Cronaca, Livres
En ces temps de confinement aigu en Italie comme en France, L’italia di Dante de Giulio Ferroni est une fenêtre grande ouverte bienvenue sur le voyage et le plaisir de la découverte et de la rencontre.
Au premier abord, l’objet impressionne au point que l’on hésite à l’ouvrir: sept centimètres d’épaisseur, plus de 1200 pages… Puis on feuillette les premières pages et… le charme agit. Le voyage peut commencer.
Avant de s’engager sur le chemin, le lecteur à un moment de flottement. Faut-il se plier à l’itinéraire proposé et donc commencer par Naples et terminer par Florence vu de l’Uccellatoio? Est-il préférable de privilégier un circuit et donc partir directement “à travers le sud du Lazio et du Sannio”, aller dans les “Pouilles” ou en “Ombrie” ou encore en “Sardaigne” à moins de parcourir le littoral de la mer Tyrrhénienne…? Faut-il privilégier le hasard et choisir de manière aléatoire “Caprona, “La Pietra di Bismontova» ou “Il gallo di Gallura” parmi les quelques 230 destinations?
Un voyage qui dura trois années
Chacun choisira, mais qu’il sache qu’il sera en bonne compagnie. Notre guide pour ce voyage en Italie est Giulio Ferroni, professeur émérite à la Sapienza de Rome, spécialiste de la littérature italienne classique comme contemporaine. Il nous entraîne dans un éblouissant voyage philosophique, intime et personnel, sentimental, littéraire, et physique. En effet, le voyage qu’il nous propose fut réel. De 2014 à 2016, il a parcouru à pied, en train et en voiture la péninsule à la recherche des lieux évoqués par Dante.
L’ambition de sa quête est dévoilée dans l’introduction, lorsqu’il écrit qu’il entendait visiter
les lieux d’Italie, de cette Italie que j’ai traversée et vue tout au cours de ma vie, avec sa beauté et sa décadence; lieux de la vie et de la poésie, dont la cohérence et l’habitat lui-même se sont conjugués dans tant de poésie et de littérature, qui les ont touchées au fil du temps, qui ont interrogé leur caractère, qui les ont fait connaître, comprendre, aimer. Lieux que Dante a directement connus et touchés au cours de sa vie ou dont il a seulement entendu parler ou sur lesquels il a lu, mais dont il sait quoiqu’il en soit faire percevoir toute la concrète et persistente réalité.
Rien d’étonnant à ce que la première étape de notre «mentor» et «auteur» contemporain ait été Naples. Certes, la ville est «peu présente dans l’expérience et dans l’œuvre de Dante», mais c’est ici que se trouve la tombe de Virgile, celui qui fut le guide du Sommo poeta dans l’au-delà.
La “méthode Ferroni”
Ce lundi 14 avril 2014, Giulio Ferroni est donc à bord de la Freccia Rossa qui file vers Naples. Il s’amuse à faire un peu de numération autour du 14 et des chiffres pairs, puisque la date est le 14-4-2014. Il joue: «Si je fais la somme de tous les chiffres (1+4+4+2+0+1+4) j’obtiens un beau 16, carré de 4, qui donne une impression de rondeur et de scansion…». Mais le jeu s’arrête lorsqu’il remarque que cette numération binaire est «en tout point opposée à la [numération] dantesque, à base ternaire, avec ses 3, ses 9 et ses 33, ses diversions vers le 7, le résultat final étant 100.»
La “méthode Ferroni”, celle qui fait tout le charme du livre, est en place dès les premières lignes. Rien de linéaire dans le récit; tout n’est qu’association d’idées, plongée dans la culture italienne, espace ouvert au hasard, mouvement et poésie. Mais pour l’instant, restons à Naples.
A peine sorti du train, Giulio Ferroni monte dans une voiture dont le chauffeur, qui visiblement exerce en parallèle et simultanément le métier de téléphoniste, l’amène au pied du Parco virgiliano. Une visite a priori décevante car la tombe elle-même dissimulée dans une galerie est aujourd’hui inaccessible. Mais au fond est-ce vraiment important semble nous dire notre guide et l’essentiel n’est-il pas ailleurs? Par exemple dans la présence d’autres poètes. Physiquement, si l’on peut dire avec la tombe (monument national!) de cet autre immense poète italien qu’est Giacomo Leopardi, laquelle se trouve également dans ce Parco virgiliano. Au sommet du parc, contemplant le panorama de Naples, «cette grande capitale déchue et délabrée», G. Ferroni ne peut s’empêcher de clamer son amour pour cette ville «belle et violente, intelligente et ignorante, ornée et dégradée». Et d’ajouter
trop de choses à Naples semblent souvent si loin de Virgile, de Dante et de Leopardi: pourtant dans ce lieu il me semble retrouver l’esprit de ces trois poètes, fraternels dans leur inconcevable grandeur.
