Fausses notes dans l’organisation du 700e anniversaire de la mort de Dante

Fausses notes dans l’organisation du 700e anniversaire de la mort de Dante

Le point de vue d’Ivan Simonini reflète-t-il l’opinion majoritaire des habitants de Ravenne? Difficile à dire, mais la tribune qu’il a publiée par le site Ravennanotizie.it sous le titre rageur Ravenna cancellata dal Comitato Dantesco [Ravenne effacée du Comité Dantesque] ne passe pas inaperçue. Il y dénonce pêle-mêle un «Comité écrasé sous la philologie de Dante», la présence de trois femmes seulement parmi les quinze membres et l’absence de… personnalités ravennati dans ce Comité, etc.

Son coup de gueule donne l’occasion de regarder de plus près comment se mettent en place les festivités du 700e anniversaire de la mort du grand poète, et l’organisation a été retenue.

Une loi a fixé le cadre financier de la manifestation, et le montant des subventions que versera l’État italien. C’est sans doute la première déception, puisqu’il est plus faible qu’espéré. Il est vrai que dans les trois années à venir, l’Italie va fêter l’anniversaire de trois de ces artistes les plus connus:

  • en 2019 celui de Léonard de Vinci, mort le 2 mai 1519 à Amboise;
  • en 2020 celui du peintre Raphaël (Rafael Sanzio), mort à Rome le 6 avril 1520;
  • en 2021 celui de Dante Alighieri, mort à Ravenne le 14 septembre 1321.

Face à cette conjonction, les Sénateurs italiens ont joué les rois Salomon coupant la poire des subventions en trois parts égales. La dotation globale étant de 3.450.000 euros, chaque comité s’est donc vu attribuer la somme de 1.150.000 euros. Une clé de répartition un peu étrange, sachant que le 700e anniversaire de la mort de Dante se tient un an après les 500e anniversaires du décès de Léonard de Vinci et de Raphaël. En outre, alors que la loi prévoyait une calendrier des dépenses avec une répartition régulière sur les quatre années à venir (en 2018, 150.000 euros, et en 2019, 2020, 2021 333.000 d’euros l’an), c’est une tout autre clé de répartition qui a été retenue si l’on en croit I. Simonini: l’essentiel (un million d’euros) sera dépensé en 2021, et les trois années précédentes, le Comité n’aura à sa disposition que 50.000 euros; Une misère qui suffira à peine à couvrir ses frais de fonctionnement. 

Un comité composé pour l’essentiel de philologues italiens

Le rôle du Comité, placé sous la tutelle du Ministère italien de la Culture [ministero per i Beni culturali] est donc essentiel. C’est sa composition [voir ici] que critique Ivan Simonini, non pas tant sur les personnalités qui le composent, que sur l’équilibre —où les déséquilibres— sur lequel il repose. Difficile en effet de critiquer le choix de spécialistes de l’œuvre du poète comme Enrique Malato, Giuseppe Ledda, Andrea Mazzucchi… ou encore son président Carlo Ossola, professeur au Collège de France, qui en composeront l’ossature. Eventuellement, on peut regretter avec I. Simonini que trois des plus grands commentateurs contemporains —Federico Sanguineti, Giorgio Inglese et Robert Hollander— soient absents de ce Comité, mais comme dans la composition d’une équipe de football lors d’une compétition, il est impossible de retenir tous les joueurs quelles que soient leurs qualités.

La critique du caractère « monocolore » de ce Comité est plus recevable, car comme il l’écrit «la philologie dantesque a besoin de s’ouvrir à d’autres spécialités comme l’historiographie, la psychanalyse, la médecine, la physique, l’astronomie.» 

Il est également regrettable, qu’alors que la poésie de Dante appartient désormais au patrimoine de l’humanité, le choix des membres ait été italiano-italien, avec la seule exception de René de Cecatty. Signalons au passage à Ivan Simonini, que René de Cecatty vient de publier une traduction, en vers, de la Divine Comédie, précédée d’une solide introduction. Ce n’est certes pas un étude, une analyse ou un commentaire, comme peuvent les réaliser des universitaires, mais c’est malgré tout “quelque chose de significatif” —pour un francophone en tout cas— au sujet de Dante. 

