Dante & Beckett, par Jean-Pierre Ferrini

Dante & Beckett, par Jean-Pierre Ferrini

Quel écho peut avoir une œuvre aussi ancienne que la Divine Comédie chez un auteur contemporain? Jean-Pierre Ferrini dans son Dante & Beckett, aux éditions Hermann, montre comment l’œuvre de Dante Alighieri laissa sur celle de Beckett une empreinte légère mais profonde.

Belacqua_Chant_IV_Purgatoire

Belacqua, avec Dante et Virgile au Chant IV du Purgatoire (Détails). Manuscrit XIVe siècle. Digital Bodleian, MS. Holkiam

Belacqua est loin d’être l’un des personnages les plus connus de la Divine Comédie. Cet esprit que Dante rencontre au Purgatoire parmi les esprits négligents est discret. Tout juste se souvient-on qu’à l’ombre d’un rocher, il était «assis et entourait ses genoux / tenant entre eux son visage baissé». 

Par quel mystère, quelque six siècles après la mort du poète florentin, Beckett fait dans ses premières œuvres de Belacqua un de ses personnages? 

Ce “point de jonction”, ce lien, ce “et” entre le poète florentin et l’auteur irlandais a hanté Jean-Pierre Ferrini dans ses années d’études: «Dante et Beckett, un peu comme Mercier et Camier1 , avançaient en titubant dans mes nuits». Plus tard alors qu’il était bibliothécaire, il s’astreint «à réaliser cette tâche un peu folle de relever tout ce qui parlait de Dante dans les livres de Samuel Beckett». 

Un travail de bénédictin: l’inventaire

Dante&Beckett_Jean_Pierre_FerriniCe travail de bénédictin, cet «inventaire» devait aboutir en 2003 dans un premier ouvrage. Aujourd’hui, c’est une nouvelle édition revue et enrichie de ce Dante & Beckett qui paraît chez Hermann. Elle nous invite à une profonde réflexion sur l’œuvre de Dante et sur sa “réception” par un auteur contemporain.

C’est en 1920 que Samuel Beckett découvre Dante, et quelques années plus tard, dès ses vingt ans, il le lit dans le texte. Il rédige des fiches dont Jean-Pierre Ferrini extrait quelques passages significatifs. Beckett s’y concentre pour l’essentiel sur les cinq premiers chants du Purgatoire. Il note quelques détails comme l’expression «il tremolar della marina» (‘le frémissement de la mer” — Chant I, v. 117), ou encore le mouvement dominant du Purgatoire (inverse de celui de l’Enfer): «I’ mi volsi a man destra (“Je me tournai à main droite”).

Surtout, il va retenir toutes les ombres qui, dans ce cantique, sourient à Dante: tout d’abord Casella au Chant II (v. 83), puis Manfred dans le chant suivant (v. 112) et enfin au Chant IV la rencontre avec Belacqua. Dans ses notes, Beckett, reprend le texte de Dante «Li atti suoi pigri e le corte parole / mosser le labbra mie un poco a riso» (“Ses gestes paresseux et ses paroles brèves / me portèrent un peu à sourire”) et en dessous note: «Dante smiles (at Belacqua). D’s 1st smile?» (“Dante sourit à Belacqua. 1er sourire de Dante?”). 

L’attitude de ce personnage, «sa posture utérine» sera, analyse Jean-Pierre Ferrini, 

 l’œuf d’où sortiront tous les autres personnages de Beckett, le visage baissé, les genoux entre les bras

Mais le personnage de Belacqua lui-même sera repris à de multiples reprises. Sans doute, la situation dans laquelle se trouve Belacqua dans l’Antépurgatoire ne pouvait que retenir «l’attention de Beckett»:

Il s’agit du seul endroit dans la Divine Comédie où les âmes, ni sauvées ni damnées attendent quelque chose (…) c’est aussi le seul endroit où les âmes dans une espèce de nonchalance peuvent se déplacer; (…) Une vacance, lorsque l’on sait l’importance de l’attente dans son œuvre, ne pouvait que séduire Beckett.

«Peut-être», un mot-clé du théâtre de Beckett

L’attention de ce dernier fut peut-être retenue aussi par un mot, un adverbe. Sur cette corniche des « paresseux », Dante s’essouffle à gravir le Purgatoire et demande à faire une pause. Virgile lui répond que «Questa montagna è tale, (…) quant’ om più va sù, e men fa male.» (“Cette montagne est telle (que) plus on monte, et moins elle fatigue” — Chant IV, v. 88-90). C’est alors que les deux poètes entendent la voix de Belacqua: «Forse / che di sedere in pria avrai distretta!» (“Peut-être / auras-tu besoin de t’asseoir avant!” — v. 98-99).

Le premier mot que prononce Belacqua est donc «Forse». Il se trouve en fin de rime, ce qui en accentue la force. Or, remarque Jean-Pierre Ferrini:

Ce premier mot de Belacqua, correspond à l’un des mots-clefs du théâtre de Beckett, l’adverbe de doute peut-être.

Quelques autres personnages, comme Béatrice, Sordello, Piccarda, Rahab…, vont revenir sous la plume de Beckett, mais Belacqua occupe une place particulière, peut-être parce qu’il apparaît dans son premier roman, Dream of Fair to middling Women, écrit en 1932. Il y est décrit comme un  gamin «s’amusant à regarder la merde jaillir sous la queue d’un gros cheval».

La paresse premier pas de la sagesse? 

Cette figure de Belacqua est appelée à évoluer. Beckett a lu deux des premiers commentateurs de la Divine Comédie, Benvenuto da Imola et l’Anonimo Fiorentino. Ceux-décrivent ainsi le Belacqua de Dante: «Un citoyen de Florence, artisan, qui fabriquait des manches de luths et de cithares, et était l’homme le plus paresseux qu’on ait jamais rencontré (…) L’auteur (Dante) était son familier: il le reprenait souvent sur sa négligence; une fois alors qu’il le reprenait, Belacqua riposta par les mots d’Aristote: Sedendo et quiescendo anima effecitur sapiens (“en étant assis et tranquille l’âme devient sage”). Ce à quoi l’auteur riposta à son tour: “Certes, si par s’asseoir on devient sage, alors il ne fut jamais plus sage que toi.”»

Le Belacqua de Beckett n’est ni luthier ni indolent (encore que) mais Beckett va utiliser le Belacqua de Dante et le portrait qu’en ont dressé les commentateurs comme d’une pâte qu’il travaillera à sa guise. Témoin ce passage de Dream: 

Parfois il parle de lui-même comme étant noyé et assombri, retrouvé à son cœur: et à d’autres moments comme sedendo ET quiescendo avec l’accent sur le et et pas d’extension de la pensée vers l’esprit devenu sage. Assis au milieu de la boutique il ne respirait pas toujours la quiétude. Cellineggiava méticuleusement orné d’arabesques, exposé aux ricanements des poètes expérimentés. Si être assis est être sage, alors il n’y a pas d’homme plus sage que toi.  

On retrouve une dernière fois Belacqua dans Murphy, un roman écrit en 1935. Le personnage principal, Murphy est un oisif qui n’aime rien tant que se bercer longuement dans son fauteuil à bascule, sa “berceuse”: 

À ce moment Murphy aurait donné toute son espérance de l’Antépurgatoire pour cinq minutes dans sa berceuse, il aurait renoncé à l’abri du rocher de Belacqua et au long repos embryonnaire, au-dessus de la mer australe tremblant à l’aube derrière les roseaux et du soleil à son lever obliquant vers le nord. (…) C’était là sa fantaisie Belacqua, une des mieux organisées de toute sa collection. Elle l’attendait au-delà de la frontière de la souffrance, c’était le premier paysage de la liberté.»

