La morale de La Divine Comédie et le voyage d’Ulysse

La morale de La Divine Comédie et le voyage d’Ulysse

Luca Fiorentini et Jean-Louis Poirier ont pour point commun d’avoir écrit un livre récent sur l’univers de Dante. La Société Dantesque de France avait pris l’heureuse initiative, avec la librairie italienne Tour de Babel, de les inviter le 21 mars 2017 à une rencontre avec tous ceux que l’œuvre du grand poète passionne.

Luca Fiorentini, un jeune chercheur auprès de la Chaire de Littératures modernes de l’Europe néolatine du Collège de France, est l’auteur de «Per Benvenuto da Imola, Le linee ideologiche del commento dantesco (il Mulino, Bologne)».

Benvenuto Rambaldi né vers 1330 à Imola (d’où son nom) et mort en 1388 à Ferrare est l’auteur du premier “commentaire” consistant de La Divine Comédie. Il vécut très peu de temps après que la Comédie ait été intégralement publiée et rédigea donc son “Comentum” dans une période —le Trecento— encore proche, culturellement, politiquement et économiquement de celle que connut Dante.

Pour Benvenuto, analyse Luca Fiorentini, le “noyau central” de la Comédie n’est pas le «voyage de Dante, à travers l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, mais la foule des personnages qui habitent ces trois règnes, et les “histoires” que racontent ces personnages». Peu importe, que celles-ci tiennent en quelques vers ou occupent la majeure partie d’un Chant, l’essentiel tient dans le fait que ces “événements” sont en fait «une allégorie des trois états de la vie terrestre». Cette relation étroite que chaque âme entretient avec sa vie terrestre (avec son “histoire”) traduit la “continuité” entre les actes, les faits, que chacun a posé sur Terre, dans le monde des vivants et sa place dans l’autre monde, celui des morts et de l’éternité, c’est-à-dire dans tel ou tel cercle de l’Enfer, sa présence au Purgatoire ou encore dans tel Ciel du Paradis. Cette continuité fait de la Comédie un enseignement moral, d’autant plus efficace qu’il s’appuie sur des personnages, une réalité que les contemporains de Dante connaissait.

L’ouvrage de Jean-Louis Poirier, qui fut enseignant de philosophie en khâgne au lycée Henri-IV, s’attache à une de ces “histoires” célèbres qui composent La Divine Comédie, celle d’Ulysse et de son tragique et ultime voyage. (Ne plus ultra, Dante et le dernier voyage d’Ulysse, Les Belles Lettres).

Ce voyage est une «invention» car Dante n’ayant pas lu L’Odyssée ne connaissait pas, par exemple le retour à Ithaque auprès de Pénélope. Si Ulysse se trouve en Enfer avec son compagnon et ami Diomède, au milieu des “Conseillers perfides” enrobés de flamme du Chant XXVI, c’est en raison de la ruse qu’ils employèrent pour faire tomber Troie (le fameux cheval !) et le vol de la statue d’Athéna (le Palladium), et non pour le voyage lui-même, car celui-ci, insiste Jean-Louis Poirier «aboutit à un naufrage et non à la damnation».

Ulysse a donc un statut à part, matérialisé par la question que lui pose Dante (par la voix de Virgile): «… ma l’un di voi dica / dove, per lui, perduto a morir gissi» (“…mais que l’un de vous dise / où, par lui, perdu il alla mourir”). C’est en effet son ultime voyage qu’il lui demande de raconter, et de ce fait Ulysse symbolise “l’explorateur”, en fait ce que nous sommes tous. Il n’y a pas de transgression de “bornes” qu’il ne faudrait pas franchir, comme par exemple ce “détroit étroit / où Hercule posa ses bornes” (“quella foce stretta / dov’ Ercule segnò li suoi riguardi”). En effet, Jean-Louis Poirier rappelle que «l’Homme a été créé “après” le monde, et cela fait qu’il doit continuer à le découvrir», même si comme le fait Ulysse dans ce “vol fou” (“folle volo”), il en perd la raison

Mais Jean-Louis Poirier ne s’arrête pas à la seule lecture de La Divine Comédie, car c’est la fable du personnage d’Ulysse qui l’intéresse et donc sa transposition dans des œuvres plus modernes comme celle de Melville et de Primo Levi.