Reste le dernier volet de la polémique ouverte par Ivan Simonini, a savoir l’absence de Ravennati dans le Comité, si l’on fait exception du maire de Ravenne qui est invité permanent avec ceux de Florence et de Vérone. Une absence qui peut sembler étonnante si l’on se souvient qu’il s’agit de fêter l’anniversaire de la mort de Dante, et non sa naissance. Certains pourront trouver cette querelle ridicule et digne de Clochemerle.

Une affaire de symboles ?

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La lampe à huile, pour laquelle les Florentins fournissent chaque année l’huile destinée à l’alimenter.

Peut-être, mais en Italie les symboles ont aussi leur importance. Ravenne est la ville où eut lieu le décès de Dante, et la logique voudrait qu’elle joue un rôle primordial dans l’organisation de l’anniversaire de ce décès. À cet argument on peut rétorquer que certes Dante est décédé à Ravenne, mais son héritage appartenant à l’Italie toute entière, la composition de ce Comité doit logiquement en traduire la diversité régionale. Sur ce plan celle-ci est à peu près respectée avec des Napolitains, des Romains, des Pisans, etc.

Et puis reste cette vieille histoire de la dépouille de Dante. Il faut se souvenir qu’à plusieurs reprises, Florence réclamèrent les restes du Sommo Poeta. Mais toutes les tentatives échouèrent, les moines franciscains d’abord, puis la ville de Ravenne ne voulurent jamais rien entendre, rappelant que lorsque Dante mourut, il était encore banni de sa ville de naissance. Seul geste autorisé, chaque année, pour l’anniversaire du décès, une délégation de Florence vient apporter l’huile destinée à alimenter la lampe à huile votive suspendue dans le caveau de Dante. Une tradition, mais aussi un symbole. 

Nous verrons comment évolueront ces querelles, qui pour l’instant n’ont guère rencontrées d’écho, mais l’essentiel porte sur l’événement lui-même et son organisation et là on peut être inquiet au vu de la faiblesse des moyens alloués au Comité National.

Les divins cocktails de Federico Pempori

Les divins cocktails de Federico Pempori

Difficile de choisir : un Catone ? Un Minosse ? Un Cerbero ? Le barman Federico Pemponi, qui officie au très chic Picteau Lounge Bar de l’hôtel Lungarno de Florence a eu la malicieuse idée de s’inspirer de La Divine Comédie pour créer quelques uns des cocktails qu’il propose. Il a même édité un petit recueil reprenant huit de ses recettes au titre évocateur, Divina Cockmedia.

Originaire de Pistoia et formé à l‘European Bartender School de Londres, il est entré en 2008 à l’hôtel Lungarno de Florence, où le chef barman Luca Genovese lui mis le pied à l’étrier en lui faisant réaliser son premier cocktail… sans alcool. Le chef Peter Brunel (une étoile au Michelin) est sa deuxième rencontre importante a-t-il expliqué au site Italia a Tavola

Le chef étoilé Peter Brunel m’a aidé à réussir un véritable tournant professionnel. La collaboration avec Brunel a changé mon modus operandi au bar, m’ouvrant les yeux sur d’autres horizons, de la simple taille des fruits (des spaghettis de pomme dans un cocktail au lieu de l’habituel éventail) à l’expérimentation de nouvelles saveurs, herbes, épices et autres ingrédients principalement utilisés en cuisine mais d’emploi facile dans les cocktails avec des résultats étonnants.

Pour donner une idée de ses cocktails, voici la recette du Minosse [Minos, celui qui, au Chant V, se tient à l’entrée de l’enfer, examine les fautes des âmes des pêcheurs et «voit quel lieu de l’enfer est pour elle»]

Minosse
– Ingrédients: 3 cl. de vodka, 1,5 cl. de jus de citron, 4 cl. de liqueur à la pomme verte, 2 cl. de jus centrifugé de choux rouge, 2 cl. de blanc d’œuf, 2 gouttes de Worcester sauce.

– Les étapes:

  • rafraîchir une coupe martini
  • préparer en utilisant un « tour » un spaghetti avec la pomme verte, et le déposer dans la coupe rafraîchie ;
  • verser dans un shaker sans glace les ingrédients ;
  • pratiquer un premier shakerata (dry shake) puis ajouter la glace et secouer de nouveau ;
  • filtrer avec un strainer [une passoire] au tamis fin ;
  • décorer avec de la poudre de choux rouge.

Photo D.R.

