Les huit ans de #DivCo

Les huit ans de #DivCo

Cela fait huit ans ce mercredi 27 mai 2020 que La Divine Comédie est publiée quotidiennement sur Twitter. Écrire un peu légèrement, le dimanche 27 mai 2012, «ce projet nécessitera une dizaine d’années avant que ne soit twitté le dernier vers du dernier chant du dernier Cantique» était sans doute une forme d’inconscience. Mais sans cette naïveté, il est probable que le projet #DivCo n’aurait jamais vu le jour.

À l’origine, l’idée était simple. Elle se voulait une expérimentation sur Twitter. Il s’agissait de publier un poème pour offrir une respiration littéraire à un réseau social qui en manquait alors cruellement. Pour attirer et retenir l’attention volatile des utilisateurs, la nécessité d’utiliser une œuvre forte s’est immédiatement imposée. La Divine Comédie, cette œuvre universelle, cet hymne à l’amour, ce poème où s’invente une langue, où se brasse la bassesse et la noblesse humaine, m’est alors apparue comme une évidence.

Nous sommes alors en 2012. Les tweets étaient limités strictement —qui s’en souvient?— à 140 signes et tout comptait: les images, les comptes que l’on citait… À l’ère des threads longs comme des jours sans pain cela prête à sourire. Ce carcan devait être la seconde raison qui m’a conduit à retenir La Divine Comédie: une terzina « tenait » dans un tweet et cela que l’on soit au début ou à la fin du poème.

Restait à condenser le hashtag. Celui des premiers tweets, se révélait trop long, bien qu’il soit plus explicite. C’est pour cela que dès le 29 mai, #divinecomedie cédait la place à #DivCo, et depuis il n’a pas changé. Voici en tout cas, exhumé de ce qui paraît (à l’ère des réseaux sociaux) un lointain passé, les deux premiers tweets:

La suite de l’histoire n’est qu’aménagements de détails avec l’événement que fut la suppression de la contrainte des 140 signes. Cette libéralité permet désormais de publier, si le sens ou la construction de la phrase l’exige, de publier deux terzine et leur traduction.

La traduction, principale évolution éditoriale du projet #DivCo

L’évolution éditoriale principale tient à la traduction. Pendant une grosse année, ce sera celle de Lamennais (disponible sur Wikisource) qui sera publiée. Mais si cette traduction est de grande qualité, elle souffre d’un défaut majeur pour le projet #DivCo: la publication du texte de Dante s’effectue terzina par terzina; la traduction doit donc par cohérence en épouser le même rythme, ce que ne permet pas celle de Lamennais.

Cette contrainte a guidé les choix de la traduction qui est proposée sur #DivCo et sur ce site. La version française suit le plus étroitement possible le texte original pour que s’établisse une correspondance forte entre les deux textes. À cette contrainte lourde, j’ai refusé d’en ajouter d’autres, à savoir une traduction rimée et “enchaînée”. Ce refus s’explique pour une raison principale: le français ne « sonne » pas, ne chante pas, comme la « langue vulgaire » de Dante. Pour s’en convaincre, il suffit de lire à voix haute quelques vers du texte original et leur traduction, et ce quelque soit la traduction! On ne retrouve pas la musaïque de Dante.

La langue joue, mais aussi la poésie. Dante, derrière son extraordinaire régularité, utilise un vers —l’hendécasyllabe— en constant et savant déséquilibre. Retrouver ce glissement constant dans notre poésie où se côtoient les très réguliers alexandrins, décasyllabes et octosyllabes est mission impossible. Se retrancher sur le vers libre est bien sûr une possibilité, mais aussi une facilité: Dante n’a pas mêlé dans La Divine Comédie rimes longues et courtes. Sans nul doute, toutes ces tentatives l’amuseraient, lui qui se jouait de toutes les métriques et était capable dans une même terzina d’écrire un vers en latin, le suivant en toscan et le dernier en provençal. 

Et puis à vouloir à toute force transposer une poésie dans une langue qui lui est étrangère le risque est grand de tordre le texte et d’en oublier qu’il faut aussi en rendre la force, l’ambiance, les scènes et les personnages qui y sont campés, la vivacité des dialogues, sans oublier le sens d’un texte où politique, philosophie et théologie se croisent et se mêlent. Certains passages du Purgatoire et du Paradis se révèlent à cet égard particulièrement périlleux. (Dans l’article Traduire, le choix de la poésie, cette réflexion était déjà présente).

