700e anniversaire : Un film sur Dante réalisé par Pupi Avati ?

700e anniversaire : Un film sur Dante réalisé par Pupi Avati ?

À 80 ans, le réalisateur italien Pupi Avati se lance un nouveau défi: réaliser pour 2021, un film sur Dante et participer ainsi à la célébration du 700e anniversaire de la mort du poète.

Sa source d’inspiration? Le Trattatello in laude di Dante de Boccace, comme il le dit dans une interview au site Avvenire.it

Je m’inspirerai du traité de Boccace qui, en 1350, se rendit à Ravenne et rencontra la fille de Dante, Béatrice, pour lui remettre dix florins d’or de la part des capitaines de la compagnie d’Orsanmichele1 afin de compenser le mal causé à son père. Là, il a rencontré beaucoup de gens qui connaissaient Dante et il a commencé une sorte d’enquête sur la vie du Sommo Poeta. Cette biographie est déjà un film avec une infinité d’informations que sans le travail de Boccace nous n’aurions pas eu. 

Le film que projette Pupi avait serait donc la vie de Dante racontée par l’auteur du Décaméron, dont on sait qu’il fut un admirateur du poète. C’est lui par exemple qui ajouta le qualificatif de « divina » à une œuvre qui ne s’appelait encore que « Commedia« . Qualificatif qui devait rester lors des éditions imprimées du texte à partir du XVe siècle. C’est lui encore qui devait initier un cycle de lectures publiques de la Comédie. Ce cycle sera interrompu par la mort de Boccace au Chant XVII, mais il perdure encore aujourd’hui: ce sont les Lecturæ Dantis, qui mêlent la lecture proprement dite des chants et leurs commentaires. 

Cette idée, explique le journaliste Pietrangelo Buttafuoco, dans Il Fatto Quoitdiano, Pupi Avati la porte sans doute depuis 2001. Il ne doute pas de la volonté du réalisateur de voir aboutir son projet surtout rappelle-t-il que ce dernier est un grand bibliophile et un fin connaisseur de Dante. Il a par ailleurs déjà réalisé deux films dont l’action se déroulait au Moyen-Âge: Magnificat en 1993 et I cavalieri che fecero l’impresa sorti en 2001.

  • Illustration: Le réalisateur Pupi Avati – Photo Marta, Lorenza e Vincenzo Iaconianni – CC A. SA 3.0
«Chi si ferma è perduto», la phrase perdue de Dante

«Chi si ferma è perduto», la phrase perdue de Dante

«Chi si ferma è perduto». La phrase est célèbre en Italie. Elle est devenue un de ces aphorismes creux utilisés aussi bien dans la publicité, qu’en communication, ou encore en politique. Elle peut se traduire, selon le contexte par « qui s’arrête est perdu », ou « qui hésite est perdu ». Elle ne mériterait aucune attention (du moins sur ce site) si elle n’était pas attribuée à Dante et n’était censée être extraite de La Divine Comédie. Il n’en est rien. 

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Selfie de Matteo Salvini le 27 mai 2018 publié sur Twitter, avec en commentaire « Celui qui s’arrête perd, je n’abandonne pas avant la fin”

Tout est parti de Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien, qui a utilisé la phrase «Chi si ferma è perduto»… à plusieurs occasions, notamment sur Twitter en mai 2018, où il fait un selfie devant un avion d’Alitalia avec la phrase en accroche [ci-contre]. Plus récemment, il la prononça encore lorsque les prévisions économiques du gouvernement jugées trop optimistes, furent rejetées par une commission parlementaire (l’Ufficio parlamentare di Bilancio).

L’histoire pourrait en rester à cette phrase qui se veut volontariste, répétée en boucle. Mais le 9 octobre, lors d’une émission de télévision1, une responsable politique du Pd 2 Alessandra Moretti, à qui l’on montrait une vidéo où M. Salvini prononçait la fameuse petite phrase, n’hésita pas à affirmer «È un frase bellissima», faisant tousser plus d’un en Italie [voir le site d’Il Fatto Quotidiano].

