXIV, v. 20-21

Il semble donc —par défaut, si l’on peut dire— que le Ploutos du Chant VII de l’Enfer, soit le dieu grec aveugle. 

Ploutos a la figure du loup, symbole de la cupidité et de l’avarice

Quoi qu’il en soit, cette divinité devient dans le poème un démon dont le rôle est de garder les avares et les prodigues du quatrième Cercle de l’Enfer.

Dante en fait le «gran nemico» (“le grand ennemi”), car la cupidité s’oppose au salut de l’homme: «Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent», dit le Christ dans son sermon sur la montagne1. L’amour de l’argent est même selon la formule de saint Paul à «La racine de tous les maux».2

Dante d’ailleurs donne à Ploutos la figure du loup, qui dans l’imagerie médiévale symbolise l’avarice. Une figure qu’il utilise d’ailleurs à deux autres reprises dans La Divine Comédie pour évoquer la cupidité sans limites des hommes

  • au Chant I de l’Enfer, où une louve lui barre la route. Une louve «che di tutte brame / sembiava carca ne la sua magrezza, / e molte genti fé già viver grame» (“qui par sa maigreur / semblait porter tous les désirs, / et qui a fait vivre tant de gens dans le chagrin” – v. 49-51)
  • au Chant XX du Purgatoire où il maudit cette même louve: «Maladetta sie tu, antica lupa, / che più che tutte l’altre bestie hai preda / per la tua fame sanza fine cupa!» (“Maudite sois-tu, antique louve, / qui a plus de proies que toute autre bête / pour ta faim sans fond et sans limite!” – v. 10-12)
Pape satan, pape Satan, aleppe!

Reste la question des quelques mots lancés par Ploutos à ses deux visiteurs, Dante et Virgile, à leur arrivée au quatrième Cercle de l’Enfer:

«Pape satan, pape Satan aleppe !»

Si les explications plus ou moins convaincantes ne manquent pas, aucune ne s’est réellement imposée. Pourtant, Virgile semble comprendre les paroles de Ploutos, si l’on se réfère au vers 9 du Chant VII de l’Enfer: «consuma dentro te con la tua rabbia» (“consume-toi de ta propre rage”).

Les premiers commentateurs lisaient la phrase ainsi: «Pape» est une exclamation de surprise, «Satan», le nom du prince des démons; la répétition «Pape Satan, pape Satan» traduit la force de la surprise. Quant au dernier mot, «aleppe» c’est en fait la première lettre de l’alphabet hébreu: aleph. Il serait utilisé dans le sens de “prince”, ou être une expression traduisant la douleur.3

Au final, pour ces commentateurs la phrase était un appel de Ploutos à Satan pour qu’il le tire de sa perplexité. 

Benvenuto da Imola explique ainsi 

Pluton a vu un homme vivant dans le royaume des avaricieux (…) il est surpris de le voir et n’est pas en mesure d’empêcher son voyage; c’est pour lui douloureux et il implore de l’aide. Comment l’exprime-t-il: pape, qui est un adverbe (traduisant) un fort étonnement. Pour exprimer la douleur, il dit: aleph, qui est un adverbe exprimant la douleur; mais en réalité il dit: sathan, invoquant l’aide d’un autre, sathan étant le nom du prince des démons. Il dit donc: Aleph, sathan, sathan, pape, pape, ce qui signifie, ah, ah, diable, diable! ce monstre vient du monde où se voient les hommes vivants dans ce lieu.

D’autres lectures ont été avancées au fil du temps. Giuseppe Vandelli4 trouve convaincante celle de D. Guerri: 

Lu, comme cela se doit, selon le vocabulaire du Moyen Âge, ce vers s’entend Oh Satana, oh Satana, Dieu. Ce n’est pas un discours, mais une exclamation subite, avec laquelle Ploutos commence à manifester ses sentiments, à propos de cette surprise et déjà la menace5 

Anna-Maria Chiavacci Leonardi, dans son commentaire de La Divine Comédie ne tranche pas. Elle remarque simplement que «les deux paroles qui sont pour nous incompréhensibles —pape et aleppe— avaient à l’époque un sens que l’on peut retrouver dans le vocabulaire, et étaient employés régulièrement dans les écrits latins.»

Elle propose une explication minimale sur laquelle tout le monde pourra s’accorder: 

Ce vers exprime la stupéfaction (parce que Dante est vivant), la douleur (parce qu’il viole le royaume infernal), et un appel à Satan (de là, la peur de Dante – vers 5)6