«Difficile d’imaginer l’apparition d’une Matelda»
La magie poétique n’opère malheureusement pas à toutes les étapes. Par exemple c’est la déception qui domine la visite de la Pineta di Classe. Cette forêt de pins proche de Ravenne inspira —dit-on— Dante pour sa description du paradis terrestre (Le Purgatoire, Chant XXVIII, v. 7-21). Trouver la pinède au milieu de l’entrelacs des routes —la Romea, l’Adriatica,…— lui semble déjà bien difficile, et il doit s’arrêter dans un café pour demander à un groupe de cyclistes son chemin. Lorsqu’il trouve enfin le parcours Le Quercie di Dante (Les chênes de Dante) tracé dans la forêt, il se réjouit d’abord de la diversité des arbres qu’il rencontre. À côté des pins, il note «un enchevêtrement de buissons et d’autres plantes méditerranéennes». La déconvenue est ailleurs. Bien que Giulio Ferroni soit venu à l’aube («ne l’ore prime»), le bruit provoqué par la circulation routière et par les activités humaines couvre le chant des augelletti (oiseaux). Dans ces conditions, «difficile d’imaginer, écrit-il, l’apparition d’une Matelda.»
L’ambiance est toute autre à San Giovanni in Fiore. On y trouve l’abbaye Florense où se retira l’abbé Gioacchino da Fiore à la fin du XIIe siècle. Cet abbé —plus exactement la lumière qui abrite son esprit— apparaît au Chant XII du Paradis (v. 139-141) aux côtés de saint Bonaventure, qui loue son “esprit prophétique” («di spirito profetico dotato»). La pensée de Gioacchino alimentera un important courant mystique tout au long des XIIIe et XIVe siècles, qui flirtera dangereusement avec l’hérésie.
L’esprit de prophétie
Mais souligne Giulio Ferroni, il convient de distinguer ce spirito profetico de celui qui anime La Divine Comédie de Dante. Certes, on trouve dans l’œuvre du poète toscan une «espérance radicale de renouvellement, de conversion universelle du mal en bien, une projection générale vers l’avénement futur.» Mais en aucun cas Dante ne prétend être un prophète:
Il sait très bien que son voyage dans l’autre monde n’a pas eu lieu, que ce n’est pas une vision mais un songe poétique, l’invention d’un monde qui est le fruit d’expériences personnelles, de sa culture littéraire et philosophique, de sa foi religieuse, de ses espérances politiques et de son aspiration à l’absolu, et de l’identification de soi avec le cosmos. Pour ces raisons ses prophéties ne peuvent pas rester indéterminées: exactement à l’opposé de celles qui se dégagent des œuvres de Gioacchino da Fiore, qui culminent dans le dessein de la venue prochaine de l’ère de l’Esprit Saint.»
Nous sommes loin d’un « Guide du Routard de Dante” avec ces réflexions qui nourrissent le voyage de Giulio Ferroni. L’étonnant —et l’une des réussites du livre— est la facilité désarmante avec laquelle l’auteur passe d’une remarque philosophique ou théologique à des considérations terre à terre sans pratiquement de transition: «J’ai atteint le flanc droit de l’église, qui possède en hauteur une grande et simple rose avec six corolles, avec trois autres plus petites à quatre corolles», écrit-il pratiquement immédiatement après ses réflexions sur le spirito profetico.
«Des noms qu’il est juste de retenir pour ce voyage dantesque»
Puis apercevant une “residenza assistita” —une maison de retraite— installée dans la Villa Florensia qui lui semble très hospitalière et devant laquelle sont assis quelques personnes âgées, un souvenir personnel revient à sa mémoire:
Je me souviens d’une visite que je fis lors de mon premier voyage en Calabre en 1966: pour voir l’église de l’abbaye il fallait alors traverser une grande salle de ce qui, à l’époque, se présentait simplement comme un hospice pour les personnes âgées, une pièce sombre et glacée, bien que l’on soit en été, dans laquelle étaient assis, dans une mélancolie triste et sinistre, des dizaines de vieux mal habillés, qui semblaient abandonnés à eux-mêmes.