Un retournement de la figure du Belacqua de Dante

Le lecteur de la Divine Comédie retrouve le «tremolar de la marina» (“frémissement/tremblement de la mer”), les roseaux de la berge du Purgatoire, et aussi le rocher derrière lequel Dante découvre Belacqua, assis dans sa position fœtale, qui attend de pouvoir monter au Purgatoire pour expier ses fautes. Même s’il est résigné à une attente interminable, il est dans l’espérance que cette attente cessera. 

Beckett opère un retournement par rapport à ce Belacqua de Dante explique Jean-Pierre Ferrini: 

Murphy aspire à la longévité uniquement parce qu’il sait que plus il vivra, plus longtemps durera son séjour dans l’Antépurgatoire. Encore moins espère-t-il qu’une bonne prière l’abrègera. Telle est sa «fantaisie» qu’il qualifie de Belacqua et qui sape les fondements de l’attente du Belacqua de Dante.

Impossible ici d’entrer dans le détail du travail minutieux, proche de celui d’un entomologiste, de Jean-Pierre Ferrini, qui rapproche deux œuvres immenses. Il en repère et examine les points de concordance au-delà des seuls personnages. Il analyse les distorsions, les interprétations, car «afin que cela corresponde à son propos, Beckett n’hésite jamais à tordre Dante dans tous les sens», comme le remarque John Fletcher2 

Les ressorts de la Divine Comédie sont cassés

Mais Beckett “tord” aussi l’œuvre du poète comme une ménagère tord un linge trempé pour en extirper la plus petite trace de liquide. Ces empreintes minuscules se fixeront à leur tour dans ses poèmes, romans, nouvelles et pièces de théâtre.

Par exemple, dans la nouvelle Le Calmant, le narrateur rencontre un jeune garçon qui tient une chèvre par une corne. Il décide de lui adresser la parole: 

Je préparai donc ma phrase et ouvrit la bouche, croyant que j’allais l’entendre mais je n’entendis qu’une sorte de râle, inintelligible même pour moi qui connaissais mes intentions. Mais ce n’était rien, rien que l’aphonie due au long silence, comme dans le bosquet où s’ouvrent les enfers, vous rappelez-vous, moi tout juste.

Comme le note Jean-Pierre Ferrini le «long silence» de Virgile («chi per lungo silenzio parea fioco» — L’Enfer, Chant I, v. 63)

perd toute l’étendue de sa résonance. La chute avec sa part coutumière d’ironie, est brutale: tout juste. La rencontre entre Dante et Virgile ne féconde plus notre mémoire (…) La mécanique qui actionnait les ressorts de la Divine Comédie est cassée.

Dante & Beckett ne se limite pas à explorer cette délicate rencontre entre deux auteurs, entre deux œuvres, l’une se nourrissant de l’autre, que séparent les siècles, il y est question aussi de Joyce, le prestigieux aîné de Beckett, de Proust sur lequel il écrivit un essai, de Leopardi, de Pétrarque… Le lecteur trouvera aussi dans cet ouvrage une Annexe, qui n’en mérite guère le nom tant elle est riche, qui comprend outre l’incroyable Inventaire des emprunts de Beckett à Dante, des textes essentiels pour comprendre comment Beckett s’est emparé et s’est nourri du poète florentin. 

  • Jean-Pierre Ferrini, chercheur indépendant, écrivain, élève de Jacqueline Risset, chargé d’enseignement aux universités de Paris et Fribourg (Suisse). Il est l’auteur aux éditions Hermann de Dante et Beckett (2003/2021) et aux mêmes éditions de Dante & les écrivains (2022). Il a collaboré à l’édition de la Divine Comédie dans la Bibliothèque de la Pléiade sous la direction de Carlo Ossola (Gallimard, 2021). Il y a établi l’anthologie des Lectures de Dante au XXe siècle.

 

 

Bianca Garavelli, un regard féminin sur Dante

Bianca Garavelli, un regard féminin sur Dante

Parfois le destin est cruellement ironique. Bianca Garavelli, romancière, journaliste, essayiste, mais d’abord et surtout spécialiste de Dante vient de nous quitter ce 29 décembre 2021, à la fin d’une année dédiée au sept-centième anniversaire de la mort du poète florentin. Malheureusement, ses travaux, essais et romans sont peu connus de ce côté des Alpes, faute de traduction. 

Bianca Garavelli

Bianca Garavelli

Ces dernières années, Bianca Garavelli avait multiplié les activités. Elle venait d’achever un nouveau commentaire du Purgatoire paru en avril chez Rizzola, de publier un essai, Dante così lontano, cosi vicino… son roman Le terzine perdute di Dante avait été réédité, et cela sans compter ses interventions dans des colloques, à la télévision, et une présence constante sur les réseaux sociaux, Facebook, YouTube, mais aussi Instagram ou encore Twitter.

Sur tous ces réseaux, son activité n’était ni symbolique ni réservée. Au contraire, elle s’engageait énergiquement. Je me souviens, par exemple, d’une lecture collective du Paradis sur Twitter en février/mars 2018.. Elle n’était pas la dernière à proposer des extraits du poème de Dante, toujours soigneusement choisis et souvent accompagnés de la reproduction d’une gravure ou d’un peinture qui en donnait un écho juste (voir par exemple, ce tweet). 

Traductrice d’Étienne Gilson et de Christine de PIzan

Ce regard sur Dante était nourri d’une longue fréquentation du poète, mais aussi d’une solide formation universitaire. Elle avait étudié à l’université de Pavie, sous la direction de Maria Corti, une philologue dont l’ouvrage Scritti su Cavalcanti e Dante, demeure encore aujourd’hui une référence dans les études dantesques. 

Tout à fait logiquement Bianca Garavelli, qui sera Chargée de recherche au département d’études de langue italienne et en langue comparée de l’Université catholique du Sacro Cuore di Milano jusqu’en 2015, étudiera les œuvres de Dante et la littérature médiévale. Elle participera à plusieurs éditions commentées de la Divine Comédie et encore récemment publiera un commentaire remarqué du Purgatoire

Elle devait également traduire en italien l’essai du philosophe français Étienne Gilson Dante et Béatrice1, avant de s’attaquer à l’œuvre de Christine de Pizan en traduisant en particulier ses Epistres du Débat sur le Roman de la Rose et Le Livre de la Paix accompagné du Ditié de Jehanne d’Arc.2

Un polar sur Dante piégé à Paris par une mystique hérétique

Bianca Garavelli ne pouvait en rester aux seules recherches universitaires et débordait d’autres activités, en particulier littéraires. Elle écrivit quelques huit romans, dont l’un vient d’être réédité en 2021 chez BUR-Rizzoli. Le terzine perdute di Dante est un polar qui enjambe les siècles et dans lequel l’auteure joue avec les références et s’en amuse. On y rencontre un Dante en exil à Paris en 1309, entraîné par une mystique hérétique dans une guerre entre deux ordres opérant dans l’ombre. Dante devient le dépositaire d’une prophétie. L’enquête est menée plusieurs siècles plus tard par un philologue milanais nommé Riccardo Donati !