Les cent jours de #Dante2018

Les cent jours de #Dante2018

A l’alta fantasia qui mancò possa; / ma già volgeva il mio disio e ‘l velle, / sì come rota ch’igualmente è mossa, / l’amor che move il sole e l’altre stelle. En prononçant les derniers vers de la Divine Comédie, à Ravenne, Ludovica Ripa di Menea ce mardi 10 avril, marquait la fin d’une aventure commencée cent jours plus tôt, et à laquelle se sont joints environ 5.000 participants. 

Tout avait commencé le 1er janvier 2018 par ce tweet de Pablo Maurette, un jeune universitaire, spécialiste de littérature comparée à l’Université de Chicago.

La proposition était simple: «une lecture ouverte, simultanée et massive de La Divine Comédie. Un chant par jour, en commençant le 1er janvier. Cent chants. Cent jours». Participer nécessitait peu de choses : le livre, un petit moment chaque jour, Twitter et «d’abandonner toute espérance». Et tout cela fédéré autour du hashtag #Dante2018.

Le succès sera très rapidement viral, en Amérique latine et centrale, mais aussi en Chine, en Europe… et il débordera sur d’autres réseaux sociaux, Instagram, Tumblr… des photographes, des graphistes, des universitaires, des traducteurs se piqueront au jeu et participeront chacun à leur manière au succès de cette lecture passionnée. Par exemple, Umberto Ballesteros, un écrivain colombien, docteur en littérature italienne va créer, dès le 1er janvier un Tumblr sur lequel il va analyser chaque jour un chant [malheureusement, son Tumblr s’arrête au Chant X de l’Enfer].

Analyses, mais aussi illustrations, montages [il faut regarder lInstagram de #Dante2018], échanges sur Twitter mais aussi sur Skype, selfies à Florence ou à Ravenne devant la tombe du Sommo Poeta… d’un coup le texte reprenait vie. «Contre tout pronostic, contre tout préjugé sur la banalité endémique des réseaux sociaux, l’expérience est enrichissante et je dirais même profonde», s’enthousiasmait Pablo Maurette. 

Cent jours plus tard, la boucle était bouclée et les derniers vers de La Comédie étaient dit à Ravenne par Ludovica Ripa di Menea, veuve de Vittorio Sermonti. Un geste qui symbolisait la continuation de la tradition de la « lecture commentée” dont Boccace fut l’initiateur au XIVe siècle et dont Vittorio Sermonti fut une figure importante en Italie [ici, la page Wikipedia qui lui est consacrée].

L’aventure s’acheva le même jour à Buenos Aires, la ville dont Pablo Maurette est originaire, par un évènement qui se tenait à la Bibliothèque Nationale. [Le compte-rendu de Federico Monjeau, dans Clarín ici]

Pour cette dernière journée, l’ultime chant de la Comédie, le chant XXXIII du Paradis, sera lu de manière chorale, comme le retrace cette vidéo (1) réalisée par la ville de Ravenne: 

Notes

Les lecteurs avertis de la Comédie auront noté que dans le texte de Dante, Béatrice adresse son ultime sourire au poète au Chant XXXI du Paradis [et non au chant XXIII], avant de monter dans la rose céleste et de se tourner vers l’éternelle fontaine de lumière, Saint Bernard venant la remplacer. Mais ce titre L’ultimo sorriso di Beatrice est aussi un hommage au grand écrivain argentin Jorge Luis Borges, et dont l’un des Essais sur Dante porte sur ce moment très particulier où de nouveau Béatrice lui est arraché.
[in Neuf essais sur Dante, par Jorge Luis Borges, Gallimard, coll. Arcades, Paris, 1987]

La disparition de Saverio Bellomo

La disparition de Saverio Bellomo

Saverio Bellomo, professeur de philologie italienne à l’Université Ca’Foscari de Venise vient de décéder à l’âge de 65 ans. Il était l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature médiévale, en particulier de l’œuvre de Dante, et il laisse inachevé une nouvelle édition commentée de La Divine Comédie, dont seul l’Inferno est paru. 

Une grande part de son travail a été consacrée à l’exégèse des premiers commentateurs de La Comédie, Filippo Villani, Jacopo Alighieri, Guglielmo Maramauro, ceux qui au XIVe siècle donnèrent quelques clés pour comprendre l’œuvre de Dante. Il travailla aussi sur un poète du Dolce Stil Nuovo, contemporain de Dante, Cino da Pistoia. Son œuvre majeure étant sans doute son Dizionario dei commentatori danteschi¹.