Son regard est ensuite attiré par une plaque qui rappelle un événement qu’il ignorait: un massacre eut lieu le 2 août 1925 à San Giovanni in Fiore. Les carabiniers et les membres de la milice fasciste tirèrent sur la foule qui protestait contre un impôt sur le blé, faisant cinq morts: quatre paysans —Filomena Marra, 27 ans (qui était enceinte de cinq mois), Barbara Veltri, 25 ans, Antonia Silletta, 33 ans, Marianna Mascara, 73 ans— et Saverio Basile, un forgeron qui avait 33 ans. Ce drame lui inspire une notation désabusée:
Encore des noms de personnes sans histoire, inconnues et oubliées, qu’il est juste de retenir, pour ce que cela vaut, dans ce voyage dantesque.
Ce voyage en compagnie de la poésie de Dante n’est pas seulement géographique. Il se fait aussi dans l’épaisseur du temps, non dans l’histoire du bel paese dans son entier et sa globalité mais dans les histoires particulières de tous ces lieux auxquels Dante avait donné vie, de leurs habitants, et qui ressuscitent quelques sept siècles plus tard, transformés, différents ou parfois si semblables sous le regard et la plume de Giulio Ferroni.
Ainsi cette scène non loin du Monte Pisano. C’est sur ces collines que dans son mauvais rêve prémonitoire («mal sonno») le conte Ugolino situe la chasse menée par son ennemi l’évêque Ruggieri après un loup et des louveteaux (l’Enfer Chant XXXIII, v. 1-78). De la route, G. Ferroni aperçoit la façade très simple, peinte en jaune, d’une maison. C’est là qu’est né Francesco di Bartolo en 1324, plus connu sous le nom de Francesco da Buti, l’un des premiers commentateurs de Dante, sans doute l’un des plus solides et certainement l’un des plus cités.
Parcourant ensuite les ruelles de ce petit village, l’auteur de L’Italia di Dante remarque
que de nombreuses maisons ont leurs portes ouvertes, protégées de ces rideaux de baguettes ou de fils de tissu ou de plastique, qui font penser à une Italie de la moitié du XIXe siècle
Bref, on a envie d’y aller voir, de parcourir à notre tour les routes de l’Italie pour nous rendre sur ces lieux que quelques mots, quelques vers de Dante suffisent à nous rendre réels. Et à notre tour rêver sur l’abîme du temps, qui nous sépare de l’époque du Sommo poeta, de le mesurer et de le toucher.
- L’Italia di Dante, Viaggio nel paese della Commedia, par Giulio Ferroni, la nave di Teseo et Società Dante Alighieri. Milan, décembre 2019. (en italien)
- L’auteur, Giulio Ferroni est professeur émérite de la Sapienza de Rome. Il est l’auteur de plusieurs essais sur la littérature italienne de Dante à Tabucchi et a publié (entre autres) la Storia della letteratura italiana. (1991 et 2012)
Cronaca, Livres
L’éditeur toscan Kleiner Flug, en ces sombres périodes de coronavirus, a eu l’excellente idée d’offrir en libre accès Dante Alighieri, amor mi mosse. Cette BD, qu’il vient de publier conte l’amour de Dante pour Béatrice. Le scénario et la scénographie sont d’Alessio D’Uva, le storyboard de Filippo Rossi et les dessins d’Astrid Lucchesi.
Florence année 1274. Une petite fille est à sa fenêtre et regarde la rue animée en dessous d’elle. Une dame achète de la laine, un jeune noble frappe un mendiant par pure méchanceté… La scène d’ouverture nous plonge dans la Florence médiévale. La petite fille remarque adossé à un mur, plongé dans sa lecture, un garçon. C’est le fils d’Alighiero di Bellicionne.
Dante —on l’appelle encore Durante— est ce petit garçon attentif. Le calcul est vite fait. Né sous le signe des Gémeaux (c’est-à-dire en mai ou juin) en 1265, il vient d’avoir neuf ans lorsque débute l’histoire. Très bientôt, il va rencontrer celle qui lui inspirera l’œuvre de sa vie. Tous ceux qui ont lu La Vita Nuova reconnaîtront alors sans peine quelques scènes majeures de cette œuvre de jeunesse de Dante, comme ce rêve où il voit Amour donner son cœur à manger à Béatrice.