L’un de ses derniers ouvrages publié est un court essai consacré au poète florentin: Dante, cosi lontano, cosi vicino[note]Giunti, Firenze, Milano, septembre 2021.[/note] paru en septembre 2021. Elle y présente Dante comme un précurseur et un visionnaire: «Certains points du troisième cantique (le Paradis), écrit-elle dans l’introduction, semble anticiper, au-delà de la science, la science-fiction contemporaine, des films comme Interstellar (2014) et Arrival (2016)3, dans lequel l’espace et le temps se fondent en une dimension qu’il nous est difficile d’appréhender, et le temps n’est pas linéaire.»

Francesca da Rimini, une femme deux fois victime

Cet essai donne une place important à celles que Bianca Garavelli nomme dans un chapitre les « Muse di Dante”, et sur lesquelles elle apporte son regard féministe. Par exemple, écrit-elle Francesca da Rimini est deux fois victime: 

de l’uxoricide4 commis par Giovanni Malatesta, mais aussi de l’habitude des pères des familles nobles d’«offrir» leurs filles comme épouses à de potentiels alliés (les considérant) comme de véritables pions politiques, certes précieuses, mais toujours contraintes de subir la volonté d’autrui.

On ne saurait mieux dire que ce que raconte Dante bien qu’éloigné temporellement est aussi proche de nous: les féminicides, les femmes objets de pouvoir et monnaie d’échange sont aujourd’hui encore une triste réalité.

Le dernier chapitre du livre, consacré à Béatrice, en qui elle voit «un modèle pour une éducation à l’amour. (…) Un telle expérience d’amour, élevée à un chemin spirituel dans le poème sacré, peut devenir aujourd’hui un modèle d’éducation sentimentale» remarque-t-elle avant de conclure: 

L’attention, l’espace réservé dans la sphère masculine à la sensibilité « féminine”, comme celle mise en valeur dans le personnage lumineux de Béatrice, peut être le signe de réussite d’une évolution de nos habitudes sociales vers une plus grande harmonie, un meilleur respect réciproque et aussi de ceux qui sont plus faibles physiquement. La moitié du voyage de Dante pourrait être notre meilleure part; le côté « féminin », accueillant et généreux, caché en chacun de nous, même si nous n’en sommes pas conscient.

 

Dante: Le temps des étrennes

Dante: Le temps des étrennes

La période des fêtes est le temps des étrennes. Cette année du 700e anniversaire est l’occasion de faire plaisir avec des cadeaux autour de Dante et de la Divine Comédie. Voici, pour celles et ceux qui seraient à court d’idées, une sélection qui va du plus modeste au plus dispendieux.

LE livre de cette année où se fête le 700e anniversaire du Sommo poeta est peut-être  la nouvelle édition bilingue de la Divine Comédie dans la collection de La Pléiade. L’ouvrage, réalisé sous la direction de Carlo Ossola, comprend l’excellente traduction de Jacqueline Risset accompagnée d’un appareil critique remarquable. (La Divine Comédie, Gallimard, Paris, octobre 2021, 62€)

Pour en rester dans la catégorie « Beaux Livres », signalons chez Diane de Selliers une édition de la Divine Comédie, traduite également par Jacqueline Risset. L’ouvrage est magnifiquement illustré par quatre-vingt douze dessins de Botticelli. Ceux-ci avaient été réalisés à la demande de Lorenzo di Medici au XVe siècle. (La Divine Comédie, Diane de Selliers, 2008, 68€).

Le peintre et sculpteur espagnol Miquel Barceló s’est, après William Blake, Doré, Dali et tant d’autres, à son tour attaqué à l’illustration de l’Enfer de Dante. Il publie chez Actes Sud, avec la traduction de Danièle Robert, sa vision vive, colorée et poétique de l’œuvre. (La Divine Comédie, L’Enfer, Actes Sud, novembre 2021, 49€)

Un ouvrage mérite d’être mis en avant en raison de la qualité des contributions, la richesse de son iconographie, du soin —suisse— apporté à sa fabrication: le catalogue de l’exposition de la Fondation Bodmer La Fabrique de Dante. (Métis Presses, Fondation Martin Bodmer, 2021, 48€)

Plus abordables et susceptibles de toucher toute personne que la vie tumultueuse de Dante Alighieri intéresse, plusieurs ouvrages consacrés à son parcours sont parus en cette année anniversaire:

  • Alessandro Barbero, Dante. Le portrait que dresse ce célèbre historien italien est celui intime d’un homme brisé en pleine ascension sociale et que l’épreuve de l’exil transformera de manière irréversible. (Dante, traduction de Sophie Royère, Flammarion, Paris, 2021).
  • Elisa Brilli et Giuliano Milani, Dante, Des vies nouvelles. Une vision renouvelée de la vie et l’œuvre de Dante grâce à une approche novatrice des archives disponibles. (Dante des vies nouvelles, Fayard, Paris, 2021, 24€)

Dernière suggestion: la Divina Commedia illustrata male. Un cadeau destiné à tous ceux qui souhaiteraient une édition originale de la Comédie. Nous soutenons ici depuis l’origine l’aventure de Davide la Rosa, qui a décidé d’entreprendre le troisième tome, Paradiso. Comme il l’a fait précédemment pour Inferno et Purgatorio, il lance une souscription en ligne. Plusieurs possibilités sont offertes, le Paradis seul ou les trois volumes réunis dans un coffret, avec la possibilité d’ajouter un dessin original. Seul problème le cadeau n’arrivera qu’en avril 2022. Mais quand on aime, le temps ne compte pas. Le lien sur le site souscription Indiegogo ici

Réunir la poésie de Dante et le chant corse, c’est le pari réussi de Dante in paghjella. Le chœur d’hommes A Ricuccata interprète plusieurs extraits de la Divine Comédie: quatre chants de l’Enfer, cinq du Purgatoire et le chant XXXIII du Paradis. Difficile de ne pas être séduit et touché par les créations mélodique de Francescu Berlinghi et cette belle interprétation qui redonnent à la poésie de Dante son âme. 

À Ivry-sur-Seine, chaque spectacle de la Camera delle Lacrime nous avait séduit, qu’il s’agisse de la rugueuse et forte interprétation qui était donnée de l’Enfer de Dante Alighieri, où de celle plus douce et éthérée du Paradis. La compagnie a eu la bonne idée d’éditer en CD sous son propre label En Live, les trois cantiques de la Divine Comédie. Denis Lavant de la Comédie Française, est le récitant pour Inferno, Matthieu Dessertine pour Purgatorio et Camille Cobbi pour Paradiso. (Le site de la Camera delle Lacrime ici)

La poésie de Dante a été fortement influencée par les troubadours occitans. Arnaut Daniel, Bertrand de Born ou encore Folquet de Marseille. Dante & Troubadours par Sequentia. est sans doute le CD de référence. Les textes de ces poètes sont reproduits dans le livret, avec la traduction française de Pierre Bec. Attention, ce CD date de 1994 et ne se trouve plus que d’occasion. Il faut donc chercher un peu. (Harmonia Mundi, 24,90€)

Le poète nostalgique d’une Florence «sobre et pudique»1, qui faisait  rouler d’énormes rochers aux Avares et aux Prodigues dans l’Enfer2 aurait été surpris qu’une pièce d’or ait été frappée à son effigie. C’est pourtant, ce qu’à fait la Monnaie de Paris à l’occasion du 700e anniversaire de la disparition de Dante. Le Sommo poeta est couronné de laurier et l’on distingue dans son bonnet une représentation de chacun des trois cantiques de la Divine Comédie. 