Car la phrase « bellissima » appartient à la vulgate fasciste des années mussoliniennes. Elle fait partie de ces phrases où Mussolini était censé synthétiser sa pensée, à côté d’autres aphorismes tout autant percutants comme «plus d’ennemis, plus d’honneur», ou «mieux vaut mourir debout, que vivre à genoux», etc. Il la prononça notamment à Gênes, le 18 mai 1938, dans un discours où il défendait sa politique économique basée sur l’autarcie dans… l’un des plus grands ports de commerce de l’Italie [voir ici].

Fausses pistes et recherches infructueuses

Que vient faire Dante dans cette histoire? Tout simplement dans le fait que cette phrase est censée être tirée de la Divine Comédie.  “Censé” car la phrase en question n’existe pas. En effet, piqué par la curiosité, j’ai fait une recherche sur ce site —ladivinecomédie.com— où est publié l’intégralité du texte original de La Divine Comédie et sur Google. Toutes deux furent infructueuses. Dante, Divina Commedia et «chi si ferma è perduto» ne « matchent » pas…

En revanche, plusieurs résultats indiquaient que la phrase était incomplète et qu’il fallait lire «Chi si ferma è perduto, mille anni ogni perduto». Mais, la phrase même ainsi complétée n’existe pas plus dans la Comédie. Qui plus est, il serait surprenant que Dante ait un jour écrit un vers aussi bancal. Fausse piste donc, même si sur Twitter, @RickyPoffo avance que la phrase est tirée de l‘Inferno di Topolino, une bande dessinée publiée en 1949 et 1950. L’Enfer y était adapté pour un public enfantin et Dante dessiné en Mickey.

Parmi les pistes suggérées par la recherche Google revenait un film des années 1960, Chi si ferma è perduto, où le célèbre acteur comique italien Totò jouait l’un des rôles principaux. L’une de ses répliques était: «Non mi fermo né al primo e né al secondo ostacolo perché, come dice quell’antico detto della provincia di Chiavari, chi si ferma è perduto!» [“Je ne m’arrête par au premier ni au second obstacle, car comme le disait cet ancien de la province de Chiavari, qui s’arrête est perdu!” – voir ici l’extrait du film].

Il est certes question de la province de Chiavari dans La Divine Comédie, mais c’est au chant XIX du Purgatoire [v. 100-102], où le pape Adrien V donne son nom sous la forme d’une énigme: «Intra Sïestri e Chiaveri s’adima / una fiumana bella, e del suo nome / lo titol del mio sangue fa sua cima.» [Entre Sestri et Chiavari / s’abaisse un beau fleuve, et de son nom / ma famille fera l’origine de son titre.] L’énigme est transparente, le fleuve s’appelle Lavagna et Adrien V est un descendant des contes de Lavagna, mais là encore concernant la piste dantesque nous sommes dans une impasse.

Une autre idée a été avancée, toujours sur Twitter, par @JBarba52 . La phrase «Chi si ferma…» dériverait selon lui du Chant XV de l’Enfer [v. 37-39], où Brunetto Latini, soumis à une pluie de feu, ne peut s’arrêter pour parler avec Dante, car: «Qual di questa greggia / s’arresta punto, giace poi cent’ anni / sanz’ arrostarsi quando ’l foco il feggia.» [“qui de cette troupe / s’arrête un instant, gît ensuite pour cent ans / sans pouvoir se protéger du feu qui le frappe”].

Si au niveau du texte, on peut trouver quelques correspondances lointaines entre la phrase de Dante et «Chi si ferma…» au niveau du sens nous sommes à des années lumières: Brunetto Latini ne PEUT pas s’arrêter, car la menace est trop grande pour lui. Cette notion de contrainte n’existe évidemment pas dans les propos de Matteo Salvini, non plus qu’elle n’existait dans ceux de Mussolini. 

Bien sûr, ce ne serait pas la première fois qu’une citation serait déformée et son sens inversée, mais renvoyer à l’auteur originel est abusif. C’est le cas ici pour Dante. 

  • Illustration: Capture d’écran du site d’Il Fatto Quotidiano du 10 octobre 2018.

