Est-il possible de faire un spectacle destiné aux sourds et aux mal-entendants et en même temps aux entendants ? Est-il possible de faire que ce spectacle soit compréhensible et agréable pour deux publics aussi différents ? Et pour corser le tout, est-il possible de réaliser ce spectacle à partir de l’Enfer de Dante, un texte connu pour sa beauté, mais aussi pour sa complexité. C’est de ce défi magnifique qu’est né Con Voce Nuova – L’Inferno di Dante.
Ce spectacle de théâtre et de danse est né de la rencontre entre Filippo Calcagno, un acteur sourd qui travaillait sur un monologue en langue des signes de l’Enfer, et du metteur en scène Alessio della Costa. L’idée leur est venue de produire un spectacle qui ne soit pas réservé aux seuls sourds mais auquel un public « d’entendants » pourrait aussi trouver plaisir à assister.
La base du spectacle est née du travail de Filippo Calcagno qui utilisait pour traduire et exprimer la poésie de Dante un langage complexe basé sur la langue des signes mais engageant l’ensemble du corps. Il s’enrichit avec la présence de deux danseurs, et de deux récitants. Ces derniers explique Alessio della Costa ne devaient pas être sur scène car «les spectateurs auraient vu bouger leurs lèvres sans rien entendre», comme il l’expliquait au Corriere del Trentino.
Ce spectacle qui a été créé à Trente à l’automne 2017, est donc repris le dimanche 18 mars à la Fabbrica del Vapore à Milan.
Pour plus de détails le site d’EmitFlesti , et la vidéo ci-dessous donne une idée du spectacle:
L’idée est de ces folies qui semblent irréalisables. Et pourtant, Ghislaine Avan est en passe de réussir un projet —son projet— qui en 2006 tenait du rêve : faire lire par des milliers de personnes sur les cinq continents la Divine Comédie.
À ce jour 2000 personnes ont été filmées, et un premier montage de cette immense fresque vivante a été réalisé. Il sera projeté le mardi 13 février 2018 à Florence (au Centro Congressi al Duomo)
Mais ce n’est qu’une première étape. Le projet final de la « LA du Monde » est la réalisation film reprenant les cent chants de la Divine Comédie —donc lus par des milliers de personnes—, qui sera diffusé grâce à une « installation » dans cent salles à travers le monde, le 14 septembre 2021, jour du 700e anniversaire de la mort de Dante.
Pour la troisième fois, La Divina Commedia Opera Musical est jouée. Cette œuvre, inspirée de celle de Dante a été créée, il y a plus de dix ans, en 2007. Elle avait déjà été reprise une première fois en 2010-2011 avant donc cette troisième saison.
La Divine Comédie est un opéra de la vie, de l’histoire, de l’amour divin et charnel, riche de personnages inoubliables. Le transformer en un « véritable » opéra pourrait sembler un jeu d’enfant. Il n’en est rien. Tout est piège dans une adaptation. Par exemple, quelles scènes retenir dans une poésie qui en compte tant? Comment respecter la progression d’une histoire qui se déroule dans trois « règnes » successifs, l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis? Quels personnages clés choisir par le millier que compte l’œuvre de Dante? Et puis il y a le texte; sa seule lecture demande plus de 24 heures. Comment le respecter dans un spectacle de deux heures?
Mais difficile ne veut pas dire impossible. Tous ceux qui ont lu le poème ont été touchés par certaines figures, comme Francesca et son impossibile amour avec Paolo, Ulysse le voyageur qui périt après avoir défié la volonté divine, Caton l’intransigeant gardien de l’entrée du Purgatoire, ou encore Pier delle Vigne, le conseiller de l’empereur Frédéric II que le suicide a transformé pour l’éternité en buisson harcelé par les harpies.Sans oublier les trois « guides » de Dante tout au long de son voyage: Virgile, Béatrice et Saint Bernard. Autant de figures qui sont autant de scènes mémorables. Qui n’a jamais imaginé cette forêt « âpre et sauvage » sur laquelle s’ouvre la Comédie où erre Dante, qui a perdu « la voie droite » ? Ou encore ce château où la « Pia » perdit la vie?
Le scénographe et auteur italien Gianmario Pagano s’est inspiré du texte de Dante pour écrire le livret de cet Opéra, la musique étant l’œuvre de Marco Frisina, un prêtre auteur de nombreuses musiques religieuses.
La vidéo de promotion, ci-dessous, donne une idée du spectacle.