Une pièce en or et une en argent ont été frappées en série limitée. Pour l’instant seule la pièce en argent est disponible sur le site de la Monnaie de Paris. La pièce en or se trouve facilement sur des sites spécialisés. 

 

Le parfum est un cadeau traditionnel pour les fêtes. Il est possible de trouver des lignes de parfum inspirées par La Divine Comédie.

C’est le cas de la maison italienne Salvatore Ferragamo qui propose une ligne Divina Commedia qui comprend désodorisant, bougie et un parfum dont on peut retenir que «la note de Tête est un tourbillon enflammé de Zeste d’Orange Amère et de Pamplemousse pétillant illuminé par l’élégante Cardamome», dixit le site du parfumeur. Dans la même idée, on trouvera dans la même maison une ligne Convivio, un peu plus étoffée mais dont la note de Tête est cette fois fraîche mêlant la bergamote, le pamplemousse et les graines de carotte.

On peut préférer chez le français Histoires de parfums, dans la collection 1472, un parfum qui se nomme La Divine Comédie dont les notes principales sont «Accord Solaire, Jasmin, Encens».

Pietro Alighieri, le fils de Dante, avait acquis un domaine viticole en 1353 en Vénétie. Depuis cette époque, il est resté dans la famille, même si depuis 1973 il fait partie d’un groupe de producteurs régionaux Masi Group.

Le domaine est célèbre pour ses vins, Amarone, Valpolicella mais aussi des vins blancs. Mais au-delà de cette idée de cadeaux évidente —qui peut résister à une bouteille estampillée Serego-Alighieri?— il peut être tentant d’offrir un séjour dans cette magnifique demeure chargée d’histoire. Une multitude de formules est offerte, les plus séduisantes étant celles baptisées Sogno divino, qui prévoit un séjour dans la Foresteria, ou Sogno divino Gourmet avec laquelle la gourmandise est au rendez-vous et dont on revient chargé de bouteilles. 

Aujourd’hui, nul ne connaît l’écriture de Dante. L’un des derniers à avoir tenu entre ses mains un manuscrit du poète est un chancelier florentin, Leonardo Bruni, un siècle après la mort du poète. Il parle d’une «écriture maigre, longue et convenable».

Cette absence de « modèle » n’a pas empêché deux fabricants italiens de proposer des stylos-plumes inspirés par la Divine Comédie

La maison turinoise Aurora avait produit il y a quelques années en série limitée et aujourd’hui épuisée de stylo-plumes pour célébrer Dante. L’idée a été reprise et déclinée en trois stylo-plumes —également en série limitée— chacun célébrant un cantique de la Divine Comédie. Chaque exemplaire coûte entre 1300€ (Purgatorio) et 1600€ (Paradiso). Il existe aussi une version « à la demande », que l’on va qualifer « d’onéreuse » (13.000€) . (Aurora: La page des Edizioni Limitate

La maison florentine Visconti, spécialisée dans les produits de luxe, propose une édition limitée dédiée au Sommo poeta, à l’occasion du 700e anniversaire de sa mort. L’objet est chargé mais magnifique, avec des scènes inspirées de Gustave Doré sur le corps du stylo tandis que le capuchon est entièrement dédié au Paradis. Magnifique donc, mais coûteux: 4500€ pour la version roller et 4700 pour la version plume. 


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La Fabrique de Dante à la Fondation Bodmer

La Fabrique de Dante à la Fondation Bodmer

L’exposition « La Fabrique de Dante” qui se tient à la Fondation Bodmer de Genève jusqu’au 28 août 2022, par la richesse et la qualité des ouvrages exposés, « vaut le voyage”, pour reprendre la formule d’un guide touristique célèbre. 

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Le Codex Guarneri — Fondation Mardin Bodmer — Photo: Marc Mentré

Il faut descendre un large escalier de bois sombre pour rejoindre l’exposition La Fabrique de Dante. Au sous-sol de la Fondation Bodmer, loin des rayons du soleil, dans la pénombre, des lumignons éclairent faiblement les précieux manuscrits et incunables. Un panneau, à l’entrée, livre quelques clés et chiffres au visiteur: 33 pour la Bibliothèque de Dante, 33 pour la ”réception de l’œuvre” et 24 pour le cœur de l’exposition à savoir les éditions des œuvres du poète florentin. 

Ces chiffres tout comme la division de l’exposition en trois parties ne doivent rien au hasard, tant le chiffre trois est essentiel dans l’œuvre de Dante. Un rappel qu’«à l’époque médiévale, la numérologie était importante», souligne Michael Jakob, co-commissaire de l’exposition. 

La volonté de présenter un Dante «plus complexe»

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Portrait de Dante dans une édition du Convivio, 1521 — Fondation Martin Bodmer

On peut voir aussi dans cette “descente” une allégorie. «Nous ne voulions pas en rester au Dante “père de la patrie”. Nous voulions le faire descendre de son piédestal et montrer un Dante autre, plus complexe.»

Pour réaliser cette exposition, Jacques Berchtold, qui dirige la Fondation Martin Bodmer, Nicolas Ducimetière, son vice-directeur, et les deux co-commissaires, Michael Jakob et Paola Allegretti, pouvaient puiser dans le fond exceptionnel de la Fondation, accumulé au fil des ans par ce grand collectionneur que fut Martin Bodmer Cela fait du visiteur un privilégié. Il peut voir à l’occasion de La Fabrique de Dante des manuscrits et incunables qui sont rarement montrés simultanément au public. 

La richesse du fond —car faut-il le répéter tout les ouvrages et documents exposés proviennent de ce fond— concernant la période médiévale et plus particulièrement Dante  s’explique par l’intérêt que le poète florentin suscitait chez Martin Bodmer. Il considérait son œuvre comme étant de la même importance que la Bible, que celle d’Homère ou, plus tard, que celles de Shakespeare et de Goethe. 

En 1947, il le célébrait ainsi1:

(Dante) appartient à ce petit nombre d’hommes à qui il fut donné d’incarner une époque de l’histoire du monde et, le réalisant en poète, d’être en même temps un représentant de la littérature mondiale en son acception la plus élevée. (…) À coup sûr la vestiture, la forme, le cadre de Dante sont encore du pur Moyen Âge, dominé par la philosophie aristotélicienne, une conception du monde géo-centrée, la scolastique et le féodalisme —c’est en même temps déjà l’Homme nouveau qui «s’échappe de la vieille enveloppe.

On pourrait presque lire dans cette définition, les principes qui ont guidé les commissaires de l’exposition, dans leur volonté de montrer les racines de l’œuvre mais aussi sa réception dans la littérature moderne. 

33 manuscrits contemporains de Dante

La première marche dans cette «complexité» est la fascinante reconstitution de la Bibliothèque de Dante. Non de sa bibliothèque réelle, car indique Michael Jakob, le poète faute de moyens «ne pouvait pas se permettre d’avoir des copies des œuvres». D’ailleurs, nous n’avons aucun moyen d’en apprécier la réalité. Paola Allegretti rappelle que «nous ne possédons aucun écrit de sa main, ni aucune note sur les livres en sa possession, qui soient arrivés jusqu’à nous.» 

En revanche, il est possible de la reconstituer à travers les citations qu’il fait d’auteurs comme Aristote ou Virgile, et les allusions dans ses poèmes ou ses essais. P. Allegretti précise: «Les 2 750 noms propres environ que Dante cite dans ses ouvrages sont des noms qu’il a rencontrés dans ses lectures, des noms qui lui sont arrivés par l’intermédiaire des livres.»