C’est donc avec une grande autorité qu’il travailla au commentaire d’une nouvelle édition de La Divine Comédie, dont le premier cantique, l’Inferno, est paru en 2013². Sa décision de participer à une nouvelle édition et à l’écriture d’un nouveau commentaire reposait, expliquait-il dans l’introduction, sur deux conditions:

  • toucher un public dont l’exigence n’était pas encore complètement satisfaite, c’est-à-dire «non un lecteur qui lit, mais qui relit le poème». 
  • dire quelque chose de neuf. Il précisait que sur Dante «tout ayant été dit et l’inverse de tout», il appliquait dans son commentaire le concept de “nouveauté” à la modalité d’exposition plutôt qu’au contenu proprement dit, et pour cela proposait à son lecteur éclairé «quelques hypothèses qu’il n’avait pas envisagées.»

Pour le choix du texte, après de longues et précises explications, sur diverses variantes possibles, il expliquait en philologue qu’il avait retenu le texte établi par Giorgio Petrocchi, dont il n’avait pas modifié une virgule, pour une raison plus morale que juridique. Il ne lui semblait pas «correct de modifier le travail d’autrui sans une prise de position cohérente et générale présentant une nouvelle hypothèse.

Seule modification qu’il s’autorisa, s’appuyant sur les travaux du linguiste Arrigo Castellani, celle concernant la graphie se’: 

[elle] est objectivement erronée, car dans le florentin en usage au XIIe et au début du XIIIe siècles [on employait pour] la deuxième personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe être [essere] et non pas sei.

Ces quelques détails pour montrer la perte, que représente pour la famille des amateurs de Dante, la disparition du professeur Saverio Bellomo. 

Notes

  1. Le titre complet est: Dizionario dei commentatori danteschi. Esegesi della “Commedia” da Iacopo Alighieri a Nidobeato, Olschki, Florence, 2004. 
  2. Inferno, coll. Nuova raccolta di classici italiani annotati, Einaudi, Torino, 2013. 
  3. On trouvera une biographie et un bibliographie plus complète sur le site de la Società dei Filologi della Letteratura Italiana [Sfli]

Photo: D.R.

 

Sans gravité

Sans gravité

Décidément, Dante et sa Divine Comédie sont une inépuisable source d’inspiration pour les artistes contemporains. C’est encore le cas avec la trilogie Dall’inferno al Paradiso i viaggi dell’anima créée par la No Gravity Dance Company du chorégraphe Emiliano Pellisari. 

Ce spectacle créé depuis déjà quelques années tourne régulièrement sur les scènes italiennes et européennes. Les spectateurs français ont déjà eu la possibilité de le voir à plusieurs reprises, en région parisienne et aussi en régions. Une mini-tournée italienne vient de s’achever en Italie, à Pavie, l’occasion de se remettre dans l’œil cette magnifique et étonnante chorégraphie où les danseuses et les danseurs semblent défier la gravité. 

La bande annonce du spectacle, pour le plaisir des yeux:

Monumento all’Inferno, une installation d’Emilio Isgrò

Monumento all’Inferno, une installation d’Emilio Isgrò

Dante a les yeux bandés; il ne peut plus lire. Il est assis devant un livre ouvert dont le texte a été maculé et dont seuls quelques lambeaux de phrases sont encore visibles : «In mezzo del cammin», «fu la paura», «tu che sol per cancellare scrivi». C’est à Milan, dans le hall de l’Université Iulm [Libera Università di Lingue e Comunicazione], qu’a été inaugurée Monumento all’Inferno, l’installation d’Emilio Isgrò. Cet artiste est connu pour son travail sur « l’effacement » [cancellatura], 

Dans une interview sur la chaîne de l’université, il explique que cette œuvre a pour origine une réflexion sur le monde de la communication. Pour lui,

Le monde de la communication est un monde véritablement infernal, dans le sens où les informations au lieu d’être des éléments de liberté et de libération sont devenues une source de doute, mais non de doute cartésien qui amène à la liberté et à la vérité des choses, mais en quelque sorte au chaos.

Par un curieux hasard, note Giovanni Puglisi, le président de l’Iulm, cette œuvre est installée, en mars 2018 à mi-chemin «entre les 750 ans de la naissance [du poète], en 2015, e les 700 années de sa mort, en 2021»; quelque part nous sommes toujours «nel mezzo del cammin di nostra vita».

Notes :