La Divine Comédie au Carnaval de Rio

Un très bref album souvenir du Carnaval de Rio de Janeiro au Brésil de 2017. L’une des écoles de samba, Salgueiro, avait décidé de défiler sur le thème de la Divine Comédie. Quelques images parues alors sur Twitter (les vidéos ne sont plus disponibles)

 

 

La Divine Comédie, Twitter et le Journalisme

La Divine Comédie, Twitter et le Journalisme

Le 27 mai 2012 commençait cette bizarre aventure de publier La Divine Comédie de Dante sur Twitter. Un gros millier de tweets plus loin, a commencé le 2 janvier 2014 la publication du Chant XVII. Nous sommes donc pratiquement au milieu de l’Enfer, qui compte 34 chants. L’aventure ne s’arrête pas là, puisque suivront la publication du Purgatoire et du Paradis, le dernier vers devant être publié très probablement à la fin de l’année 2021 ou au début de 2022.

  • Article publié originellement sur le blog [the]Media Trend, le 3 janvier 2014 (republié ici en conservant la même date, avec quelques mises à jour indispensables)

Pages 121 et 122, de Tweets, L’histoire s’écrit-elle en 140 caractères? d’Olivier Tesquet et Christelle Destombes 1, le lecteur un peu curieux tombera sur les trois vers « d’ouverture » de La Divine Comédie accompagné de courtes explications, où il est question d’un « projet un peu fou » qui consiste « à twitter des tercets du poème de Dante », l’objectif étant de publier l’intégralité du texte sur une dizaine d’années.

Depuis le début de cette aventure, mes interlocuteurs me demande souvent pourquoi je me suis lancé dans cette aventure, et beaucoup s’interrogent sur la pertinence du projet. Ma réponse peut parfois sembler incertaine, car je n’ai aucune certitude. Il s’agit à mes yeux d’une « expérimentation poétique et sociale » et j’ignore ce qui pourra sortir du triple choc auquel je soumets La Divine Comédie :

  • celui d’une œuvre du Moyen Âge projetée dans notre système médiatique —et d’édition— contemporain;
  • la collision du temps long de la publication—dix ans— et du temps court de Twitter;
  • la confrontation d’un espace fragmenté et émietté avec ce qui fait l’essence d’une œuvre à savoir sa cohérence.

Mais entrons dans le détail des raisons qui m’ont amené à tweeter La Divine Comédie et m’encouragent à continuer:

  • La première tient bien sûr à l’œuvre elle-même, et Twitter me paraissait un bon moyen d’en faire partager au public la beauté et la force. C’est un premier pari, car il faut que chaque tweet soit un « moment poétique » et se suffise à lui-même. J’avais expliqué lors du lancement, que l’écriture et la structure du poème, en particulier sa régularité, le permettait. En effet, tous les vers sont de onze syllabes (hendécasyllabes) et sont enchaînés par « tercets », d’ailleurs appelé terzina dantesca (pour plus de détails, lire ici sur Wikipedia). Or, il se trouve que trois vers tiennent dans un tweet, hashtags compris. En voici un exemple, parmi des centaines. Nous sommes dans le septième cercle, et les violents contre Dieu sont couchés sur le sable sous une pluie de feu et voici comme la pluie est décrite (« Sur tout le sable, lentement, / pleuvaient de larges flocons de feu, / comme neige sur les Alpes un jour sans vent.):