Bref, la publication sur Twitter nécessitait une traduction sur mesure; ce sera la mienne. C’est celle que l’on retrouve sur ce site, qui est l’enfant du projet #DivCo. Elle n’est d’ailleurs pas achevée, car elle suit le rythme de la publication sur Twitter. Le dernier vers sera publié le 14 septembre 2021. Une manière —modeste— de célébrer le 700e anniversaire de la mort du Sommo poeta et de lui rendre hommage.

  • Ilustration: Premier portrait connu de Dante Alighieri, fresque (détail) du Palazzo dei Giudici, Florence 
  • Pour aller plus loin
    J’ai réintégré sur le site ladivinecomedie.com deux articles publiés initialement sur le blog [the] Media Trend, (ce blog est actuellement en sommeil) où j’expliquais la démarche ayant présidé à la naissance et à la poursuite du projet de publication sur Twitter #DivCo. Je n’ai corrigé que quelques fautes d’orthographe.
  • La Divine Comédie de Dante à l’heure de Twitter (publié initialement le 27 mai 2012)
  • La Divine Comédie, Twitter et le Journalisme (publié initialement le 4 janvier 2014)

 

 

Vocabolario Dantesco, un site indispensable

Vocabolario Dantesco, un site indispensable

Le site “Vocabolario Dantesco” ambitionne de publier l’ensemble du vocabulaire contenu dans les œuvres de Dante Alighieri, soit quelques 8.000 mots. En théorie, cet objectif devrait être atteint en 2021, mais pour l’instant ce dictionnaire en ligne ne contient que 800 mots. 

Pour l’instant, en ce mois d’avril 2020, ils ne sont qu’environ huit cents, sagement rangés en deux colonnes. Pour un site —Vocabolario Dantesco— qui ambitionne de publier «l’ensemble de l’héritage lexical —en latin ou en langue vulgaire— contenu dans les œuvres de Dante», ces huit cents entrées pourront paraître peu.

Un bilan intermédiaire a priori inquiétant, car au final ce sont près de 8.000 mots qui devraient constituer le corpus de ce dictionnaire en ligne. En regard de cette ambition, l’équipe des cinq rédactrices et rédacteurs attachés au projet semble bien maigre pour le mener dans les délais affichés, c’est-à-dire l’année 2021,celle du 700e anniversaire de la mort de Dante.

Mais il faut savoir dépasser ce souci temporaire, car ce dictionnaire s’enrichit continument et, pour maigre qu’il soit aujourd’hui, il se révèle déjà indispensable. En voici schématiquement le fonctionnement avec quelques commentaires, en trois captures d’écran et en prenant pour exemple le verbe accarnare.

Les mots rangés en deux colonnes

Les entrées du dictionnaire sont rangées en deux colonnes selon l’ordre alphabétique. Pour l’instant, il n’y a pas de moteur de recherche, mais lorsque le corpus sera plus riche il sera nécessaire et la mise en page devra être revue.

schede_entrees_vocabolario—dantesco

Une grande richesse d’informations

Le système de navigation par onglets est confortable et permet de bien exploiter la richesse des commentaires et des informations de chacune des entrées. Ce corpus est complété par de nombreux liens qui renvoient à d’autres dictionnaires ou ligne, créant un une belle dynamique hypertexte.

Vocabolario_Dantesco_accarnare

L’onglet Tutto/stampa rassemble en une seule page l’ensemble du contenu de chaque item. Pour rester sur l’exemple accarnare voici ce que cela donne: 

Accarnare_Vocabolario_Dantesco

Une exploration des racines de la langue italienne

Ce projet est le fruit de la collaboration de deux institutions florentines, l’Accademia della Crusca1 et de l’Istituto del CNR Opera del Vocabolario Italiano (Ovi).

L’ambition est donc de réaliser un dictionnaire contenant la totalité du patrimoine lexical contenu dans les œuvres de Dante, que ce soit en latin ou en “langue vulgaire”. Pour ce faire, ce dictionnaire analyse et décortique un lexique qui est à l’origine de l’Italien moderne. 

Les concepteurs du projet ont décidé d’utiliser comme texte de référence la version de La Divine Comédie établie par Giorgio Petrocchi, publiée en 1966 et 1967. Cette version numérisée est utilisée dans le corpus de l’Opera del Vocabolario Italiano (OVI), l’organisme qui a la charge d’établir le vocabulaire historique italien. Il publie le Tesoro della Lingua Italiana delle Orgini (TLIO) qui référence la partie la plus ancienne de la langue italienne.