Pour plus de détails voir le siteLa Divina Commedia Opera Musical. On y trouve en particulier les dates des représentations, sachant qu’après Rome (en janvier) cet opéra sera à Naples en février, puis à Milan et Bari en mars.
Les aiguilles de pin font un doux tapis sous les pieds des marcheurs. Des oiseaux chantent dans le lointain. L’air est doux. La Pinède de Ravenne a conservé ses airs de Paradis. Cette même pinède que chante Dante lorsqu’il découvre l’Eden terrestre… «per la pineta in su ‘l lito di Chiassi»… Mais c’est toute la Romagne qui sera pour le poète un paradis, celui de l’inspiration, et aussi sans doute un enfer, celui de l’exil.
Au printemps1302, Dante est un paria. Sa première condamnation à l’exil de janvier 1302 a été renouvelée et aggravée le 10 mars. Désormais les portes de sa chère Florence lui sont fermées. Certes, il n’est pas encore devenu ce «navire sans voile et sans gouvernail» qu’il décrit dans son Convivio (1). Celui qui va «par toutes les régions où l’on parle la présente langue [la langue vulgaire] errant, quasi mendiant, (…) montrant contre mon gré les blessures reçues de la Fortune, qui sont souvent injustement imputées à celui qui en souffre». Cela ce sera dans quelques années. Pour l’instant, il ne s’avoue pas encore vaincu et espère retrouver sa ville peut-être la négociation, plus sûrement par la force des armes.
Désormais, lui, l’ancien « prieur » de Florence, le conciliateur entre les différents partis est devenu —de force— un partisan. Réfugié dans un premier temps à Arezzo il a rejoint l’Universitas Partis Alborum de Florentia où se regroupent les exilés guelfes blancs florentins. Il y occupe un rôle important comme membre du Conseil des douze [Consiglio dei dodici] qui la dirige.
Tous contre les guelfes noirs
Cette Università a signé un accord avec les anciens ennemis gibelins de Florence. Dans cette lutte « de tous contre les guelfes noirs », Dante côtoie maintenant des gibelins qu’il a combattu comme Lapo degli Uberti. Celui-ci est le neveu de Farinata degli Uberti, un condottiere qui infligea une cuisante défaite aux troupes guelfes de Florence lors de la bataille de Montaperti en 1260. On retrouve ce même Farinata au Chant X de l’Enfer, dans le cercle des Hérétiques; «… Vedi là Farinata che s’è dritto…» et auquel Dante souhaite que sa descendance, sa lignée —et donc Lapo— se “repose un jour”: «Deh, se riposi mai vostra semenza…», indiquant par là que les vieilles rancunes peuvent s’éteindre.
Depuis déjà quelques dizaines d’années, l’Italie est l’enjeu d’une féroce bataille politique au cœur de laquelle s’oppose en un combat idéologique et théologique l’Empereur et le pape; s’y superpose la question plus pragmatique (mais liée) de l’indépendance des territoires du Saint Siège, qui sont cernés au Nord et au Sud par le Saint Empire Romain Germanique. Cette lutte oppose donc les gibelins, partisans de l’Empire, et les guelfes acquis à la papauté. À Florence, s’ajoute une fracture supplémentaire: les guelfes se sont eux-mêmes divisés en « noirs », que l’on peut caricaturer comme étant les membres de la vieille aristocratie, et « blancs » représentants les nouveaux milieux d’affaires et partisans d’une république indépendante.
À la fin du 13e siècle, au moment où Dante est dans l’action politique, les « noirs » se sont rangés derrière le pape Boniface VIII, qui a obtenu l’appui du roi de France, Philippe le Bel. Il envoie en Italie son frère, Charles de Valois. Ce dernier va précipiter la victoire des guelfes noirs à Florence en 1301, et donc l’exil de Dante.
En parallèle, fort de son titre de « vicaire pontifical », Charles de Valois a nommé à Forlì un vicaire pour la Romagne, Rinaldo da Concorrezzo. Le 1er septembre1302, ce représentant du pape est agressé et gravement blessé lors d’une messe.Il doit s’enfuir de la ville chassé par la population.
Dante cherche l’appui de Scarpetta degli Ordelaffi, seigneur de Forlì contre Florence. Tableau de Pompeo Randi, 1854.
Derrière cette manœuvre, un homme, le gibelin Scarpetta degli Ordelaffi, qui en profite pour asseoir son pouvoir sur la ville. C’est ce Scarpetta —un gibelin!— qui va héberger Dante et ses compagnons d’exil; c’est lui qui prendra la tête d’une armée rebelle composée de guelfes blancs et de gibelins pour tenter de reprendre Florence. Mais ces tentatives seront de cuisants échecs, et très bientôt Dante abandonnera la partie et continuera son chemin seul.