L’étonnant dans cette exposition est que Dante aurait pu lire ou consulter les 33 manuscrits de cette bibliothèque. Toutes ces copies ont en effet été réalisées aux XIe, XIIe et XIIIe siècles, c’est-à-dire sont contemporaines au poète. 

Un visiteur pressé peut se contenter d’admirer la régularité confondante des colonnes des textes de ces manuscrits, l’élégance de leur mise en page, la beauté des lettrines, le charme des miniatures et illustrations qui embellissent ces œuvres d’Horace, de Juvénal, de Cicéron, de Macrobe… 

Il faut se plonger dans l’épais catalogue qui accompagne l’exposition

Mais ce serait en rester à l’écume. Il est nécessaire de se plonger dans l’épais catalogue qui accompagne cette exposition. Il permet de comprendre tout à la fois les critères qui ont présidé au choix des œuvres exposées, mais aussi d’éclairer les textes en regard de l’œuvre de Dante. 

Certains peuvent sembler ne pas nécessiter d’explication comme la Bible latine qui est exposée. Mais, particularité, mentionne Paola Allegretti, co-commissaire de l’exposition: «Pour Dante la Bible est fondamentale, et précisément dans la version de ce manuscrit, c’est-à-dire selon la vulgate de Jérôme.» Il est peu probable toutefois que le poète ait consulté précisément cet exemplaire car il a appartenu «à l’un de ces très riches ecclésiastiques de la Curie contre lesquels Dante fait parler l’ascétique Pierre Damien» dans le Paradis:

les modernes pasteurs, et qui les mènent,

tant ils sont lourds, par derrière les soulèvent.

Ils couvrent de leurs manteaux leurs palefrois,

de sorte que sous une seule peau vont deux bêtes

(Le Paradis, Chant XXI, v. 131-134)

Les ouvrages exposés sont ainsi en “interaction” avec l’œuvre dantesque. Par exemple, le Lancelot, copié au début du XVe siècle pour Guyot le Pelay de Troyes. Ce roman en prose, qui est le premier Livre de La table ronde, est celui qui conduisit, selon Dante, Francesca et son amant Paolo au péché d’adultère. Il est aussi utilisé comme réminiscence littéraire au Paradis, lorsque Béatrice s’amuse de la vanité de Dante quand celui-ci utilise le pronom latin vous pour s’adresser à son trisaïeul Cacciaguida: 

Béatrice, légèrement à l’écart,

souriante, ressemblait à celle qui toussa

lorsqu’est contée la première faute de Guenièvre.

(Le Paradis, Chant XVI, v. 13-15)

Paola Allegretti remarque:

Même au Paradis une bienheureuse peut vouloir agir comme une héroïne de roman. (…) L’affinité biographique entre deux femmes, Francesca et Béatrice, qui ont eu, selon Dante, la même expérience de lecture, exprime la longue durée du prestige courtois. (…) La longue durée réélaborée dans la mémoire de Dante de cet épisode de Lancelot, qui rééaparaît après 53 chants, donc après bien des années, est peut-être encore plus significative à cause du sourire qui unit Enfer et Paradis: dans les paroles de Francesca (…) en Enfer, il y a la seule apparition, délirante, du «rire désiré».

Des manuscrits qui font écho à l’œuvre de Dante

Dans cette fascinante Bibliothèque des manuscrits se détachent. Les uns par l’évidence de leur présence, comme le parchemin qui contient le texte des Livres I à VI de l’Énéide, d’autres par la richesse de la glose, d’autres plus simplement par l’écho qu’ils provoquent chez le lecteur de Dante. 

Le texte de l’Art d’aimer d’Ovide est repris dans le parchemin CB 122 qui est exposé. On y trouve l’image de longs bataillons de fourmis qui «vont et reviennent sans cesse». On ne peut que penser alors aux ombres des luxurieux, qu’au Purgatoire l’on voit se «hâter (…) se baiser l’une l’autre, / sans s’arrêter, joyeuses de cette courte fête, / c’est ainsi que dans leur file brune / les fourmis se touchent l’une l’autre du museau.» (Le Purgatoire, Chant XXVI, 31-36).

Chacun de ces 33 manuscrits pourrait ainsi être remis en perspective dans un jeu de mémoire et de miroir intellectuel infini. Mais avançant le visiteur ouvre un nouveau chapitre de l’exposition, celui de la réception de l’œuvre de Dante. 

Les auteurs que Dante a nourri et influencé

Dans La fortune de Dante, le jeu est inversé par rapport à celui mis en place dans la Bibliothèque. Il n’est plus question des auteurs qui ont influencé et nourri Dante, mais de ceux que Dante a nourris et influencés voire rebutés comme Voltaire. La contrainte reste la même: seuls 33 auteurs doivent être exposés.

L’exposition permet de mesurer l’immensité de la tâche à laquelle se sont attelés les commissaires de l’exposition. On peut admirer un manuscrit de Benvenuto da Imola de la deuxième moitié du XIVe siècle, une copie des Canterbury Tales de Chaucer et, sautant les siècles, un exemplaire de Corinne ou l’Italie de Mme de Staël et un autre de The prophecy of Dante de Byron. 

Invité ainsi à parcourir à grandes enjambées les siècles, le visiteur est amené dans son parcours jusqu’à des ouvrages et des auteurs plus proches de nous, ceux qui illustrent la “réception” de Dante au XXe siècle. 

En ce sens, l’exemplaire de Nueve ensayos dantescos (Neuf essais sur Dante) de Jorge Luis Borges mérite absolument d’être présent tant l’écrivain argentin, explique Erica Durante, «a réservé une place centrale au poète florentin dans ses poèmes fictions et essais. (…) Cette forte empathie vis-à-vis de Dante, délaissé par sa bien-aimée et condamné à son absence éternelle, définit l’entièreté de la lecture de ce que Borges fait de la Divine Comédie». 

Les Cantos d’Ezra Pound doivent presque tout à Dante

Avec Ezra Pound dont une double page de ses Cantos est exposée, nous basculons dans un autre rapport avec le poète florentin. «Les Cantos, explique Michael Jakob, doivent presque tout à Dante.» Mais serait-on tenté d’ajouter dans un mauvais jeu de mots à “tout Dante”, car Pound a lu, travaillé et réfléchi sur l’ensemble des œuvres: Vita Nuova, Convivio, Monarchia et De vulgari eloquentia

L’influence —réelle— du poète florentin est parfois difficile à saisir. Le lecteur, écrit Michael Jakob «doit essayer de reconstituer, en suivant la trame de la marqueterie littéraire mise en place, le sens de la présence de Dante chez Pound (…) c’est au lecteur de constituer le réseau des lignes de force qui mène du poète du XIVe siècle à celui du XXe et qui permet une renaissance singulière et surprenante de Dante.

Mais il est vrai que ce jeu de reconstitution est diablement difficile, entre clarté et confusion, comme l’illustre cet extrait des Cantos

… Dio la prima bontade

wich can be writen i (four)

whence saith Augustine. 

Alessandro & Saladin & Galasso di Montefeltro 

and mentions distributive justice, Dante does, in Convivio

Four, eleven

“cui adorna esta bontade”.

«Mandelstam voit la Divine Comédie comme un poème d’une seule strophe»

Le contraste est brutal avec cet autre poète dont un exemplaire de la Conversation avec Dante est exposé. Brutal, car nous quittons les rivages du fascisme (Pound était un admirateur de Mussolini) pour nous retrouver dans l’enfer stalinien des années 1930.