Ce premier dictionnaire est donc intégré dans le Vocabolario Dantesco, auquel les rédactrices et les rédacteurs en charge du projet ajoutent les variantes déjà présentes dans l’appareil critique de la version de Giorgio Petrocchi, ainsi que celles contenues dans d’autres éditions ou qui sont le fruit de travaux individuels.

Une version papier devrait à terme compléter l’actuelle version digitale.

La Divina Commedia illustrata male

La Divina Commedia illustrata male

“Mal » illustrer La Divine Comédie et le revendiquer, c’est l’amusant et intriguant pari que s’est lancé Davide La Rosa. Ce scénariste de BD, qui vit à Laglio sur les rives du lac de Come en Italie, a souvent réalisé des histoires complètes, comprenant les textes et les dessins. Un jour donc, il s’est demandé, écrit-il dans la page de présentation de son projet: «Davide, pourquoi n’illustrerais-tu pas, mal, toute La Divine Comédie?».

On peut se demander l’intérêt de « mal » illustrer une œuvre qui l’a déjà été magistralement (entre autres!) au XIXe siècle par Gustave Doré. Pour anticiper cette critique, il offre deux arguments difficile à contrer: 

  1. «Doré était un bon dessinateur et (La Divine Comédie) est facile à illustrer quand on est un bon dessinateur; 
  2. Doré est mort.»

On le comprend, cette nouvelle édition sera très second degré. D’ailleurs, comme en témoigne ses travaux précédents dont on peut avoir un aperçu sur son blog Mullohand Drive, derrière un dessin faussement malhabile et simple se cache un humour qui peut être grinçant. 

Mais fantaisie ne rime pas avec absence de sérieux. Le livre qui devrait sortir en mars 2020, contiendra le texte original de Dante en son entier, chaque chant étant illustré de trois ou quatre dessins. L’ouvrage qui comptera environ 200 pages, sera imprimé en noir & blanc.

Pour éditer sa Divina Commedia illustrata male, Davide La Rosa a lancé une opération de crowdfunding qui se poursuit encore quelques jours en ce début d’année 2020. (L’adresse se trouve sur ce lien).

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Lucifer dans le Chant XXXIV de l’Enfer par David de la Rosa

  • Illustration : Dante par Davide La Rosa pour son projet “La Divine Commedia illustrate male — Inferno”
2019: quel bilan ?

2019: quel bilan ?

La fin de l’année est la période pour dresser les bilans et tracer quelques perspectives. Le site ladivinecomedie.com ne saurait échapper à cette règle. Il s’est en effet sensiblement enrichi au cours de l’année 2019.

Commençons, car c’est le cœur du projet, par la traduction du texte de Dante. En 2019, nous sommes entrés de plein pied dans le dernier cantique de La Divine Comédie avec la publication des Chants III à XII du Paradis. Un rythme qui devrait légèrement s’accélérer au cours de l’année prochaine ainsi qu’au cours des trois premiers trimestres de 2021. Cette traduction —et sa publication— est en effet étroitement liée au projet #DivCo qui prévoit la publication de l’ensemble de La Divine Comédie sur Twitter au rythme quotidien d’une (parfois plusieurs) terzina. Ce rendez-vous matinal, qui a été intégralement honoré depuis le début de l’aventure le dimanche 27 mai 2012, doit s’achever le 14 septembre 2021 au matin, jour où sera célébré le 700e anniversaire de la mort de Dante Alighieri.

La publication sur Twitter avec le hashtag #DivCo

Au fil du temps, cette publication sur Twitter a évolué, car le réseau social lui-même a évolué, donnant de plus en plus de place au texte (nous sommes —un changement oublié aujourd’hui— passés de 140 à 280 signes, par exemple) et à l’image. Chaque jour, la parution de #DivCo —sur le compte @mediatrend— suit le rythme quotidien suivant, sachant que 8h30 est l’heure pivot pour #DivCo autour de laquelle tout s’articule, et que cette heure à laquelle est publiée la terzina du texte original ne varie jamais:

  • 8h 29 •  L’explication de la terzina (ou des terzine) qui va suivre. Cette publication est indispensable pour expliquer telle idée, tel concept, situer tel lieu, citer le nom de tel ou tel personnage que Dante ne donne que de manière allusive etc. Lorsque cette explication est trop longue pour être contenue dans un tweet, elle est publiée en plusieurs tweets, publiés à 8h27, 8h28, 8h29 (pour respecter l’heure ne variatur de 8h 30 pour le texte de Dante);
  • 8h 30 • la terzina du jour. Parfois deux ou trois terzine sont publiées pour respecter le sens du propos de Dante, ne pas couper arbitrairement une phrase, etc.
  • 8h 31 • la traduction de cette terzina en français, (ou deux ou trois terzine). C’est cette traduction que l’on trouve —après relecture et éventuellement correction— sur le site. Ma traduction peut être plus longue que le texte de Dante; cela explique que parfois, lorsque plusieurs terzine sont publiées, la traduction se trouve contenues dans plusieurs tweets.