Les fleuves de la Romagne coulent dans toute la Comédie
De ce moment, Dante séjournera à de longues reprises en Romagne jusqu’à sa mort à Ravenne en 1321. Ces séjours lui permettront de nourrir sa Comédie en images, en personnages, en événements et en faits, comme le dit si bien John Larner dans Signorie da Romagna:
Les fleuves de la Romagne coulent dans toute la Divine Comédie: le Santerno, le Lamone, le Savio et le Montone qui se précipite bruyamment à travers les montagnes au dessus de San Benedetto. Dans ses pages les anciens Romagnoli, la petite noblesse citadine, les bandits des hauts cols apennins, les seigneurs corrompus, deviennent tous immortels. (2)
La cascade de l’Acquacheta longuement décrite dans le Chant XVI de l’Enfer – Photo cc Pederzoli Valter
Dante dans sa Comédie s’improvise guide des chemins de la Romagne, décrivant de nombreux lieux comme la Pinède de Ravenne ou La Cascata dell’Acquacheta chi «rimbomba la sovra San Benedetto/ de l’Alpe per cadere ad una scesa/ ove dovea per mille esser recetto; » [“gronde là au-dessus de San Benedetto / pour tomber des Alpes en une cascade / alors que mille y avaient place;”] (3)
Dante fut, par son rôle dans l’Università, au début de son exil proche des centres de décision de l’alliance « guelfes blancs et gibelins ». À cette période, explique Marc Santagata, « il avait des contacts étroits avec la famille des Guidi di Romena (…) et aussi des rapports avec Oberto et Guido, fils de Aghinolfo [di Romena] (…) Oberto, de fait, était l’époux de Margherita, fille de Paolo de Malatesta, l’amant de Francesca» (4)
C’est donc de « première main » que Dante put recueillir ces histoires « de famille » qui rendent sa Comédie si vraie. Par exemple Guido et ses frères avaient été responsables de l’arrestation de Maître Adam, un faussaire qui fabriquait de faux florins, et sera brûlé vif pour son crime. Ce personnage se retrouve au fond de l’Enfer, au Chant XXX.
Dante côtoya également des témoins très proches du drame qui frappa les familles Malatesta et da Polenta, lorsque Giancotto tua son épouse Francesca et son propre frère Paolo. Une tragédie qui inspira au poète l’un des plus beaux et bouleversants passage de sa Comédie. On y voit les deux amants malheureux tournoyer pour l’éternité dans les vents de l’Enfer. Dante n’utilise que les seuls prénoms, et s’abstient de nommer les familles auxquels ils appartenaient. Il ne faut sans doute pas y voir une prudence particulière; les familles concernées —Malatesta, da Polenta, di Ghiacciuolo— étaient parmi les plus puissantes et les plus riches de la région, et le drame connu de la population. Mais cette histoire permet de montrer les liens étroits et complexes qui unissaient les familles nobles entre elles, comme l’illustre le tableau ci-dessous. Un écheveau qui nous paraît aujourd’hui complexe mais que Dante devait lire à livre ouvert comme un spécialiste le fait avec les familles royales européennes contemporaines.
– [arbre généalogique dressé par Paget Toynbee dans son Dictionnary of proper names and notables matters in the Works of Dante, Clarendon Press, Oxford, 1898, Table XXVII, p. 589 – Paolo a eu une fille et un fils et non « two sons » comme indiqué par erreur – N’ont été enrichis que les membres de la famille dont Dante est susceptible d’avoir eu connaissance.]
Mais si cet arbre généalogique rappelle les « alliances » des Malatesta, il ne raconte pas les guerres qui opposèrent les villes entre elles, les familles entre elles, voire les membres des familles entre elles. Gabriele Zelli rappelle opportunément que Dante «disait à propos de la Romagne: “Romagna tua non è, e non fu mai/ sanza guerra ne’ cuor de’ suoi tiranni…”[ta Romagne n’est, et ne fut jamais,/ sans guerre dans le cœur de ses tyrans”].» Il poursuit: «Une citation nécessaire quand on parle de notre terre entre 1200 et 1300, durant cette phase qui amena la chute définitive des institutions communales et les régimes seigneuriaux s’imposer pour diriger les communautés, qui devenaient les « affaires privées » des familles hégémoniques et d’oligarchies sans cesse plus restreintes.» (5)
La disparition de l’amour courtois ?