 

 

 

 

Il Cammino di Dante

Il Cammino di Dante

Parcourir l’Italie à son rythme, que ce soit à pied, en VTT, voire à cheval c’est possible. Il existe même un site, Cammini d’Italia, qui recense 40 itinéraires et parmi eux on trouve le Cammino di Dante [le Chemin de Dante], une grand boucle de presque 400 kilomètres à travers la Toscane et l’Emilie-Romagne, avec Ravenne comme point de départ et d’arrivée.

Le circuit est organisé autour d’une vingtaine d’étapes, qui sont autant de lieux où a séjourné Dante, en particulier pendant son exil, et d’autres qui ont inspiré sa poésie. Par exemple à Forlì, dont la résistance aux troupes françaises en 1282 est racontée dans le Chant XXVII de l’Enfer [«La terra che fé già la lunga prova / e di Franceschi sanguinoso mucchio…» — “La terre qui soutint autrefois la longue épreuve / et du Français fit un monceau sanglant…”] ou encore à côté de cette cité la « cascade d’Aquacheta » qui est également citée —au Chant XVI de l’Enfer— par Dante et lui permet d’illustrer la force de la cascade qui alimente le Phlégéton.

Ce « chemin » suit souvent les anciennes routes étrusques et romaines, qui reliaient à l’époque de Dante la Toscane à la Romagne le long des lignes de crêtes. Il est pensé pour que les randonneurs rencontrent le moins de routes asphaltée possible. Les étapes ne sont pas très difficiles, en tout cas à la portée d’un marcheur moyen [20 km en moyenne].

Les possibilités d’hébergements sont relativement nombreuses, mais comme le chemin est un peu éloigné des circuits touristiques classiques, il est préférable de réserver ses haltes à l’avance et donc de s’inscrire auprès de l’association Il Cammino di Dante qui a établi une carte détaillée [una cartoguida] du parcours et permet d’obtenir une Credenziale pour bénéficier de réductions auprès des auberges et des restaurants conventionnés.

Les sites utiles

  • Il Cammino di Dante, le site officiel de l’association, où l’on peut obtenir la Cartoguida et la Credenziale. (site en italien et en anglais)
  • Cammini d’Italia, le site de la Direction Générale du Tourisme, qui recense 40 parcours dans toute l’Italie dont celui de Dante. (site en italien et en anglais)

 

La Pace di Dante

La Pace di Dante

Chaque 6 octobre à Sarzana, une petite ville ligure proche de La Spezia, se fête l’anniversaire de la « Pace di Dante ».

En 1306, Dante a rompu avec la parti des guelfes blancs, et désormais il a fait « un parti à soit seul », comme lui dit son ancêtre Cacciaguida «averti fatta parte per te stesso» [Paradis, Chant XVII, 69]. À l’automne, l’exilé est hébergé dans le Lunigiana par la grande et noble famille Malaspina.

Durant son séjour, Dante fut chargé par Franceschino Malaspina de négocier un traité de paix. Signe de confiance, le poète-diplomate bénéficie des « pleins pouvoirs  » pour sa mission. Il s’agit de résoudre un très long conflit aux multiples épisodes et rebondissements, où se mêlent dans le mille-feuille politico-militaire de l’époque les oppositions et querelles entre gibelins (partisans de l’Empereur) et guelfes (partisans de l’autorité papale), les revendications territoriales, l’influence des pouvoirs régionaux et en particulier celui de Gènes et enfin les conflits familiaux. La clé du succès de Dante se trouve peut-être d’ailleurs dans ce dernier point.

En effet Franceschino da Mulazzo [Malaspina] dont il était l’hôte en cet automne 1306 à Sarzana et qui le chargea de sa mission était le cousin de Moreollo da Giovagallo [également un Malaspina]. L’épouse de ce dernier, Alasia Fieschi, était de son côté cousine avec l’évêque (gênois) Antonio di Nuvolone avec lequel les Malaspina étaient en guerre.

Pour plus de clarté, l’arbre généalogique de la branche « Spino Secco » des Malaspina. Elle était ainsi nommée en raison de ses armes où figurait une branche d’épines.