  • la deuxième est lié à une forme d’expérimentation. Twitter est un média de flux, où la durée de vie d’une information est brève: une heure en moyenne, souvent moins, parfois un peu plus. C’est aussi un média où la consultation est par définition aléatoire: personne ne consulte sa timeline [où ses timelines, si l’on utilise des outils comme Tweetdeck ou Hootsuite], en permanence. Dans ses conditions, il me semblait impératif de donner des rendez-vous fixes. Pour cela j’ai fixé arbitrairement une heure de parution: 8h30.2. Pour respecter cet horaire, j’utilise un outil de programmation en ligne, Clocktweets, (aujourd’hui rebaptisé Swello) qui a fait preuve sur la durée d’une grande fiabilité. Ce système de publication à heure fixe est d’ailleurs utilisé par d’autres comme François Vinsot qui publie chaque matin, à 7 heures, dix tweets de son Roman sans titre [pour le suivre, c’est ici].
  • la troisième est liée à une interrogation: un tweet est un élément isolé, décontextualisé: est-il possible dès lors de publier une œuvre complète et de le faire sur une période extrêmement longue, sans qu’elle ne se dissolve dans le flot de Twitter? Là encore, la réponse est positive, mais j’ai été amené à aménager légèrement mon projet initial, qui était de ne publier qu’un seul tweet par jour. Cela est possible dans 80% des cas, mais parfois couper une scène, une description ou une phrase leur ferait perdre leur force et en rendrait la compréhension difficile pour le lecteur, qui serait obligé de se référer au tweet publié la veille. Pour remédier à cette difficulté et conserver la cohérence, je publie donc parfois plusieurs tweets le même jour.
  • la quatrième est liée à la complexité de l’œuvre. Dante rencontre sans cesse des personnages qui appartiennent à son époque, s’appuie sur des images et des métaphores dont nous avons perdu les clés, fait référence à des œuvres et des philosophes qui nous sont aujourd’hui mal connus. Pour cela, je publie lorsque c’est nécessaire un tweet « explicatif », qui souvent contient un lien permettant à ceux qui le souhaitent « d’aller plus loin ». Dans le même état d’esprit, je reprends dans un Storify l’ensemble des tweets publiés pour un chant en y ajoutant des images, des explications supplémentaires et une lecture de l’œuvre en italien, afin que le lecteur ait « dans l’oreille » la beauté de la langue de Dante. (MAJ du 19 mai 2021: Storify a cessé ses activités le 16 mai 2018. Le site ladivinecomedie.com sur lequel vous vous trouvez en a repris l’ensemble du contenu).
  • la cinquième est liée à la langue. Celle de Dante est magnifique mais difficilement accessible pour un francophone [voire pour un Italien!]. Elle nécessite d’être traduite. Ici, pour des raisons liées au droit d’auteur, il m’était difficile de reprendre une traduction existante. Il en existe certes une disponible en wikisource, qui fut réalisée par Lamennais, un prêtre breton qui vécut au XIXe siècle. Problème, elle est rédigée en prose et a vieilli. C’est le cas aussi de la version de l’enfer par Rivarol, laquelle date du XVIIIe! En outre, dans la plupart des traductions existantes en « vers » (je mets des guillemets, car c’est mission quasi impossible), les traducteurs suivent un système de codification et de référencement, qui veut que chaque vers soit numéroté. Un système pratique: par exemple, « Inf. 14, 63  » renverra au vers 63 du chant XIV de l’Enfer (Inf. est l’abréviation d’Inferno).

Pour respecter la publication en tweets, et donc en tercets, il m’a fallu prendre un autre chemin et proposer ma propre traduction de La Divine Comédie. C’est ce que je m’attache à faire, avec beaucoup d’humilité mais aussi avec un grand plaisir, car cela me permet d’entrer encore plus avant dans l’œuvre et de la comprendre plus intimement. Le plus difficile n’est pas la traduction  elle-même. Il existe un nombre incalculable de dictionnaires, d’outils en ligne, qui donnent le sens précis de chaque mot et expression, sachant qu’un même mot [nous sommes au moment où se crée la langue italienne] peut avoir un sens différent selon le cantique ou le chant de La Divine Comédie. C’est un jeu de patience, mais j’ai dix ans devant moi. En revanche, comme dans toute traduction le plus difficile tient au français. L’italien de Dante est une langue superbe, ramassée, où deux mots suffisent à forger une image qui résonne longtemps chez le lecteur. C’est cette concision que je m’efforce de respecter en suivant donc le rythme par tercet de l’œuvre. Ces traductions sont mises au fur et à mesure de la publication des chants en libre accès, sur des Google docs. (MAJ du 19 mai 2021: en fait ces traductions sont maintenant sur le site ladivinecomedie.com, et il n’est plus besoin d’utiliser le système rustique des Google docs). 