Lorsque Ossip Mandelstam écrit sa Conversation, en 1933, il se trouve, nous dit George Nivat, «à Koktebel, en Crimée, dans la maison du poète Volochine, une abbaye de Thélème pour poètes qui survivait miraculeusement en plein régime soviétique.»

Le poète se sait condamné, car il a osé écrire son Épigramme contre Staline. Peut-être est-ce cela qui donne une telle force à sa lecture de la Divine Comédie

Il la voit comme un poème d’une seule strophe; strophe unique «insécable», parce que l’on ne saurait immobiliser l’essaim où sons et mots se font la guerre.

Le cœur de l’exposition

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L’Enfer de Dante, dans une édition de la Comédie — 1515 — Fondation Martin Bodmer

Insensiblement, le visiteur est amené en suivant la spirale qui guide son parcours jusqu’au cœur de l’exposition, où se trouvent les 24 éditions différentes des œuvres de Dante. 

En son centre, soigneusement protégées par leur vitrine, trois manuscrits qui sont parmi les plus anciens connus. 

Le plus célèbre est le Codex Guarneri (CB 55). Ses 163 feuillets contiennent l’Inferno et le Purgatorio. Il a été copié sans doute une vingtaine d’années après la mort du poète. On le sait grâce aux filigranes des différents papiers qui ont été utilisés. Ceux-ci ont tous été fabriqués en 1343 ou avant. Outre son ancienneté, ce manuscrit est remarquable par l’extrême lisibilité d’un texte enrichi par des lettrines colorées qui marquent chacun des tercets et quelques petits pavés de glose qui ne troublent pas la mise en page. 

Le Codex Severoli (CB 57) est un parchemin réalisé à la fin du XIVe siècle. Une indication précise permet de le dater: son copiste, Francesco di Messer Tura di Cesena signe la fin de son travail du 30 septembre 1378. Il ajoute une allusion au grand schisme d’Occident qui a débuté dix jours auparavant, avec l’élection de l’antipape Clément VII. 

Signe de son intérêt pour une actualité brûlante, ce copiste fera une “mise à jour”, comme on le ferait aujourd’hui pour un texte publié sur Internet. Il complète —alors qu’il a terminé la copie— la glose du Chant XXIII du Purgatoire avec cette phrase:

L’auteur [Dante] fait une prophétie sur l’état actuel de l’Église: bientôt viendront un seul pape contre le schisme et une seul roi pour libérer et restaurer l’Église.

Un superbe Landino 

Les autres exemplaires des œuvres de Dante sont tout aussi magnifiques. Le visiteur peut en effet voir un superbe exemplaire de la Comedia imprimée à Florence par Niccolò di Lorenzo en 1481. Le projet rappelle Paola Allegretti «visait à réconcilier définitivement Florence et Dante poète florentin, dont la dépouille reposait encore à Ravenne». 

Cet incunable est un objet d’autant plus précieux qu’il réunit les plus grands intellectuels du moment et en particulier Cristoforo Landino, qui rédigea un commentaire destiné à faire date par sa qualité. Sa célébrité tient aussi à ses illustrations qui proviendraient de dessins de Botticelli. 

L’exemplaire de la fondation Bodmer est hélas incomplet puisqu’elle ne contient que deux images sur les dix-neuf prévues. Cela tient au processus de fabrication: le livre était d’abord imprimé et l’on laissait un blanc pour insérer les gravures, qui étaient ensuite collées sur ces espaces. 

De cette exposition, il faut aussi parler du troublant portrait de Dante, par Botticelli, que Charlie Bodin décrit ainsi: 

Doté d’un front haut, d’un nez aquilin et d’un menton saillant, le poète est portraituré à partir de spécificités héritées de descriptions littéraires et de représentations picturales, ce qui lance les fondements de son iconographie.

Un visage hautain et fier

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Anonyme, portrait de Dante vers 1515 — Fondation Martin Bodmer

Il est nécessaire ici de se souvenir que le seul peintre qui ait connu Dante “dans la vraie vie” est Giotto. Le portrait de Botticelli est donc une invention ou si l’on préfère une reconstitution. C’est pourtant avec ce visage hautain et fier, avec cette robe rouge, coiffé de son bonnet orné d’une couronne de laurier, que sera dès lors figé le portrait de Dante et… reproduit. 

L’exposition montre une copie de ce portrait réalisée vers 1500 (voir ci-dessus). Pour Charlie Bodin «ce tableau témoigne d’un réel marché, celui des effigies du père de la Divine Comédie. (…) Un culte à sa personne et à son œuvre naît à la fin du XVe siècle.»

Ce culte est tellement prégnant que le portrait du poète se suffit à lui-même en quelque sorte. Nul besoin en effet de faire référence à la Divine Comédie, Dante est désormais directement reconnaissable « par lui-même”. «Cette économie de moyens, ajoute Charlie Bodin, est révélatrice du rayonnement incontestable de Dante, près de deux siècles après sa venue au monde.»

Dante et la nécromancie

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Croix d’argent, ymago, exposée à la Fondation Bodmer. Photo: Marc Mentré

En se préparant à quitter l’exposition, le visiteur est intrigué par une croix argentée accrochée sur un mur. L’explication est à chercher dans un long manuscrit qui la voisine. «C’est le seul texte qui nomme Dante de son vivant», s’enthousiasme Michael Jakob. 

Le texte —très long— reprend deux dépositions faites par un clerc milanais Bartolomeo Cagnolati les 9 février et 11 septembre 1320. Il raconte une histoire de sorts et de sorcellerie. Matteo Visconti (fondateur de la dynastie des Visconti), raconte Paola Allegretti

excommunié par le pape Jean XXII en 1317, a fait exécuter une statuette votive en argent vide, appelée «ymago», sur laquelle est gravée le nom «Jacobus papa Johannes». Il cherche des experts en astrologie et en médecine pour réaliser un sortilège de mort, avec l’aide des démons de la planète Saturne. 

L’un de ces experts auquel Visconti projette de faire appel est un certain Dante Alighieri de Florence, avant de se rétracter. 

Quelle est la réalité de cette histoire? Des traces et des indices la confortent. D’une part, insiste Paola Allegretti, «c’est un fait établi que Dante Alighieri a été considéré pleinement en mesure d’exercer la nécromancie. Galeazzo Visconti2 et le pape Jean XXII3 sont deux des personnages vivants qui entrent dans le récit et dans l’Au-delà de la Comédie et qui sont dénigrés tous les deux par l’écrivain.»

Mais peut-être faut-il laisser à cette croix aujourd’hui vide de ces charmes clouée sur un mur et au poète disparu la part que l’on doit au mystère. 

Notes

La Fabrique de Dante se tient à la Fondation Martin Bodmer jusqu’au 28 août 2022. Elle est accompagnée d’un live-catalogue homonyme. (les citations de l’article sont tirées de ce livre-catalogue)

Les commissaires d’exposition sont 

  • Jacques Berthold. Professeur et écrivain suisse, il dirige la Fondation Bodmer. 
  • Nicolas Ducimetière, historien, est vice-directeur de la Fondation Bodmer
  • Paola Allegretti Gorni, conseillère scientifique de la Società Dantesca Italiana de Florence. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages sur Dante Alighieri
  • Michael Jakob est professeur de littérature comparée à l’université de Grenoble. Il est fondateur et directeur de la revue COMPAR(A)SON.
Camera delle Lacrime: les Sphères du Paradis à Ivry

Camera delle Lacrime: les Sphères du Paradis à Ivry

Deux longues années après Les Cercles de l’Enfer, l’ensemble La Camera delle Lacrime a présenté au théâtre Antoine Vitez d’Ivry le dernier volet de sa trilogie sur la Divine Comédie de Dante: Les Sphères du Paradis.