L’habileté du scénario est d’oublier le Dante politique, le Dante exilé pour se focaliser sur le seul Dante poète. Alessio D’Uva, le scénariste, pratique par ellipses successives. L’Enfer est ainsi balayé en quelques pages, ou plutôt concentré sur cet essentiel qu’est la rencontre avec Virgile, celui qui sera son guide dans l’au-delà comme Béatrice le lui a demandé.
Une histoire resserrée sur le seul Dante poète
On peut d’ailleurs regretter que les auteurs n’aient pas employé pour cette scène où Béatrice demande à Virgile d’accompagner Dante le texte même de La Divine Comédie, en particulier celui où elle dit :
amor mi mosse, che mi fa parlare
(Enfer, Chant II, vers 74)
ce vers étant utilisé pour le titre. Mais s’arrêter sur ce point serait pinaillage de spécialistes, car cette BD est d’abord destinée au grand public et non à un cénacle d’universitaires et c’est donc tout à fait logiquement que les dialogues sont rédigés en italien moderne.
Les auteurs ne s’attardent pas en Enfer. Tout de suite, ils nous font escalader le Purgatoire. Nous y rejoignons d’abord le poète latin Stace, avec la très belle scène de ses retrouvailles avec Virgile, le Mantouan. Puis ils nous propulsent au sommet de la montagne, au Paradis terrestre où, des années après la mort de sa bien-aimée, Dante retrouve Béatrice. Une rencontre douce, âpre et douloureuse. Mais ici, à chacun de (re)découvrir cette histoire qui s’arrête aux limites du Paradis céleste.
On l’aura compris les parti-pris du scénario, qui nous offre une histoire resserrée, la qualité du graphisme et des images, le dynamisme de la mise en page font de cette BD une belle réussite.
Dante Alighieri, amor mi mosse est donc à feuilleter sur la plateforme ISSUU jusqu’au 3 avril. Une découverte qui donne une furieuse envie de lire « pour de vrai » cette bande dessinée consacrée à Dante et à l’amour de celle qu’il a rendu éternelle, Béatrice.
Cronaca
«L’Enfer de Dante m’a inspiré depuis que je suis enfant. Il m’a appris à imaginer et à rêver.» Ce rêve, Leonardo Frigo a décidé de le rendre réel. Le projet est ambitieux puisqu’il s’agit de dessiner l’ensemble de l’Enfer sur trente-trois violons et un violoncelle. Un choix surprenant et audacieux qu’explique son parcours et sa personnalité.
Leonardo Frigo est l’un de ces —nombreux— jeunes Italiens qui ont émigré à la recherche d’une vie meilleure loin du bel paese. Le chemin de l’exil l’a donc amené à Londres, où il a installé son atelier il y a maintenant cinq ans.
En fait, ce jeune artiste possède plusieurs cordes à son arc, qui, conjuguées, lui permettent d’accomplir son grand œuvre. Diplômé en restauration d’art de l’UIA de Venise , il a aussi longuement étudié le violon et bien sûr La Divine Comédie. Ne lui restait plus qu’à acquérir les violons pour les transformer en œuvres d’art.
Une exposition itinérante à venir
Homère et son épée côté face, Méduse côté pile.
Chaque chant commence par un travail de documentation pour imaginer les personnages, les scènes, les fragments de texte qui figureront sur les différentes faces de l’instrument: sa table d’harmonie, son fond et ses flancs sans oublier le chevalet. Un travail minutieux et long, car son dessin dense, qui tient de la gravure, exige du temps. Celui-ci achevé, il ne reste plus qu’à vernir de nouveau le violon pour protéger l’œuvre. Au total, chaque violon, en prenant en compte les différentes étapes, lui demande entre quatre et cinq semaines.
Les trente-quatre chants devraient être réalisés pour le 700e anniversaire de la mort de Dante, donc achevés pour septembre 2021. Ils le seront sans doute un peu auparavant, puisque Leonardo Frigo prévoit une exposition itinérante, partant de Londres qui rejoindrait l’Italie, avec —on l’espère— une étape en France.