  • la sixième est liée au journalisme. Je tweete La Divine Comédie, sur mon compte @mediatrend, dont le contenu est a priori centré sur les médias et le journalisme, et non sur un compte dédié. Cela peut paraître le mariage de la carpe et du lapin, mais dans mon esprit il n’en est rien. J’avais un jour répondu lors d’une interview que l’on pouvait voir Dante comme un précurseur des grands reporters. C’était alors une demi-boutade, mais plus j’avance dans l’œuvre, moins le parallèle me semble absurde.

Par exemple, dès le début du Chant II de l’enfer, Dante nous promet de nous raconter ce qu’il va voir, comme le ferait un journaliste. Tout juste peut-on lui reprocher de ne pas prendre de notes:

1 – Le jour s’en allait, et l’air obscur
délivrait les animaux qui sont sur terre
de leurs fatigues ; moi seul
2 – je me préparais à soutenir
la guerre du chemin et de la pitié,
que retracera la mémoire qui n’erre pas.

Il fait preuve d’une curiosité insatiable, ne cessant de poser des questions à son «fixer», le poète Virgile. Dans le Chant III par exemple —célèbre parce qu’il s’ouvre par l’inscription “Vous qui entrez, laissez toute espérance” («Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate»)— il harcèle littéralement celui qu’il appelle «maître»: “Qu’est-ce que j’entends?”, “Pourquoi se lamentent-ils si fort?”, “Pourquoi semblent-ils si pressés de traverser?”, etc.

Il questionne aussi ceux qu’il est amené à rencontrer, comme au Chant V, Francesca et son amant Paolo, assassiné par le mari jaloux. “Venez nous parler”, demande-t-il à ces “âmes en peine”. Il n’hésite pas s’il le juge nécessaire à relancer ses interlocuteurs, comme il fait avec Francesca, qui lui a seulement raconté que c’est “Amour [qui] nous conduisit à une même mort”. Cela ne suffit pas à Dante. Il lui demande de préciser les circonstances du drame, et en particulier comment tout deux devinrent amants:

Mais dis-moi : au temps des doux soupirs,
à quoi et comment amour permit
que vous connaissiez les douteux désirs ?

Tout ce qu’il voit, entend, sent et ressent, il va le raconter sobrement et le plus précisément possible usant de comparaisons lorsque nécessaire pour rendre ce qu’il décrit plus évocateur. Par exemple au début du Chant XV de l’Enfer pour décrire les hautes berges sur lesquelles il marche avec Virgile, et donner une idée de leur taille, il les compare aux digues qu’ont construites les Flamands pour se protéger de la mer. Il sait aussi pratiquer l’ellipse, pour ne garder dans son récit que l’essentiel. Par exemple, à la fin du Chant IV de l’Enfer, il se lance dans une longue énumération de poètes, philosophes et savants qui se trouvent dans les limbes, avant de couper court brutalement (“Je ne peux les nommer tous, / car tant me presse le long sujet, / que maintes fois le dire raccourcit les faits.”):