Tous les mois environ, à la fin de la publication d’un chant, rendez-vous est donné sur le site pour en relire le texte dans son entier, sa traduction et toutes les informations indispensables et nécessaires pour comprendre le texte.

  • (Pour en savoir plus sur la genèse du projet #DivCo et son évolution, lire ici et )
À terme, plus de 500 portraits et notices

Le site est donc l’enfant de l’aventure #DivCo. Pour accompagner la publication des chants, il est apparu indispensable de publier de courtes notices, de brèves biographies sur les personnages, les lieux, les musiques et chants voire les anecdotes. Tout cela fait la richesse, la poésie et le sel de La Divine Comédie. Malheureusement, souvent aujourd’hui la trace de certains personnages s’est diluée au fil des siècles; on n’a plus telle musique dans l’oreille et surtout on ne sait plus qu’elle en était la signification et la portée. Ces notices se sont donc imposées comme indispensables. Une centaine sont actuellement rédigées et complètes. 

À terme, le site devrait en compter sans doute plus de 500. Il ne s’agit en rien d’être exhaustif et de réaliser on ne sait quel « mini WIkipedia », mais de donner les indispensables clés de compréhension de l’œuvre sur ce site conçu comme un ensemble cohérent. 

C’est au milieu de l’année 2018, que le principe de ces notices et portraits avait été arrêté. Depuis la publication se fait au rythme d’une dizaine par mois, avec cette année par exemple,

  • des personnages de l’antiquité comme Agamennon, le roi grec qui commanda l’expédition contre Troie, Lucain le poète romain auteur de La Guerre civile (Pharsale),
  • d’autres plus contemporains comme Cunizza da Romano dont la vie mouvementée pourrait être un roman à elle seule ou Charles Martel de Hongrie; deux personnages que Dante a sans doute rencontrés dans sa vie,
  • ou encore Cur Deus homo, texte théologique majeur de Saint Anselme d’Aoste, dont la réflexion nourrit la fin du Chant VII du Paradis.

Tous ces notices et portraits sont accessibles soit par des liens dans le flux des explications des chants, et dans ce cas, ils font partie des éléments de contexte, soit par la page Index, soit simplement par le moteur de recherche.

Une riche actualité 

Le blog, dont les informations remontent sur la page d’accueil du site, est destiné à rendre compte de l’actualité dantesque. Le choix est simple: tout ce qui concerne Dante Alighieri, sa vie et ses œuvres en particulier La Divine Comédie est a priori digne d’intérêt. Il peut s’agir d’un spectacle comme l’admirable Cercles de l’enfer de la Camera delle Lacrime, d’une chanson comme Dante aveva ragione de l’artiste italienne Silvia Vavolo, ou des réflexions encore en cours sur l’œuvre de Dante, avec par exemple les Lecturæ Dantis organisées par la Société Dantesque de France, d’un livre austère comme Dante et l’Averroïsme.

Cet éclectisme montre comment Dante irrigue et nourrit toujours la culture contemporaine, italienne bien sûr, mais bien au-delà des frontières du bel paese. Il illustre aussi —de manière très partielle— à quel point les réflexions, les recherches et les analyses autour de l’œuvre de Dante, ce que l’on appelle la dantologie, reste une matière vivante. La couverture de ces actualités est restée trop fragmentaire et irrégulière. Ce sera l’un des points travaillés en 2020, sachant qu’au fur et à mesure que la date anniversaire de la mort du Sommo poeta se rapprochera, le nombre d’événements qui lui seront consacrés augmentera mécaniquement.

Une bonne et heureuse année 2020

Il ne me reste qu’à vous souhaiter chères lectrices et chers lecteurs de ce site consacré à Dante Alighieri et à La Divine Comédie une bonne et heureuse année et à vous donner rendez-vous pour une année 2020 encore plus riche et passionnante.

  • Illustration: Le Paradis, Chant XVIII, Ciel du Soleil, par Giovanni di Paolo (1440) — image extraite d’un manuscrit (folio 146) ayant appartenu au roi d’Aragon, de Naples et de Alphonse V. Don de M. Yates Thomson au British Museum.