Cronaca
Quelle date retenir pour fixer le Dantedì, la journée consacrée à Dante Alighieri? Le gouvernement avait le choix entre la date de sa naissance, celle de son décès, ou encore une date liée à La Divine Comédie, l’œuvre maîtresse du poète. Avec le 25 mars, c’est cette dernière solution qui a été retenue.
En Italie, le 25 mars sera donc désormais consacré à Dante Alighieri. Le Conseil des ministres italien a décidé d’instituer un Dantedì pour célébrer, selon les mots de de Dario Franceschini, le ministre de la Culture, le poète florentin car:
Dante est l’unité du pays, Dante est la langue italienne, Dante est l’idée même de l’Italie
Pour l’instant les contours de la manifestation demeurent encore flous, si ce n’est qu’il s’agit «de se souvenir du génie de Dante dans toute l’Italie et dans le monde avec de nombreuses initiatives qui verront une forte participation des écoles, des étudiants et des institutions culturelles».
Cette décision du gouvernement italien n’est guère une surprise. Les partis politiques italiens avaient voté à l’unanimité le 4 novembre 2019 une motion demandant l’institution de cette journée, reprenant une idée lancée dans les colonnes du Corriere della Sera par l’écrivain Paolo Di Stefano, qui était soutenue par de nombreux intellectuels et les principales institutions culturelles du pays. Une décision nécessaire, car désormais le 700e anniversaire de la mort de Dante se rapproche à grands pas: les 13 et 14 septembre 2021, c’est quasiment demain.
Plusieurs dates étaient possibles
La seule inconnue du choix du gouvernement résidait dans le choix de la date.
La première hypothèse, en apparence évidente, aurait été de retenir le jour de naissance du poète. Malheureusement celle-ci est inconnue. La seule chose que l’on sache est qu’il a été baptisé l’année suivante, en mars 1266. On suppose qu’il est né entre le 21 mai et le 21 juin 1265 sous le signe des Gémeaux, mais ce n’est qu’un déduction. Elle s’appuie sur un passage du Chant XXII du Paradis (v. 114-117), où Dante révèle le moment où il est né: «quand’ io senti’ di prima l’aere tosco» (“quand je sentis la première fois l’air toscan”)
Giorgio Inglese veut être plus précis. Il avance très prudemment dans sa Vita di Dante «que le poète serait né à la fin du mois de mai de l’année 1265, si ce n’est le 31.» Mais l’hypothèse n’est qu’esquissée. Un autre facteur complique encore l’équation; à cette époque c’était le calendrier Julien qui était en usage et non le Grégorien qui sera créé et utilisé beaucoup plus tard. Certes, les glissements entre les deux calendriers sont faibles, mais ils sont bien réels. Au final, trop de flou et d’incertitude pour fixer une date qui ne soit pas arbitraire.
En seconde hypothèse, il aurait été possible de retenir la date de sa mort, c’est-à-dire le 14 septembre ou le 13 si l’on se fie à l’épitaphe composée par le poète et ami Giovanni del Virgilio peu de temps après la mort de Dante. Marco Santagata évoque pour sa part le 13 «après le coucher du soleil». Déjà le choix était plus précis, mais était-il possible de rendre hommage au poète florentin par un rendez-vous annuel, en célébrant sa mort qui eut lieu dans une autre ville que sa chère Florence?
Une référence à La Divine Comédie
Au final c’est un tout autre jour qui a été choisi, en référence à La Divine Comédie. Paolo Di Stefano dans l’article où il avait lancé son idée disait avoir été inspiré par le Bloomsday. Cette journée —le 16 juin— est dédiée en Irlande à Leopold Bloom, le héros d’Ulysse le roman de James Joyce. Dans le roman, il parcourt ce jour là —le 16 juin 1904— les rues de Dublin.
Mais avec La Divine Comédie, déterminer la date où «Nel mezzo del cammin di nostra vita / mi ritrovai per un selva oscura», de ce moment où Dante s’engage dans le voyage de l’au-delà, oblige à des calculs autrement complexes.
La clé se trouve au Chant XXI de l’Enfer. Une journée s’est déjà écoulée depuis le départ. Malacoda, un diable, explique alors à Dante et Virgile que la route qu’ils veulent prendre a été coupée il y a fort longtemps: «Ier, più oltre cinqu’ ore che quest’ otta, / mille dugento con sessanta sei / anni compié che qui la via fu rotta» (“Hier, cinq heures plus tard que l’heure présente, / mille deux cent et soixante six / années s’étaient passées, depuis que la route a été coupée” — v. 112-114).