Mais sans doute le plus fascinant est la manière dont Dante raconte —au sens plein du terme. Chacun des chants est un bijou en terme de narration et de construction, qu’il s’agisse des premiers vers qui toujours nous font rentrer dans la nouvelle histoire, du dernier —isolé— qui est toujours un coup de fouet final, dans le fait qu’il sait en deux ou trois tercets clore un épisode et relancer une histoire qui aurait pu s’essouffler. Dans le Chant XIII, Dante et Virgile finissent d’écouter le mélancolique Pier della Vigna, qui s’est suicidé et dont l’âme est prisonnière d’un buisson. D’un coup, on change de scène: “Nous demeurions encore attentifs au tronc,/ croyant qu’il voulait nous dire autre chose, / quand nous fûmes surpris d’un fracas, / comme l’est celui qui sent / venir le sanglier et la chasse à ses trousses, / car il entend les bêtes, et des branches le craquement.”

Moderne, Dante l’est aussi par sa manière de se mettre en scène. Il fait de sa quête le fil conducteur d’une histoire qui sans cela pourrait paraître décousue. Mais du coup, il n’est pas seulement narrateur. C’est aussi un acteur de cette Comédie. Il hésite, envisage de renoncer, montre sa peur… Ses rencontres avec certains de ses adversaires «de l’autre monde» peuvent l’amener à des dialogues tendus, tandis qu’il fait preuve d’une grande tendresse avec certains de ces compatriotes florentins (“Je suis de votre terre”). Il réussit donc la prouesse d’être à la fois un narrateur distancié et engagé. Du coup son récit prend une force peut commune.

Il n’hésite pas non plus à prendre à témoin son lecteur comme ici à la fin du Chant XVI alors que monte vers lui la bien étrange créature qu’est Géryon (“mais je ne puis me taire ici; et sur les vers / de cette comédie, lecteur, je te jure,/ en espérant qu’ils auront longtemps ta faveur,/ que je vis par l’air épais et obscur / monter en nageant une figure, / extraordinaire même pour qui a un cœur solide”):

À cette étape, je ne vois donc aucune raison d’arrêter un projet chaque jour plus intéressant et enrichissant. Ce l’est d’autant moins qu’une petite communauté de fidèles s’est progressivement constituée, et qu’il me semble impossible de les décevoir. Au contraire, cela me pousse à explorer les possibilités qu’offrent les outils dont nous disposons aujourd’hui, pour expliquer par exemple la structure particulièrement complexe de l’enfer. Pour l’instant, je me contente d’en stocker dans un tableau Pinterest les représentations existantes. Il doit être possible de faire mieux.

À suivre donc.

La Divine Comédie de Dante à l’heure de Twitter

La Divine Comédie de Dante à l’heure de Twitter

La Divine Comédie est sans doute l’un des plus beaux poèmes jamais écrit. Pour le rendre plus accessible,  j’ai décidé de le publier sur Twitter. Ce projet nécessitera une dizaine d’années avant que ne soit twitté le dernier vers du dernier chant du dernier Cantique, le Paradis: «l’amor che move il sole e l’altre stelle» (“l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles”)

  • Article publié sur le blog [the] Media Trend, le 27 mai 2012 (republié ici avec quelques mises à jour mineures et en conservant la même date)

L’idée peut, de prime abord, sembler farfelue : publier sous forme de tweets La Divine Comédie de Dante. Tout oppose en apparence l’œuvre composée au Moyen Âge par le poète florentin Dante Alighieri, au très contemporain Twitter. D’un côté des milliers de vers, un foisonnant récit où se raconte une civilisation dans sa complexité, où se forge l’italien moderne et de l’autre la sécheresse et la brièveté de courts messages qui doivent tenir en 140 signes. Pourtant les deux ne sont pas inconciliables loin de là.

En effet, La Divine Comédie ne fut pas à l’origine publiée d’un bloc, pour la simple raison qu’à l’époque de sa rédaction, l’imprimerie n’existait pas. Chaque Chant fut donc «publié» (en fait recopié à la main par des copistes, selon l’efficace système de l’époque) au fur et à mesure, de 1307 à 1321. On est donc très proche de «l’écriture Twitter» fragmentée mais qui permet, pour autant que l’on soit constant, de publier une œuvre complète. Pour La Divine Comédie à raison d’un tweet quotidien ce sera l’affaire d’une dizaine d’années (espérons que Twitter existera toujours dans dix ans!).