Ces guerres incessantes, cette course au pouvoir transforma-t-elle la vie des cours de Romagne? Dante le sous-tend dans le très mélancolique chant XIV du Purgatoire. Lui, le poète héritier des troubadours provençaux évoque la disparition de l’amour courtois, par la voix d’un noble romagnol, Guido del Duca: «le donne e ‘ cavalier, li affanni e li agi/ che ne ‘nvogliava amore e cortesia/ là dove i cuor son fatti sì malvagi.» [« les dames et les chevaliers, et les tourments et les plaisirs/ qui donnaient envie d’amour et de courtoisie/ là où les cœurs se sont faits si mauvais. »]
Cette terzina est plantée en plein cœur d’une longue litanie où sont égrenés les noms de familles nobles de Romagne. Ce ne sont pas les « grands » (Malatesta, da Polenta, etc.); Il en a déjà été question au Chant XXVII de l’Enfer. Ici, au Purgatoire, dans un effet de miroir déformé il s’agit des « petits », seigneurs de modestes bourgs, de petites villes. Ils représentaient pour Dante, une sorte d’idéal aristocratique. Mais et c’est toute la nostalgie de ce passage, les corruptions, les crimes, les lâchetés, la perte de cette « virtù » qui signe la vraie noblesse pour Dante… font qu’il est préférable que ces familles s’éteignent faute de descendance. «Ben fa Bagnacaval, che non rifigli…»[“Bagancaval fait bien, il n’enfante plus“], dit Guido del Duca.
Une nostalgie d’un temps passé et idéalisé qui n’est pas sans rappeler celle qu’il nourrissait envers sa chère Florence…
Notes
Il Convivio [le Banquet], Livre premier, chapitre III, pp.188-189, texte traduit par Christian Bec, in Dante, Œuvres complètes, Le Livre de Poche, 6e édition, 2013
Cité par Gabriele Zelli in Dante e la Romagna, publié le 25 décembre 2017 sur le site 4live.it
La Divine Comédie, l’Enfer, Chant XVI, 94-102
Dante: Il romanzo della sua vita, Ebook, La Scie, Mondadori, Milan,2012. Précisons que Guido était très probablement déjà mort lorsque Dante fut exilé, mais en revanche il est certain qu’il a connu ses frères.
Parcourir l’Italie à son rythme, que ce soit à pied, en VTT, voire à cheval c’est possible. Il existe même un site, Cammini d’Italia, qui recense 40 itinéraires et parmi eux on trouve le Cammino di Dante [le Chemin de Dante], une grand boucle de presque 400 kilomètres à travers la Toscane et l’Emilie-Romagne, avec Ravenne comme point de départ et d’arrivée.
Le circuit est organisé autour d’une vingtaine d’étapes, qui sont autant de lieux où a séjourné Dante, en particulier pendant son exil, et d’autres qui ont inspiré sa poésie. Par exemple à Forlì, dont la résistance aux troupes françaises en 1282 est racontée dans le Chant XXVII de l’Enfer [«La terra che fé già la lunga prova / e di Franceschi sanguinoso mucchio…» — “La terre qui soutint autrefois la longue épreuve / et du Français fit un monceau sanglant…”] ou encore à côté de cette cité la « cascade d’Aquacheta » qui est également citée —au Chant XVI de l’Enfer— par Dante et lui permet d’illustrer la force de la cascade qui alimente le Phlégéton.
Ce « chemin » suit souvent les anciennes routes étrusques et romaines, qui reliaient à l’époque de Dante la Toscane à la Romagne le long des lignes de crêtes. Il est pensé pour que les randonneurs rencontrent le moins de routes asphaltée possible. Les étapes ne sont pas très difficiles, en tout cas à la portée d’un marcheur moyen [20 km en moyenne].
Les possibilités d’hébergements sont relativement nombreuses, mais comme le chemin est un peu éloigné des circuits touristiques classiques, il est préférable de réserver ses haltes à l’avance et donc de s’inscrire auprès de l’association Il Cammino di Dante qui a établi une carte détaillée [una cartoguida] du parcours et permet d’obtenir une Credenziale pour bénéficier de réductions auprès des auberges et des restaurants conventionnés.