 

Dante’s Inferno, une série TV en enfer

Dante’s Inferno, une série TV en enfer

Quatre scénaristes talentueux, les moyens de Disney, une ambition affichée.…“Dante’s Inferno” coche toutes les cases qui devraient assurer à cette série TV un beau succès. Mais affirmer que ce projet s’inspire de La Divine Comédie est un abus de langage. Il n’en est —au mieux— qu’une pâle extrapolation.

La Divine Comédie sous forme de série TV? Pourquoi pas, surtout si les scénaristes sont talentueux. Si l’on en croit The Hollywood Reporter, qui le premier a annoncé la nouvelle, ce sera le cas. Ce sont en effet pas moins de quatre scénaristes chevronnés qui vont se lancer dans l’aventure. Les premiers sont Ethan Reiff et Cyrus Voris. Ils travaillent ensemble depuis 1987 et leur plus grand succès est sans doute Kung Fu Panda. Ils sont aussi les auteurs d’une série Knightfall, consacrée aux Templiers. Ils sont rejoints par Nina Fiore et John Herrera connus pour être les auteurs de l’adaptation TV du roman de Margaret Atwood, La servante écarlate.

Entre de telles mains on ne peut qu’imaginer une adaptation ambitieuse. Mais le diable se loge dans les détails.

On peut un tiquer tout d’abord en apprenant que les auteurs ont décidé de transposer l’Enfer de Dante dans le Los Angeles actuel. Toutefois, ce choix peut se comprendre: la transposition est pratique courante lorsqu’il s’agit d’adapter une œuvre classique pour un public contemporain. Il peut se concevoir d’autant plus que les programmes de Freeform, la filiale de Disney qui va réaliser la série, sont destinés principalement aux adolescents.

Dante sera une jeune fille de vingt ans

On peut tiquer aussi en apprenant que ce n’est pas Dante qui se rendra en Enfer, mais une jeune fille d’une vingtaine d’années, qui s’appellera Grace… Dante. Là encore sans doute faut-il séduire le jeune public et donc rajeunir le personnage principal. Une fraîche jeune fille est probablement jugée plus « attractive » qu’un barbon «nel mezzo del cammin di nostra vita». Mais cette décision entraîne ipso facto la disparition du personnage de Béatrice, l’un des principaux « moteurs » du poème original.

On peut tiquer enfin en lisant le pitch du scénario tel qu’il est résumé par Kombini :

(Grace) est décrite comme une adolescente troublée et déprimée qui vit à Los Angeles. Abandonnée par son père à sa naissance, Grace vit avec une mère toxicomane et un frère perturbateur. Elle a rapidement laissé tomber ses rêves pour veiller sur eux, mais une rencontre improbable va changer sa vie : Grace va passer un pacte avec le diable en personne afin de se sortir de son quotidien misérable.

Suite à cet accord entre les deux, la vie de Grace va s’améliorer considérablement : la jeune fille trouvera l’amour, sa famille ira mieux, l’école et une carrière professionnelle florissante lui souriront… Mais le patron de l’enfer revient tôt ou tard chercher son dû, et Grace devra traverser les neuf cercles de l’enfer pour le vaincre et reprendre en main le contrôle de son destin.

Dans La Divine Comédie, il n’est nulle part question d’un “pacte faustien” de ce type. Lucifer, vaincu, est immobile, enterré à mi-corps, au fond du gouffre de l’Enfer que sa chute a créé. Ses seuls mouvements se réduisent à remâcher éternellement les ombres de trois traîtres et à battre des ailes dans l’obscur désert glacé du Cocyte.

On pourrait ainsi tiquer à l’infini. Mais est-ce bien utile? Le poème de Dante est —on l’a compris— vidé de ce qui en fait le sel et la force. Il est réduit à un décor, un stock d’images, d’anecdotes et de personnages où les auteurs puiseront au gré de l’avancement de leur scénario.

Au bout du compte, nous aurons sans doute une série attractive et spectaculaire comme un jeu vidéo. D’ailleurs, celui-ci existe déjà. Il s’appelle également Dante’s Inferno.
Game over

  • Illustration: Devil’s Gate au bord du de l’Arroyo Seco. Photo prise avant 1920 et la construction du barrage du même nom à proximité de Pasadena (Los Angeles County). On distingue clairement à droite le profil du « diable » avec sa bouche aujourd’hui fermée par une grille. Attribution: Magi media – CC A – SA 3.0