Nous avions laissé, il y a deux ans maintenant, le théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur Seine, sur les derniers vers de l’Enfer de Dante, avec une promesse: dans un an, la Camera delle Lacrime revenait sur la même scène avec un nouveau spectacle, La Montagne du Purgatoire. Puis, la pandémie du Covid est passée. Le confinement, les restrictions et les contraintes sanitaires ont fait que de Purgatoire à Ivry, en 2020, il n’y eut pas.

C’est donc avec un plaisir immense que ce 5 décembre 2021, il a été possible de renouer le fil de cette création musicale autour du troisième cantique de la Divine Comédie: Les sphères du Paradis.

Khaï-dong Luong, directeur artistique et Bruno Bonhoure, directeur musical, ont conservé les mêmes principes que lors de la création des Cercles de l’Enfer. Le dispositif scénique est simple avec une première ligne où sont disposés chanteuses et musiciennes avec en son centre Bruno Bonhoure, feu follet qui danse, chante, joue du tambour et de la harpe, véritable chef d’orchestre du spectacle. En fond, est disposé le chœur du Conservatoire d’Ivry, renforcé par quelques chanteurs venus de Saint-Denis.

Le spectateur est invité à un rêve

Mais mêmes principes ne veut pas dire même spectacle. Pour l’Enfer, les costumes sombres des acteurs, l’atmosphère ténébreuse et la voix caverneuse de Denis Lavant créaient une ambiance sombre. Rien de cela ici: tout le monde est vêtu de blanc, et les lumières illuminent la scène. C’est à un rêve qu’est invité le spectateur. Un songe dont  la chanson de Michel Berger, Le Paradis Blanc, ouvre les portes.

Après la nuit de l’Enfer, ses ombres et son âpre descente dans la profondeur de ses Cercles, les Sphères du Paradis se veut un hymne à la légèreté, à la douceur et à la grâce, porté par l’harmonie des laudes du manuscrit de Cortona

Puisque rêve il y a, le spectateur effleure quelques étoiles. Il s’arrête sur la Lune, sur Vénus où il rencontre le poète Foulque de Marseille celui pour qui «couché et levé de soleil / ont Bougie et la terre où je suis né». Un hymne, plus tard, célèbre François d’Assises. Nous sommes déjà dans la sphère du Soleil… 

Ce spectacle enchanteur est la conclusion du cycle Dante Troubadour consacré à la Divine Comédie. Il ne se résume pas aux seuls spectacles. La Camera delle Lacrime a produit aussi une suite discographique, Inferno, Purgatorio et Paradiso qui permettent, d’en écouter les musiques, les chants et les récitatifs, c’est-à-dire de retrouver la musique de la poésie de Dante.

Pour ce spectacle à Ivry

  • le récit du poète était dit par la comédienne Marion Noone;
  • Caroline Dangin-Bardot, soprano, était au chant;
  • Cristina Alís Raurich à l’organetto et aux percussions;
  • Stéphanie Petibon à la viola d’arco et au luth. 
  • Le site de La Camera delle Lacrime. Le nom de la compagnie trouve sa source dans Vita Nuova, l’ouvrage de jeunesse de Dante, dans ce passage où dans une cérémonie de noces, Dante aperçoit «la gentilissima Beatrice», ce qui le choque si fort qu’il ne peut que retourner dans cette «camera delle lagrime» qui lui sert de refuge. (Vita Nuova, XIV, 9).
  • Photo d’illustration: Marc Mentré
La Pléiade: Une nouvelle édition de la Divine Comédie

La Pléiade: Une nouvelle édition de la Divine Comédie

Une nouvelle édition de la Divine Comédie publiée dans la prestigieuse collection de La Pléiade est un événement rare, et il ne faut pas bouder son plaisir: cette édition est une réussite. Elle l’est d’abord par les principes qui ont guidé sa conception et en premier lieu le choix de réaliser une édition bilingue. Pour le texte original, c’est celui établi par Giorgio Petrocchi qui a été retenu, et pour la traduction celui de Jacqueline Risset. 

L’équipe réunie autour de Carlo Ossola, professeur honoraire au Collège de France, est impressionnante. Pasquale Porre, professeur d’Histoire médiévale et spécialiste de St Thomas d’Aquin, y côtoie Luca Fiorentini fin connaisseur des commentateurs de Dante, Ilaria Gallinaro, une chercheuse indépendante et Jean-Pierre Ferrini qui fut l’élève de Jacqueline Risset. 

Sans surprise en regard des compétences et de l’érudition des membres de ce collectif, l’édition critique de la Divine Comédie qui est proposée est remarquable par sa densité et sa richesse. 

L’édition du texte est complétée d’une prudente chronologie-biographie du poète. Une réserve qui s’explique par l’absence de documents et de témoignages. Cela rend très difficile de reconstituer précisément la vie de Dante mais aussi les dates et les conditions dans lesquelles il a composé ses œuvres. 

56 ans se sont écoulés depuis la précédente édition

On trouve également dans ce volume une «anthologie» composée d’une quinzaine de textes extraits d’œuvres d’auteurs du XXe siècle donne à voir et à percevoir l’œuvre sous différentes facettes. Ils permettent de saisir comment il a été compris et appréhendé par des écrivains et des poètes contemporains, comme Borges, Yves Bonnefoy, Ossip E. Mandelstam…

Mais pourquoi cette nouvelle édition de la Divine Comédie a-t-elle tant tardé? Il s’est en effet écoulé 56 longues années entre la publication de celle-ci et la précédente.

Ce chiffre de 56 doit tout à la magie des anniversaires, car à travers ces deux éditions sont célébrées la naissance et la mort du Sommo poeta. En 1965, lorsque furent publiées les Œuvres complètes de Dante, entièrement traduites et commentées par le seul André Pézard, se célébrait le 650e anniversaire de la naissance du poète. 2021 est l’année du 700e anniversaire de sa mort. 

56 ans est une vie d’homme. La conception des deux ouvrages ne peut donc être similaire. Le premier est l’œuvre d’un homme alors que le second est un travail d’assemblage, fruit de la collaboration de plusieurs spécialistes. 

De Michele Barbi à Giorgio Petrocchi et d’André Pézard à Jacqueline Risset

Une différence majeure se tient au «cœur» de chacune de ces éditions et les caractérise. On le sait, nous ne possédons aucun manuscrit original de la main de Dante. Les textes en vulgaire illustre utilisés sont tous établis après de longues et complexes recherches philologiques et ils diffèrent pour certains passages. 

Pour l’édition de 1965, André Pézard expliquait avoir suivi le texte publié en 1921 par la Società dantesca italiana et établi par Michele Barbi.1 Il s’agissait alors pour les Italiens de commémorer un anniversaire, celui du 600e de la mort de Dante! Mais, faute de place, celui-ci ne pouvait être publié dans le volume de La Pléiade, qui ne comprenait que la seule traduction d’A. Pézard. 

Pour l’édition 2021, c’est le texte de la Commedia, établi par le philologue italien Giorgio Petrocchi en 1966-1967 qui a été retenu. Il est accompagné de la traduction de Jacqueline Risset originellement publiée entre 1985 (l’Enfer) et 1990 (le Paradis). 