Les sites utiles
Il Cammino di Dante, le site officiel de l’association, où l’on peut obtenir la Cartoguida et la Credenziale. (site en italien et en anglais)
Cammini d’Italia, le site de la Direction Générale du Tourisme, qui recense 40 parcours dans toute l’Italie dont celui de Dante. (site en italien et en anglais)
Commenter et lire deux chants de La Divine Comédie devant un public d’ouvriers et d’employés, dans leur réfectoire, l’idée peut paraître étrange. Elle peut le paraître encore plus, lorsque les organisateurs affirment que les textes choisi, les Chants XXI et XXII de l’Enfer sont d’une brûlante actualité.
C’est pourtant ce pari qu’ont tenté et réussi, la Spi-Cgil¹ et la Fiom², deux syndicats italiens. Deux jeunes acteurs Elena Galvani et Jacopo Laurino³ assuraient ce spectacle auquel ont participé une centaine de salariés de Sea Camper, une entreprise spécialisée dans l’aménagement de camping-cars, installé à Motone, une petite localité située près de Pérouse, le mardi 7 novembre.
Pour mettre toutes les chances de succès de leur côté, les organisateurs avaient pris quelques précautions. Les premières étaient justement de quitter les lieux de culture classique comme les théâtres, pour aller à la rencontre d’un public différent, et de sous-titrer les terzine de Dante en italien moderne pour un public qui n’était peut-être pas familier avec la langue du Sommo Poeta.
Le choix des chants retenus et donc de la thématique que cela sous-tendait était tout autant important. Patrizia Vedremo, secrétaire de la Lega Spi Cgil expliquait «nous avons voulu porter la poésie et les concepts de Dante dans une usine, car la poésie fait partie de la vie et Dante de notre histoire, et aussi parce qu’avec la poésie, même si elle complexe, il est possible de mieux comprendre aujourd’hui» [in Rassegna Sindacale].
Dans les Chant XXI et XXII nous sommes au cinquième cercle de l’Enfer, avec les « barattieri« , c’est-à-dire les responsables publics et des politiques corrompus. Un thème qui ne peut que faire écho à la réalité de l’Italie contemporaine, où les scandales de corruption s’enchaînent.
Dante plongent ces damnés dans une poix bouillante et collante aussi épaisse que celle utilisée par les Vénitiens pour calfater la coque de leurs navires. Les fraudeurs doivent s’y tenir cachés sous peine d’être écorchés et déchiquetés par les Malebranche, une bande de démons tous plus pittoresques —et terrifiants— les uns que les autres.
Ces deux chants sont l’objet d’innombrables exégèses, mais on ne peut ignorer leur singularité. Ici point de « célébrités », point de héros de l’Antiquité. Nous avons à faire, si l’on peut dire, à des « corrompus ordinaires ». D’ailleurs, le terme barattieri possède une double signification:
Il est synonyme, explique Saverio Bellomo (4), de « ribaldo » [que l’on peut traduire par grivois, paillard]. Il caractérise «une catégorie de personnes de basse condition sociale qui vivent d’expédients, d’escroqueries et surtout de jeux de hasards et qui font des besognes traditionnellement considérées comme déshonorantes, comme le transport de cadavres et les exécutions».
Il s’utilise aussi pour définir les fonctionnaires corrompus qui font commerce de la chose publique pour des intérêts privés.
Ce terme renferme donc à lui seul le ton de dérision que veut donner Dante à ces chants. Il adopte dans les descriptions, dans les situations qu’il campe, dans le style qu’il adopte un ton délibérément comique voir trivial. Le dernier vers du chant XXI en est spectaculairement illustratif :
ed elli avea del cul fatto trombetta.
[Et lui de son cul il avait fait une trompette.]
Pour camper les « Malebranche » Dante reprend la figure traditionnelle et populaire du diable ailé et armé de sa fourche. Il va les placer, eux qui sont censés incarner l’autorité de la justice divine, dans des situations ridicules: ils se font duper par les barattieri, se battent entre eux, tombent eux aussi par maladresse dans la poix bouillantes… On sent que Dante prend ici une douce revanche sur ses accusateurs florentins, ceux qui l’ont condamné à l’exil pour… baraterria.
Notes
La Confederazione Generale Italiana del Lavoro (Cgil) est le plus ancien et plus important syndicat italien. Le Sindacato pensionati italiani (Spi) regroupe les retraités et est affilié à la Cgil.
La Federazione Impiegati Operai Metallurgici – Fiom [Fédération des Travailleurs de la Métallurgie] est une branche de métier affiliée à la Cgil.
Elena Galvani et Jacopo Laurino ont fondé leur compagnie théâtrale, le Stradanova Slow Theatre.
Inferno, a cura di Saverio Bellomo, Enaudi, Torino, 2013, page 333.