Les calculs ont été faits et refaits, mais nous dirons comme le fait élégamment Enrico Malato que «des références internes au poème nous permettent de fixer le début du récit (…) au Vendredi Saint du… 8 avril 1300.» Cette date correspond parfaitement avec le calendrier astronomique de la période, puisque ce 8 avril 1300 la lune était pleine. Or, dans le Chant XX de l’Enfer, Dante précise au vers 127 que “la nuit dernière (celle où il est perdu dans la forêt) “la lune était pleine” («e già iernotte fu la luna tonda»).
Mais Il existe une autre hypothèse celle du 25 mars, pour laquelle des arguments sérieux peuvent aussi être avancés, mais dans ce cas, ajoute Enrico Malato «il s’agirait du 25 mars 1301».
Difficile de trancher si l’on s’en tient à la seule analyse de ce passage. Il est préférable d’obéir à la recommandation de Saverio Bellomio:
En raison de l’inconciliabilité entre les deux dates, il est nécessaire de retenir que le poète a imaginé une Semaine Sainte idéale en 1300 dans laquelle l’anniversaire liturgique de la mort du Christ , c’est-à-dire le Vendredi Saint, coïncidait avec cette histoire.
Le 25 mars permet de renouer avec une tradition forte
Le gouvernement pour sa part a choisi le 25 mars, écartant l’hypothèse du 8 avril, non sans avoir hésité avec la date anniversaire de la mort du Sommo poeta. Avec ce choix, il renoue avec une tradition forte.
Cette journée au Moyen Âge correspondait selon la tradition, explique E. Malato à celui de la création d’Adam et aussi de la conception et de la mort du Christ. La date est, en particulier, ancrée dans la culture florentine. Il en reste aujourd’hui des traces plus ou moins folkloriques, mais au Moyen Âge, la Semaine Sainte était un événement essentiel de la vie de la Cité: le 25 mars, jour de l’Annonciation, marquait le début de l’année florentine.
Au final, la décision du gouvernement sera emportée par un argument terre à terre mais décisif: il est plus facile d’intégrer la date du 25 mars dans les programmes scolaires, que le 14 septembre. Il est vrai qu’à partir du 25 mars 2021, le Dantedì sera inscrit dans le calendrier italien et donc célébré chaque année.
- Illustration: Dante Alighieri, détail d’une fresque de Giotto di Bondone — Chapelle du Bargello (XIVe siècle).
Cronaca, Livres
“Mal » illustrer La Divine Comédie et le revendiquer, c’est l’amusant et intriguant pari que s’est lancé Davide La Rosa. Ce scénariste de BD, qui vit à Laglio sur les rives du lac de Come en Italie, a souvent réalisé des histoires complètes, comprenant les textes et les dessins. Un jour donc, il s’est demandé, écrit-il dans la page de présentation de son projet: «Davide, pourquoi n’illustrerais-tu pas, mal, toute La Divine Comédie?».
On peut se demander l’intérêt de « mal » illustrer une œuvre qui l’a déjà été magistralement (entre autres!) au XIXe siècle par Gustave Doré. Pour anticiper cette critique, il offre deux arguments difficile à contrer:
- «Doré était un bon dessinateur et (La Divine Comédie) est facile à illustrer quand on est un bon dessinateur;
- Doré est mort.»
On le comprend, cette nouvelle édition sera très second degré. D’ailleurs, comme en témoigne ses travaux précédents dont on peut avoir un aperçu sur son blog Mullohand Drive, derrière un dessin faussement malhabile et simple se cache un humour qui peut être grinçant.
Mais fantaisie ne rime pas avec absence de sérieux. Le livre qui devrait sortir en mars 2020, contiendra le texte original de Dante en son entier, chaque chant étant illustré de trois ou quatre dessins. L’ouvrage qui comptera environ 200 pages, sera imprimé en noir & blanc.
Pour éditer sa Divina Commedia illustrata male, Davide La Rosa a lancé une opération de crowdfunding qui se poursuit encore quelques jours en ce début d’année 2020. (L’adresse se trouve sur ce lien).
Lucifer dans le Chant XXXIV de l’Enfer par David de la Rosa
- Illustration : Dante par Davide La Rosa pour son projet “La Divine Commedia illustrate male — Inferno”