Deux textes en dialogue

Il peut paraître curieux de choisir un texte qui accuse déjà plus de 30 ans d’âge, même si Jacqueline Risset a retravaillé et corrigé sa traduction jusqu’en 2010, peu de temps avant son décès en 2014.

La clé de ce choix, que porte Carlo Ossola le maître d’ouvrage de cette édition, se trouve dans quelques lignes mises en exergue par Jacqueline Risset dans l’édition originale de sa traduction du Paradis (Flammarion, 1990): 

J’évoque avec gratitude, la mémoire de Giorgio Petrocchi qui a suivi mon travail jusqu’à sa mort prématurée

«Lorsque l’on met les deux textes côte à côte, ils ont un dialogue, résume Carlo Ossola. Le texte italien de G. Petrocchi et le texte français nous viennent de deux personnalités qui à Rome ont eu durant des années un échange. Les archives de Jacqueline Risset contiennent des lettres de G. Petrocchi. Ils se fréquentaient. Sans compter ce qui n’a pas laissé de traces: les rencontres à la faculté de lettres, les échanges téléphoniques».2  

C’est dans cet esprit que dans la nouvelle édition le texte en vulgaire illustre et celui en français se font face, ligne à ligne, vers à vers, offrant ainsi une lecture croisée permettant les comparaisons.. 

Le passage à une traduction plus «fluide»

La nouvelle édition se justifie aussi sans doute par… la traduction elle-même. Celle d’André Pézard reposait sur un pari, qu’il présentait ainsi dans son Avertissement

Il leur (aux lecteurs) faudra un petit effort pour accepter la discipline ou le défi que je leur propose: cet usage d’une langue qui n’est nullement sacrée, que personne ne parle mais n’a jamais parlé sous cette forme; dont le tissu courant est le français moderne, mais français dépouillé de tous ses vains modernismes; et en revanche enrichi de joyaux retrouvés. (Avertissement XIX)

Aujourd’hui, cette langue étrange —qui masque une incroyable précision et justesse de la traduction— inventée par A. Pézard a vieilli. Il était sans doute temps pour La Pléiade de proposer une traduction plus «fluide», comme Carlo Ossola caractérise celle de J. Risset.

C’est donc celle-ci qui a été retenue, mais “nue”, c’est-à-dire sans l’introduction et les notes de l’édition originale. 

Pour l’introduction, il est peut-être dommage qu’elle n’ait pas été reprise, au moins pour partie, car celle-ci donnait le “ton” singulier de sa traduction: 

Dante n’est pas seulement —dans son lointain XIVe siècle— très proche; il est aussi, ce qui est difficile à exprimer, et peut-être pas encore tout à fait exprimable, en avant de nous. (…) quelque chose se dessine, dirait-on, à partir du texte de Dante, lu aujourd’hui: quelque chose qui brise d’un coup le bibelot, et de façon inattendue opère une métamorphose de la matière: à la fois attention multipliée, prolongée jusqu’au-delà de l’audible de la chute du cristal, et distraction souveraine, négligence, qui laisse les mots trouver pour nous, et les rejoint tout à coup d’un coup d’aile, et dans la prise du souffle…

Les notes en fin de volume, une bonne idée? 

Jacqueline Risset avait choisi d’éclairer le texte de la Divine Comédie dans l’édition initiale de Flammarion par des notes simples et directes —une vingtaine environ par chant—, à portée essentiellement informative. Ces notes ont été abandonnées pour être remplacées par un volumineux appareil de plus de 500 pages, faisant du nouveau Pléiade un ouvrage, érudit et savant.

Cet abandon était sans doute inévitable, mais il enlève de la “chair” à la traduction originale. Les notes éclairent en effet souvent les doutes, les choix et  les remords des traducteurs et des traductrices. En ce sens, elles font partie du texte.

On peut aussi regretter que ces notes soient regroupées en fin de volume. André Pézard avait réussi à obtenir une dérogation en raison des spécificités de la Divine Comédie:

L’Éditeur, écrivait-il, dans son Avertissement, a rompu —non pas en ma faveur mais en faveur de Dante— une règle impérieuse et raisonnée, “toutes les notes en fin de volume”. (…) Les Italiens eux-mêmes, et les professeurs comme les autres, ont constamment besoin de notes pour entendre la Comédie: parfois trois ou quatre notes pour un seul vers, inintelligible sans ce recours immédiat. (p. XXXVIII). 

La nouvelle édition comporte une intéressante innovation, dont Jacqueline Risset avait semé les graines dans son ouvrage préparatoire à la traduction de la Comédie, Dante écrivain ou l’intelleto d’amore. (Flammarion, 1982, pp. 229-234). 

Elle y explorait alors  les rapports entre une poignée d’auteurs du XXe siècle et Dante. Elle y évoquait le très catholique Claudel, pour qui, nous disait-elle «le mot qui explique toute l’œuvre, c’est Amour», Gide, Valéry et surtout Philippe Sollers, dont la revue Tel Quel avait consacré, en 1965, un numéro spécial, Dante et la traversée de l’écriture

Une anthologie des écrivains et poètes du XXe siècle

L’idée a été reprise et développée sous la forme d’une Anthologie Lectures de Dante au XXe siècle. Elle s’ouvre sur le texte fameux d’Ezra Pound où il écrit: «Dante ou son intelligence peuvent aussi signifier “Tout le monde”». En effet, explique Jean-Pierre Ferrini, qui a coordonné ces pages, «l’usage de la première personne du singulier, qui conjugue de façon inédite la relation entre l’auteur et le narrateur-personnage, projette la vie collective de Dante dans une forme collective», d’où cet «Everyman» du poète américain qui est «nous tous, l’humanité entière». 

Pour cette anthologie n’ont été retenus que des auteurs masculins. Or, des auteures féminines y auraient eu toute leur place. Pour en rester à deux exemples, Virginia Woolf, dont «la lecture de la Divine Comédie revient de façon obsédante dans son journal en particulier»3 ou l’Argentine Victoria Ocampo, auteure d’un remarquable essai De Francesca à Béatrice, ont également lu, commenté et s’étaient inspirées de la Divine Comédie

Il n’en reste pas moins que la sélection resserrée des textes est passionnante à lire et ouvre à la réflexion. Qu’il s’agisse du regard de Maurice Barrès sur le «style dantesque», «ce qui fait sa perfection, c’est le naturel des mots, joint à la difficulté extraordinaire de cette strophe de trois vers où il les enchâsse», où de la réflexion de T.S. Eliot sur ce que lui a appris la lecture de Dante: «De lui (…) j’ai appris que le matériau qui était le mien, l’expérience d’un adolescent dans une ville industrielle d’Amérique pouvait devenir le matériau de la poésie.»

On pourrait citer aussi Yves Bonnefoy qui s’interroge sur la traduction, Eugenio Montale lorsqu’il affirme que «la vraie poésie ait toujours le caractère d’un don», mais peut-être est-il sage de s’arrêter à Pier Paolo Pasolini dont l’extrait choisi fait écho au texte de Dante:

Il eut une goutte, encore, de sourire malicieux et douloureux dans l’œil incapable de sourire, puis, d’un air amical, il ajouta: «Mais toi, pourquoi veux-tu retourner au milieu de cette dégradation? Pourquoi ne continues-tu pas à gravir cette pente, seul, comme tu es destiné à l’être, et comme tu l’es?»