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L’arbre généalogique de la branche « Spino Secco » de la famille Malaspina, in Dante Dictionnary, par Paget Toynbee -Clarendon Press, Oxford, 1898

Peut-être fatigués d’un conflit qui paraissait sans fin, les adversaires étaient prêts à négocier et à s’entendre. Durant les sept dernières années, les embuscades, les coups de main, les saccages de bourgs et de châteaux s’étaient multipliés. En tout cas, Dante mena promptement l’affaire et le 6 octobre à 6 heures du matin, place de la Carcanzola a Sarzana, en présence de toutes les parties, un premier protocole d’accord fut signé, la paix définitive l’étant le 9 au château de Castelnuovo. Elle prévoyait l’annulation de tous les procès en cours, et la restitution de toutes les terres conquises pendant la guerre.

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La première page de l' »atto » qui donnait procuration à Dante pour négocier le traité de paix avec l’évêque de Luni.

La « Paix de Dante » se traduira par un rapprochement profond. Elle rétablit de facto l’unité du domus Malaspina. Ceux-ci purent dès lors, écrit Giorgio Inglese, « se concentrer sur la poursuite d’une alliance stratégique avec le roi d’Aragon, Jacques II. » ¹ [Ce dernier venait d’abandonner le royaume de Sicile à son jeune frère Frédéric II, pour devenir Roi d’Aragon.]

Au Chant VIII du Purgatoire [124-1226], Dante remercie avec une chaleur presque gênante l’ombre de Currado Malaspina, quand il la rencontre dans la « vallée des princes négligents »:

La fama che la vostra casa onora,
grida i segnori e grida la contrada,
sì che ne sa chi non vi fu ancora;
[La renommée qui fait honneur à votre maison,
chante les seigneurs et chante la contrée, 
si bien que l’on connaît sans y être encore allé;]

Cette ferveur peut s’expliquer par le fait que les Malaspina non seulement l’ait accueilli, mais aussi lui ait donné un rôle et une activité politique en lui confiant cette mission. Pourtant les Malaspina étaient de factions politiques plus ou moins éloignées de celle de Dante. Si Franceschino était un gibelin, que l’on peut considérer comme « guelfe-blanc-compatible », son cousin Moroello était —et restera— un allié des guelfes noirs de Florence. Pourtant, celui-ci semble avoir noué des liens étroits avec Moroello, c’est en tout cas ce qu’affirme Boccace. Cette proximité aurait été jusqu’à une intercession auprès des autorités florentines [guelfes noirs] pour permettre un retour de Dante dans sa ville natale.

Ce succès diplomatique de Dante révèle un pan peu connu de la vie du poète durant son exil et dont aujourd’hui, il reste peu de traces. Mais il dut certainement être chargé d’autres missions. On en voudra pour preuve, le fait qu’en 1321, Guido da Polenta, son hôte de Ravenne, l’envoya à Venise négocier un accord. C’est en revenant de cette ultime mission que Dante devait contracter la malaria, maladie dont il mourut.

  • Notes 
  1. Vita di Dante, una biografia possibile, parGiorgio Inglese, Carocci editore – Roma, 2015 – pp. 89-91. 
  2. Pour plus de détails sur cette paix on peut lire Castelnuovo, la pace di Dante e il tesoro dei vescovi par Adriana G. Hollet [Pdf].

 

L’uovo di Dante

L’uovo di Dante

L’histoire de l' »œuf de Dante » est délicieuse. Elle entend illustrer la prodigieuse mémoire du poète. 

Dante assis sur un banc à Florence est interpelé par un compatriote, qui lui demande à brûle-pourpoint quel est pour le lui le meilleur plat. Dante répond: «un œuf!». 

Les deux interlocuteurs se séparent. Puis passe une année pendant laquelle, guelfes blancs et noirs s’affrontent violemment. Au terme de cette année Dante est de nouveau assis à méditer sur le même banc. Son compatriote passant par là, le voyant, lui demande abruptement «et avec quoi?». Dante ne se démonte pas et lui répond immédiatement: «Avec du sel!». 

La Rai Scuola a réalisé une petite vidéo sur cette anecdote que l’on peut voir ici