Mais l’œuvre de Dante possède une deuxième caractéristique qui rend possible sa publication sur Twitter. Celle-ci tient à sa poésie et à sa structure si particulière: elle est en effet composée de trois cantiques [l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis], chacun étant divisé en 33 chants [à l’exception de l’Enfer, qui en compte 34, Dante ayant ajouté un chant inaugural]. Les vers de onze syllabes [hendécasyllabiques] sont regroupés par tercets dont les rimes sont enchaînées: chaque tercet s’enchaîne au suivant par le second vers. Par exemple, cet extrait du début du Chant XVIII du Paradis, où alors que le poète regarde sa bien-aimée Béatrice avec passion, celle-ci se moque gentiment de lui — “le paradis n’est pas tout dans mes yeux”, lui dit-elle—, permet de montrer l’enchaînement des vers selon le schéma suivant:

ABA – BCB – CDC – DED – EFE – etc.

Io me rovolsi à l’amoroso suono – A
del io conforto; e quai io allor vidi – B
ne li occhisanti amor, qui l’abbandono; – A
non perch’io pur del mio parlar diffidi, – B
ma per la ment che non può redire – C
sovra sé tanto, s’altri non la guidi. – B
Tanto poss’ io di quel punto ridire, – C
che, rimirando lei, lo mio affetto – D
libero fu da ogne altro disire, – C
fin che ‘l piacere etterno, che diretto – D
raggiava in Beatrice, dal bel viso – E
mi contentava col secondo aspetto – D
Vincendo me col lume d’un sorriso, – E
ella mi disse : « Volgiti e ascolta; – F
ché non pur ne’ mici occhi è paradiso»; – E

Traduit ainsi par Jacqueline Risset:

Je me tournai vers le son amoureux
de  mon réconfort: et l’amour que je vis
alors dans les yeux saints, je renonce à le dire;
non que me défie de ma parole,
mais parce que la mémoire ne peut se retourner
aussi loin sur elle-même, si autrui ne la guide.
De cet instant je peux seulement redire
que la regardant, mon affection fut libérée de tout autre désir,
tant que le plaisir éternel, qui rayonnait
directement en Béatrice, me contentait par le reflet venu du beau visage.
En me vainquant par la lumière d’un sourire ,
elle me dit: «Tourne-toi et écoute;
le paradis n’est pas tout dans mes yeux.»

La publication, par «tercet» de l’œuvre de Dante semble donc de l’ordre de l’évidence, et ce d’autant plus qu’un tercet «tient» dans un tweet avec les hashtags indispensables, qui seront donc:

#divinecomedie #enfer #chant1

  • [MÀJ] à partir du mardi 29 mai, le hashtag #divinecomedie sera raccourci en #DivCo

chaque tercet étant ensuite numéroté à l’intérieur de chaque chant (la numération recommencera à «1» au début de chaque nouveau chant publié).

Le rythme de publication sera quotidien. Parfois, pour des raisons de compréhension, je publierai plusieurs tercets à la suite, en faisant en sorte que leur heure de publication s’enchaîne. Pour cela, la publication sera programmée grâce à Clocktweets (rebaptisé aujourd’hui Swello) et Tweetdeck

Dernière question délicate, celle de la traduction. Originellement, je ne pensais twitter qu’en langue originale, mais il me semble nécessaire de doubler d’une traduction française. Pour des raisons de droits, je ne peux utiliser la très belle traduction de Jacqueline Risset [régulièrement rééditée en poche, par Flammarion], et j’utiliserai donc celle de Lamennais qui certes date de 1883, mais est disponible en libre sur Wikisource.

  • Illustration: La Comédie illumine Florence, par Domenico di Michelino (1417-1491). Santa Maria del Fiore, Florence.
  • Lien vers le post original sur le blog [the] Media Trend